Résistante, gaulliste, symbole d’une France amie de tous les peuples du monde, Christiane Desroches-Noblecourt vient de mourir
La grande égyptologue française Christiane Desroches-Noblecourt est décédée hier, jeudi 23 juin 2011, à l’âge de 97 ans.
Elle n’avait que 9 ans lorsque Howard Carter découvrit, à partir du 4 novembre 1922, le trésor archéologique le plus extraordinaire de tous les temps : le tombeau quasiment inviolé de Toutânkhamon, l’un des derniers pharaons de la très célèbre XVIIIe dynastie.
Cette découverte fabuleuse devait décider de toute la vie de la jeune Christiane. Après une licence d’études égyptiennes à l’École pratique des hautes études, elle entra au département des Antiquités égyptiennes du musée du Louvre en 1936. Première femme nommée au poste de pensionnaire de l’Institut français d’archéologie orientale, elle fut également la première à diriger un chantier de fouilles en 1938.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, Christiane Desroches-Noblecourt s’engagea dans la Résistance. L’un de ses faits marquants fut de mettre à l’abri, en zone dite “libre”, les trésors du département égyptien du musée du Louvre.
L’INITIATRICE DU SAUVETAGE DES MONUMENTS DE NUBIE
Un premier barrage d’Assouan (à l’extrémité sud de l’Egypte) avait été inauguré en 1902, puis rehaussé en 1912, puis de nouveau en 1934. Mais, la capacité de ce barrage ne suffisant pas aux besoins d’une population toujours plus nombreuse, le gouvernement dirigé par Gamal Abdel Nasser décida, en 1954, d’édifier un nouveau barrage. Le lac de retenue créé devait avoir une capacité phénoménale de 157 milliards de mètres cubes, serait long de 500 kilomètres et recouvrirait ainsi même des terres au Soudan, État frontalier de l’Égypte au sud.
Vital pour faire face à l’explosion démographique égyptienne, ce nouveau barrage d’Assouan était cependant porteur d’un désastre culturel majeur puisque la plupart des temples antiques de la Nubie allaient être purement et simplement engloutis par le lac de retenue et donc perdus à tout jamais. Parmi eux figuraient les temples d’Abou Simbel, mondialement célèbres.
Pour empêcher cette destruction, l’UNESCO se tourna alors vers Christiane Desroches Noblecourt. Celle-ci était devenue entre-temps la conservatrice des Antiquités égyptiennes du Louvre et donc l’héritière à ce poste de Jean-François Champollion, le savant français qui parvint à déchiffrer les hiéroglyphes à l’automne 1822.
Christiane Desroches Noblecourt commença à établir un inventaire de tous les monuments menacés. Puis elle se mit en charge de trouver les fonds nécessaires pour sauver le plus grand nombre possible de ces monuments. Le 8 mars 1960, Christiane Desroches Noblecourt, en compagnie de Sarwat Okasha, ministre égyptien de la culture, lança un appel solennel à la solidarité mondiale depuis la tribune de l’UNESCO à Paris. En plus des quatorze temples qu’il fallait impérativement déplacer, il fallait procéder à des fouilles de toute urgence, sur des sites qui allaient être recouverts par des dizaines de mètres d’eau et qui n’avaient jusqu’alors été que très peu étudiés en détail.
André Malraux, alors ministre d’État chargé des Affaires culturelles, répondit aussitôt à l’appel au secours conjoint de Christiane Desroches Noblecourt et de Sarwat Okasha : « Le pouvoir qui en fit surgir les colosses aujourd’hui menacés, les chefs-d’œuvre du musée du Caire, nous parle d’une voix aussi haute que celle des maîtres de Chartres, que celle de Rembrandt. Votre appel n’appartient pas à l’histoire de l’esprit parce qu’il vous faut sauver les temples de Nubie, mais parce qu’avec lui, la première civilisation mondiale revendique publiquement l’art mondial comme son indivisible héritage. Il n’est qu’un acte sur lequel ne prévalent ni l’indifférence des constellations ni le murmure éternel des fleuves : c’est l’acte par lequel l’homme arrache quelque chose à la mort. »
Bien que le monde fût en pleine guerre froide, cinquante pays allaient se mobiliser, malgré leurs oppositions idéologiques, pour sauver ces trésors de l’humanité toute entière. Les temples de Philæ, Kalabcha, Ouadi es-Séboua, Dakké, Derr et d’autres sites furent déplacés. L’opération de sauvetage qui fascina le plus l’opinion publique mondiale fut celle des deux célèbres temples d’Abou Simbel. Le premier temple fut découpé en 807 blocs de roche et le second en 235. Tous les blocs furent transférés 60 mètres plus haut et remontés adossés à des dômes de béton sur lesquels furent reconstitués deux collines artificielles pour restituer à l’identique leur cadre d’origine.
