L’élection présidentielle philippine sous la surveillance de Washington
Un dossier passionnant conçu et rédigé par Tristan Valette, adhérent UPR expatrié aux Philippines.
Tristan Valette, adhérent UPR expatrié aux Philippines, travaille actuellement à Manille comme ingénieur pour une entreprise française. À défaut de pouvoir s’impliquer concrètement dans la politique française, il a pris goût à suivre l’actualité politique des Philippines, et s’intéresse tout spécialement à la campagne présidentielle qui bat son plein et trouvera son épilogue lundi 9 mai.
Comme les informations sur ce qui se passe dans ce pays de 105 millions d’habitants sont très rares dans les médias français, notre adhérent a eu l’idée de nous faire parvenir une analyse du déroulement de cette campagne présidentielle. Car elle s’est révélée passionnante et riche en leçons, notamment quant au traitement réservé aux “outsiders” et candidats non alignés sur Washington.
Ce qui est spécialement intéressant, c’est que l’on retrouve, à 11 000 km de Paris, des “ingrédients électoraux” que l’on retrouve partout ailleurs dans le monde dans les démocraties placées sous la tutelle idéologique, médiatique et financière des États-Unis. C’est cela qui a donné envie à notre adhérent de rédiger ce petit dossier et de le partager avec les adhérents et sympathisants de l’UPR.
Qu’il en soit ici très vivement remercié.
François Asselineau
En ce 5 mai 2016, la campagne présidentielle est sur le point de s’achever et aboutira ce Lundi 9 mai à l’élection du nouveau Président de la République des Philippines.
La campagne se déroule en un seul tour et oppose 5 candidats qui s’affronteront pour succéder à Benigno Aquino III, actuel président des Philippines et membre du Parti Libéral.
C’est dans une atmosphère particulièrement tendue et électrique que s’achève cette campagne car le pouvoir en place (pro-libéral) risque de perdre la main au profit d’un candidat bénéficiant d’un très grand soutien populaire et réputé pour être difficilement manipulable : Rodrigo Duterte.
Les cinq candidats peuvent être classés en deux catégories :
Trois candidats incarnant la “continuité”…
1. Mar Roxas
Âgé de 58 ans, candidat officiel du Parti Libéral (parti sortant), candidat typique du système, petit-fils d’un ancien président des Philippines, formé aux États-Unis, Mar Roxas est le chouchou des médias du pays et des cercles d’affaires philippins.
Il est impliqué notamment dans une affaire révélée par Wikileaks (fuite de l’ambassade américaine à Manille) où il aurait agi en faveur des intérêts de l’industrie pharmaceutique américaine au détriment des intérêts philippins.
Mar Roxas est en quelque sorte le Alain Juppé des Philippines, avec 12 ans de moins et avec le charisme de François Hollande…
2. Grace Poe
Âgée de 48 ans, candidate indépendante, Grace Poe a pu miraculeusement se présenter. Elle avait pourtant abandonné sa citoyenneté philippine pour se faire naturaliser… citoyenne américaine en 2001 ! Avant de faire marche arrière quelques années plus tard.
Cet aller-retour suspect l’a mise dans une situation litigieuse vis-à-vis des règles de présentation à l’élection présidentielle.
Du reste, son mari et ses enfants sont eux-mêmes citoyens américains…
Son mari Neil Llamanzares, millionnaire, est notamment réserviste de l’US Air Force et ancien employé de la SAIC, un service d’intelligence privé qui fut longtemps le premier prestataire de la NSA et un des cinq prestataires principaux de la CIA.
L’atout principal de Grace Poe réside dans… son nom de famille : elle fut adoptée par une super star du cinéma aux Philippines, Ferdinand Poe, aujourd’hui décédé, et elle joue à-fond dessus. Elle joue aussi beaucoup sur le fait d’être une femme.
Son discours de sortie lors du débat présidentiel a consisté en une tirade – probablement conçue par une agence de com’ – semblable à celle de François Hollande en 2012, avec “En tant que femme…” au lieu de “Moi, président”.
