Tandis que Chypre s’enfonce dans le désastre et le scandale, le Primat de l’Église Chypriote conseille à l’île de sortir de l’UE
Ce n’est pas parce que l’attention des grands médias occidentaux est quelque peu retombée sur la situation à Chypre que celle-ci s’améliore.
Bien au contraire, l’énormité de la crise financière – dans un pays où près de 70% de la population travaille dans le secteur financier – est en train de conduire l’île de Méditerranée dans un chaos politique, économique et social. En ce week-end pascal (pour les catholiques), pas moins de cinq nouvelles venues de Chypre ont fait l’effet de bombes.
1°) Le racket sur les gros déposants à la Bank of Cyprus pourrait dépasser 60 % de leurs avoirs
Comme on s’en souvient, l’accord prétendument final trouvé pour tenter de régler le cas chypriote avait été le suivant : en contrepartie d’un prêt de 10 milliards d’euros consenti par l’UE, les autorités chypriotes s’étaient engagées à trouver près de 7 milliards d’euros et avaient annoncé que les comptes dépassant 100.000 euros à la Bank of Cyprus subiraient une « ponction » de l’ordre 40%, tandis que la Banque Laïki serait liquidée et les gros déposants davantage spoliés encore.
Or, on a appris au cours du week-end que les détenteurs de gros dépôts à la Bank of Cyprus pourraient subir un racket allant non pas jusquà 40% mais jusqu’à 60%, voire même plus.
À la question de savoir si cette « ponction » pourrait être supérieure à 60%, un certain Mario Skandalis, expert et cadre de la Bank of Cyprus cité par les agences de presse, a indiqué que « c’est une possibilité, mais je dirais qu’elle reste assez lointaine ».
En d’autres termes, il ne s’agit plus d’une « ponction » mais bel et bien d’un « racket » colossal, comme je l’avais diagnostiqué dès le premier accord de l’Eurogroupe connu.
2°) L’économie chypriote au bord de l’effondrement total
Par ailleurs, de nombreux experts internationaux, après avoir étudié en détail la situation de l’économie chypriote où le secteur financier représente près de 70 % du PIB, sont parvenus à la conclusion que le prétendu « plan de sauvetage » du secteur bancaire va avoir des conséquences dramatiques pour l’économie.
L’Institut de la finance internationale (IIF), association dont le siège est à Washington et qui représente les plus grandes banques du globe, a estimé que Chypre allait connaître une « chute libre » , avec une récession pouvant atteindre 20% sur les deux prochaines années.
3°) Le gangstérisme et la corruption des européistes chypriotes éclatent au grand jour
Comme si la situation n’était pas suffisamment gravissime, la scène politique chypriote est secouée désormais de scandale à répétition visant d’éventuels délits d’initié commis par un certain nombre de personnalités politiques de l’île.
Selon la presse grecque, la Bank of Cyprus, la Banque Laïki (en liquidation) et la Hellenic Bank auraient ainsi « effacé » des millions d’euros de dettes – au cours de ces cinq dernières années – au bénéfice de députés, de proches ou de sociétés liées à des personnalités politiques. C’est-à-dire au profit de la petite clique des dirigeants européistes du pays.
On a également appris par le Dailymail que ce sont plus de 4,5 milliards d’euros qui auraient quitté l’île de Chypre dans les jours précédents la la première annonce du plan de sauvetage.
Si elle est confirmée, cette fuite soudaine de capitaux témoignerait qu’un certain nombre de responsables très bien placés connaissaient précisément le type d’accord qui était en préparation avec les autorités européennes, le racket sur les dépôts bancaires qui allait en résulter, et qu’ils en ont tiré des conséquences à titre personnel, en expatriant en urgence leurs propres dépôts pour ne pas subir le même sort que les autres déposants.
Ces différentes révélations ont provoqué un scandale tellement énorme que, sous la pression de l’opinion publique, les autorités chypriotes se sont engagées, le 30 mars, à diligenter une commission d’enquête, à la fois sur sur l’effacement présumé de dettes contractées par des personnalités politiques de l’île, et sur les délits d’initiés.
Le ministre de la Justice, Ionas Nicolaou, a précisé que le mandat de cette commission d’enquête comprendrait l’examen de l’effacement des prêts, qu’elle serait formée de trois juges chypriotes, qu’elle disposerait d’un délai de trois mois pour mener sa tâche à bien, et qu’elle serait intronisée par le président de la République, M. Anastasiades.
4°) Le président de la République, M. Anastasiades, est lui-même éclaboussé
Seulement voilà : on a appris le 31 mars que le président de la République en personne, celui-là même qui a conclu l’accord à Bruxelles, risquait d’être lui-même frappé de plein fouet par le scandale.
Selon un article publié dans le journal chypriote Haravgi, proche du parti communiste AKEL, une société détenue par les beaux-parents du président chypriote Anastasiades aurait transféré des dizaines de millions d’euros de la Laiki Bank les 12 et 13 mars. Par cinq billets à ordre, la société aurait transféré dans une banque à Londres la somme de 21 millions € depuis la Laiki Bank (désormais fermée et en faillite), et cela trois jours avant la réunion de l’Eurogroupe….
Le président Anastasiades a bien entendu réfuté ces allégations en incriminant les responsables du parti communiste AKEL qui exerçaient les responsabilités du pouvoir jusqu’au changement de majorité il y a quelques mois : « La tentative de diffamer les entreprises ou les personnes liées à ma famille … n’est rien d’autre qu’une tentative de détourner les gens de la responsabilité de ceux qui ont mené le pays à une situation de faillite.»