CHRISTIANE DESROCHES-NOBLECOURT SAUVE LE TEMPLE D’AMADA AU NOM DE LA FRANCE
Parmi tous les temples à sauver, l’un des cas les plus délicats était celui du petit temple d’Amada à cause des reliefs miniatures et bien peints. Le découper en blocs comme pour Abou Simbel était irréalisable, car les peintures n’auraient pas résisté. Voyant que tous acceptent l’idée de voir ce temple englouti par les eaux limoneuses du lac Nasser, Christiane Desroches Noblecourt prit alors sur elle de s’écrier : « La France le sauve ! ».
Elle demanda à deux architectes de lui proposer une méthode pour déplacer le temple en un seul bloc. Ceux-ci imaginèrent alors de mettre le temple en précontrainte, de glisser des poutrelles en béton sous son assise, puis de le déposer sur une plate-forme munie de roues, de placer celle-ci sur des rails installés exprès, et de transporter le tout par piston à quelques kilomètres de là, en un lieu plus haut de soixante mètres. Il s’agissait en somme de transporter le temple tel quel en chemin de fer.
L’idée ayant été jugée réalisable techniquement, il fallait se donner les moyens financiers de la réaliser. À cet effet, Christiane Desroches Noblecourt demanda une audience à Charles de Gaulle, Président de la République, qui ignorait l’engagement qu’elle avait osé prendre elle-même, sans en référer à quiconque, au nom de la France. Lorsqu’il l’apprend, il se raidit : « Comment, madame, avez-vous osé dire que la France sauverait le temple, sans avoir été habilitée par mon gouvernement ? ». Jouant le tout pour le tout, Christiane Desroches Noblecourt répondit par l’attaque : « Comment, Général, avez-vous osé envoyer un appel à la radio, alors que vous n’aviez pas été habilité par Pétain ? ».
Le général sourit et le temple d’Amada fut bel et bien sauvé par la France, comme la conservatrice du département égyptien du Louvre s’y était engagée. (source : notice Wikipedia)
Heureuse époque où la République française trouvait toujours l’argent nécessaire lorsqu’il fallait le consacrer à de nobles causes et à la tenue du rang de la France !
LE SYMBOLED’UNE ÉPOQUE OÙ LE RAYONNEMENT POLITIQUE ET CULTUREL MONDIAL DE LA FRANCE ÉTAIT À SON APOGÉE
Le travail “pharaonique” qu’impulsa Christiane Desroches Noblecourt est illustré dans cette bande d’actualités ancienne tirée des archives de l’INA : http://www.ina.fr/video/AFE86000218/le-sauvetage-du-temple-d-amada.fr.html
Ce sauvetage des monuments de Nubie auquel s’était vouée Christiane Desroches Noblecourt allait avoir plusieurs conséquences heureuses.
- La première fut une amélioration très sensible des rapports franco-égyptiens, qui étaient devenus exécrables après la désastreuse intervention du Canal de Suez de 1956.
- Seconde conséquence, le gouvernement du Général Nasser donna son accord pour l’organisation d’une exposition Toutânkhamon au Petit Palais en 1967, dont fut chargée Christiane Desroches Noblecourt. Pour la première fois de son histoire, l’Égypte accepta d’envoyer à l’étranger une partie significative du trésor de Toutânkhamon – dont l’inestimable “Masque d’or”.