Grace Poe est une sorte de Hillary Clinton version édulcorée, qui est systématiquement présentée tout de blanc vêtue, en madone protectrice vivant dans un monde de bisounours. Elle rapporte toutes les questions à la maternité et à la tendresse, utilisant ainsi son inexpérience complète comme un atout en proposant une approche neuve et maternelle…
3. Jejomar Binay
Âgé de 73 ans, ancien Vice-Président du gouvernement Aquino (ayant démissionné en 2015 pour marquer une distance avec le gouvernement et préparer l’élection présidentielle), maire de Makati, ville résidentielle du grand-Manille, Jejormar Binay est régulièrement impliqué dans des affaires de corruption. Il est de notoriété publique qu’il a bâti sa fortune grâce à ses activités publiques…
À la différence des deux candidats précédents, il ne semble cependant pas particulièrement lié aux États-Unis. Il semble plutôt vouloir défendre ses propres intérêts et peut être éviter de finir en prison grâce à l’immunité présidentielle. Car de nombreux dossiers le concernant sont en suspens et les choses s’annoncent mal pour lui.
Deux candidats incarnent le “changement”…
4. Miriam Defensor Santiago
Personnalité philippine brillante et appréciée par ses concitoyens, Miriam Defensor Santiago est une sénatrice réputée pour sa poigne et sa droiture, notamment sur des affaires de corruption (un des fléaux des Philippines).
Mais elle souffre de sérieux problèmes de santé et mène une campagne très modeste qui lui donne une exposition limitée et la disqualifie d’avance pour cette élection. Elle est créditée de 2% d’intentions de vote.
5. Rodrigo Duterte
Personnalité incontournable aux Philippines, Rodrigo Duterte est le maire charismatique de Davao, ville de la grande île de Mindanao, qui était la capitale du crime des Philippines et qu’il a transformée en une ville aujourd’hui réputée comme étant l’une des plus sûres d’Asie du Sud Est.
C’est autour de lui que se cristallise toute l’attention au cours de cette campagne et il est présenté comme le « game changer ». Il a consacré la majeure partie de sa vie à Davao où il est élu et réélu avec une très large majorité des voix depuis les années 1980 (généralement plus de 80% des voix) et a décliné plusieurs offres pour devenir ministre durant sa carrière, préférant se consacrer à sa ville.
Il est très apprécié des citoyens de Davao pour avoir mis en place de nombreux programmes exemplaires dans le pays (protection des femmes, centre de ré-insertion pour drogués repentis, numéro et service centralisé de réponse aux urgences, infrastructure, etc.) et transformé leur ville en un havre de paix dans un contexte particulièrement difficile : Mindanao (région du sud des Philippines) est rongé par la criminalité et la forte activité de groupes terroristes rend la zone très instable.
Sa simplicité est également appréciée et tranche avec les autres candidats qui font partie de l’hyper classe philippine : il vit de son côté dans une maison relativement modeste à Davao, loin du « bling-bling » de l’élite de Manille, et est très proche de ses concitoyens (il se rend notamment personnellement au contact des différentes communautés pour régler les problèmes directement et est réputé pour conduire un taxi certaines nuits et simplement offrir des courses et en profiter pour échanger sur la vie de Davao, les problèmes rencontrés, etc. – (ps : loin des caméras : ce sont des anecdotes qui ne sont pas rapportées par les médias et qui me sont racontées par les personnes que je connais qui vivent à Davao, où je me suis moi-même rendu).
Carte du ministère français des affaires étrangères mettant en garde les touristes sur les zones des Philippines à éviter. Depuis plusieurs décennies, l’ensemble de la grande île du sud (Mindanao) était en zone “rouge”. Désormais, Davao figure en orange (zone de risque moyen), au milieu d’une zone présentée comme très dangereuse (en rouge).
Pour l’anecdote, il s’était mis en froid avec la Maison Blanche au début des années 2000 suite à une série d’explosions dans Davao dont la paternité devait être attribuée à des mouvements islamistes… mais qu’il avait révélé être le résultat de l’action d’agents de la CIA. L’ambassadeur des États-Unis s’était alors rendu à Davao pour faire en sorte d’étouffer l’affaire.
Suite à cela, Rodrigo Duterte s’était rendu au sein des communautés musulmanes de Davao pour renouveler sa confiance et garantir l’unité entre les différentes religions, approche qu’il a toujours favorisée. C’est cette cohabitation pacifique entre les différentes communautés qui garantit la stabilité de Davao (Source : ça n’avait pas été ébruité mais m’a été raconté par plusieurs sources de confiance qui ont vécu ces événements à Davao, puis j’en ai trouvé un compte rendu d’une autre source confirmant précisément cette histoire (une histoire rocambolesque qui vaut le détour !).