Le président a ajouté que personne, y compris lui-même, ne devait être exempté de l’enquête en cours et l’entreprise en question a fermement démenti ces informations. Il n’en demeure pas moins que ce nouveau rebondissement a rendu le climat si possible encore plus délétère.
http://www.enetenglish.gr/?i=news.en.economy&id=481
5°) Chrysostomos II, Primat de l’Église orthodoxe chypriote conseille à Chypre de sortir de l’UE
Enfin, en ce dimanche de Pâques catholique, le très respecté archevêque Chrysostomos II, a lancé un beau pavé dans la mare en déclarant que l’île ferait mieux de sortir de l’Union européenne avant qu’elle ne s’effondre.
Dans cet entretien accordé à la chaîne russe Pervy Kanal, celui qui porte le titre de Primat de l’Église orthodoxe de Chypre s’est livré à une analyse éminemment politique, que l’on croirait presque formulée par… un lecteur des analyses de l’UPR !
Le Primat de l’Église orthodoxe a en effet “parlé d’or” en déclarant :
« Aujourd’hui, les économies espagnole, portugaise et italienne sont en danger. Et si l’économie italienne est détruite de la même manière que la nôtre, l’UE n’y survivra pas. Mais ceux qui dirigent l’Europe, et ceux qui prennent les décisions au sein de la dénommée “Troïka”, sont inconscients de tellement de choses que cela risque de provoquer un effondrement de l’Union européenne. C’est pourquoi je pense qu’il nous faut sortir de l’Union Européenne avant que cela ne se produise. »
Source : http://fr.rian.ru/world/20130331/197953790.html
Conclusion : il faut rester attentif à l’évolution des pays orthodoxes de l’est européen
La déclaration de Chrysostome II appelant l’île de Chypre à sortir de l’Union européenne est d’autant plus à prendre en considération que le primat de l’Église chypriote est, par ses fonctions religieuses, une personnalité particulièrement respectée dans l’île, dont l’influence politique est réelle. L’Église orthodoxe de Chypre est l’un des plus importants propriétaires fonciers de l’île, Chrysostomos II a d’ailleurs annoncé qu’elle était prête à mettre sa fortune à la disposition de l’État en vue de faire sortir le pays de la crise.
Il faut ainsi se rappeler que l’anté-prédécesseur de Chrysostome II, Monseigneur Makarios III, fut aussi le président de la République de Chypre de 1960 à 1977. C’était un fait pour le moins peu banal de voir un pays démocratique où le même homme cumulait à la fois les fonctions de chef d’État et de chef officiel de l’église autocéphale.
Les déclarations de l’archevêque de Chypre doivent par ailleurs être replacées dans le contexte d’une certaine solidarité des peuples orthodoxes, qui pourrait jouer un rôle croissant en matière géopolitique dans les années à venir.
Comme le révèle l’examen de la carte des religions en Europe, la religion orthodoxe est très majoritaire à la fois en Russie, en Biélorussie, en Ukraine, à Chypre et en Grèce, mais aussi en Roumanie, en Bulgarie, dans une partie de la Bosnie-Herzégovine, au Monténégro et en Serbie. Si ces trois derniers États ne sont pas encore entrés dans l’Union européenne, tous les autres pays de l’orthodoxie y sont, à l’exception bien entendu de la Russie et de ses deux voisins très proches à tous égards que sont l’Ukraine et la Biélorussie.
Or il n’est un secret pour personne que la situation de la Grèce et de Chypre au sein de la zone euro, et par contrecoup au sein de l’Union européenne, sont de plus en plus sujettes à caution.
Quant à la Roumanie et à la Bulgarie, ce sont les deux derniers États à être entrés dans l’UE (en 2007), ils y sont considérés avec beaucoup de défiance par les 25 autres, et ils ont pour l’instant purement et simplement renoncé à entrer dans la zone euro.
C’est la raison pour laquelle il ne faut pas exclure que la Russie fasse un grand retour dans les pays orthodoxes des Balkans (Grèce, Bulgarie, Chypre, Serbie) à l’occasion de la désagrégation inéluctable de la zone euro et de l’Union européenne au cours des années qui viennent.
Le moins que l’on puisse dire c’est que la tournure des événements tend à accréditer cette hypothèse : après avoir lancé son pavé dans la mare, en préconisant la sortie de Chypre de l’Union européenne, le Primat de l’Église orthodoxe a également fait part de son intention de se rendre à Moscou “prochainement” pour s’entretenir avec des représentants des autorités ecclésiastiques et civiles. Et selon les journalistes de la chaine de télévision russe, cette visite de l’archevêque au Kremlin – qui ne serait d’ailleurs pas la première –a été concertée avec le président chypriote.
Autant dire que les années qui viennent seront fertiles en rebondissements et que la diplomatie russe aura tous les moyens d’y exercer ses immenses talents.
François ASSELINEAU
De gauche à droite sur ces deux photos prises au Kremlin :
- Sa Béatitude Chrysostome II, Primat de l’Église orthodoxe de Chypre,
- Le premier ministre russe Dimitri Medvevev (dans lequel une certaine croyance populaire russe actuelle aime voir un sosie physique de Nicolas II, tsar assassiné par les Bolcheviks en 1918 et qui a été canonisé par l’Église orthodoxe russe le 14 août 2000)
- Cyrille Ier, patriarche de l’Église orthodoxe russe, patriarche de Moscou et de toute la Russie