- Cette exposition, baptisée “Toutânkhamon et son temps”, fut inaugurée par le vice-premier ministre égyptien chargé de la Culture et par André Malraux, ministre d’État chargé des Affaires culturelles. Elle connut un triomphe sans précédent puisqu’elle draina 1 240 000 visiteurs en quelques semaines, ce qui constitua alors un record historique (qui ne fut de nouveau atteint par l’exposition sur Ramsès II en 1976). Les archives de l’INA permettent de découvrir avec émotion un extrait du discours inaugural très inspiré, quoi que prononcé de façon improvisée, par André Malraux : http://www.ina.fr/art-et-culture/musees-et-expositions/video/CAF89016160/malraux-inaugure-l-exposition-toutankhamon.fr.html
- Enfin, dernière conséquence, le gouvernement d’Anouar el-Sadate, qui avait succédé à Nasser décédé deux ans plus tôt, décida de remercier la France de sa contribution au sauvetage des monuments de Nubie, en offrant au Musée du Louvre l’un des objets les plus précieux et les plus rarissimes de toute l’antiquité égyptienne : un buste du père de Toutânkhamon, le pharaon Amenhotep IV, le fameux pharaon “hérétique”, inventeur du monothéisme plus connu sous le nom d’Akhénaton.
CONCLUSION
Le décès de Christiane Desroches Noblecourt, une des plus grandes égyptologues du XXe siècle, grand Croix de la Légion d’Honneur, doit être l’occasion pour nous de réfléchir à la destinée des peuples et des civilisations.
Dans son discours inspiré, prononcé pour l’inauguration de l’exposition “Toutânkhamon et son temps” de 1967, André Malraux faisait remarquer que la culture égyptienne était “funéraire mais n’était pas funèbre” et que sa célébration obsédante de la Mort était en réalité un hymne constant à la Résurrection et à la Vie.
Sans doute le très politique et très subtil ministre de la Culture de Charles de Gaulle, en glissant ces remarques au Vice Premier ministre égyptien, avait-il à l’esprit que cette métaphore s’appliquait aussi très bien à la France et à ses rapports avec les pays non alignés.
Car si l’exposition Toutânkhamon avait pu se tenir en 1967 à Paris, c’était aussi parce que la France était redevenue la France aux yeux des peuples du monde. Parce que, quelques mois auparavant, Charles de Gaulle
- avait bloqué la construction européenne avec le Compromis de Luxembourg ;
- avait exigé du gouvernement américain qu’il mette un terme au déficit de sa balance des paiements courants et qu’il respecte donc l’étalon de change-or, seule barrière à une extorsion financière mondiale sans limite ;
- avait fait fermer les bases américaines installées en France ;
- avait fait sortir notre pays du commandement militaire intégré de l’OTAN ;
- avait dénoncé l’enlisement américain au Vietnam ;
- avait entamé la politique de détente avec l’Union soviétique. Cette France redressée et indépendante, ayant rompu le sortilège mortel de la IVe République qui l’avait placée sous tutelle américaine, n’était-ce pas une résurrection justement ?
En 1967, il n’était nullement question de “crise de la dette publique”, ni des “problèmes de l’euro”, ni de la “nécessité de réintégrer l’OTAN”, ni de“mondialisation inévitable”, ni de “terrorisme islamique” ni de “Choc des Civilisations”. La France tenait hautement son rang face aux Américains et face aux tentatives de vassalisation par “construction européenne” interposée. La France tendait fraternellement la main au pauvre peuple égyptien pour l’aider à sauver son patrimoine historique, et cela au nom d’une solidarité de l’humanité tout entière.
Dans les années qui viennent, au cours de cette seconde décennie du XXIe siècle qui s’annonce comme si troublée, la France devra rompre de façon sereine et décisive avec cette “crise de la dette publique”, avec ces “problèmes de l’euro”, avec l’OTAN, avec cette prétendue “mondialisation inévitable”, avec cette obsession du“terrorisme islamique” et avec cette prophétie macabre du “Choc des Civilisations”. Fidèle aux plus grandes heures de son histoire, la France devra en revanche tendre de nouveau et fraternellement la main à tous les peuples du monde, quelles que soient leur appartenance continentale, leurs options politiques ou leurs cultures religieuses, et cela au nom d’une solidarité de l’humanité tout entière.
C’est en agissant de la sorte que notre génération sera la plus fidèle, non seulement aux enseignements de Charles de Gaulle, d’André Malraux et de Christiane Desroches-Noblecourt, mais aussi de toute cette génération de Français, de droite ou de gauche, qui avaient su redresser la France, lui rendre sa dignité et son indépendance, et lui redonner sa vertu d’exemplarité aux yeux des peuples du monde.
C’est en quelque sorte à une Résurrection de la France qu’une réflexion sur le destin de Christiane Desroches Noblecourt nous convie.
François ASSELINEAU