Malgré tout, il est fortement critiqué par des associations de protection des Droits de l’Homme pour ses liens supposés avec les Davao Death Squad, milices dont l’existence n’a jamais été formellement prouvée mais qui seraient responsables de nombreuses exécutions sommaires visant des trafiquants de drogue et autres criminels.
Plus récemment, il s’est mis une partie de l’opinion publique à dos suite à un “dérapage”, une remarque honteuse et déplacée sur une histoire impliquant une citoyenne australienne violée. Les ambassades australiennes et américaines sont alors intervenues et la réponse du candidat Duterte ne s’est pas fait attendre : « It would do well with the American ambassador and the Australian ambassador to shut their mouths ».
Il envisagerait également de renforcer les liens avec la Chine, ce qui est très mal perçu par toute une classe des Philippines – ce 51e état américain – et il entretient des liens ambigus avec le NPA, milice communiste (ce qui a néanmoins permis la libération de plusieurs otages récemment car le NPA a une forme de respect pour lui).
C’est aujourd’hui ce candidat au style très particulier, au langage grossier et au tact inexistant qui est annoncé vainqueur de l’élection à venir avec une large avance sur ses opposants dont les voix sont divisées entre Grace Poe, Mar Roxas et Jejomar Binay. La ferveur populaire est impressionnante, et la société est aujourd’hui divisée entre les pro-Duterte et les anti-Duterte.
L’élection présidentielle va-t-elle être truquée par les réseaux pro-Washington ?
A ce stade, de nombreux observateurs commencent à redouter que l’élection soit truquée pour empêcher Rodrigo Duterte de la remporter.
Des signes émergent, des témoignages de cas de fraudes (sur des votes pour les ressortissants vivant hors des Philippines notamment) commencent à se faire entendre et certaines personnalités reconnues prennent la parole, à commencer par une autre candidate, Miriam Defensor Santiago.
Son avis est d’autant plus intéressant qu’elle doit avoir une compréhension générale des événements supérieure à la moyenne. Sénatrice présentée comme la « personnalité la plus récompensée » des Philippines, elle a exercé dans les trois branches du gouvernement (exécutif, législatif et judiciaire), elle est reconnue comme « experte en lois internationales » par les Nations-Unies, elle a également été consultante pour l’ambassade des Philippines à Washington, consultante pour les Nations Unies à Genève et est intervenue dans les universités suivantes : Harvard, Stanford, Princeton, Berkeley et l’Académie du Droit International de La Haye.
Ce 5 mai 2016, elle vient tout juste de mettre publiquement en cause la CIA en déclarant publiquement :
« Je crains sérieusement qu’il y ait une fraude à très grande échelle pendant ces élections. Nous avons un candidat qui a des liens avec le parti communiste (Rodrigo Duterte). La CIA a alloué de l’argent et des ressources pour surveiller l’élection car le pays est à une position stratégique en Mer de Chine. Je ne sais pas combien d’argent ils ont donné, mais la CIA garde toujours un œil méfiant pendant les élections. La CIA ne va pas se résoudre à éliminer un candidat car ça déclencherait une vague de violence mais ils auront une influence sur ces élections. »
(Source + enregistrement audio de la conférence).
Les jours à venir risquent d’être particulièrement intenses avec notamment le démarrage aujourd’hui (Jeudi 5 mai) d’une campagne, sur financements privés, de spots TV « Anti-Duterte » qui passent sur les principales chaînes de télé et devraient s’intensifier demain.
Ces spots mettent en scène des enfants effrayés avec des morceaux choisis défavorables au candidat et s’ajouteront à une campagne de dénigrement qui bat son plein depuis plusieurs jours (accusations de corruption qui poussent comme des champignons depuis une semaine… mais qui font pschitt après quelques jours) et sont autant de signes d’un pouvoir en place aux abois et qui s’abaisse aux coups les plus bas pour déstabiliser son principal ennemi… ou pour conditionner l’opinion publique à une victoire d’un candidat rival en cas de fraude ?
Pour information, près de 100 000 machines de votes électroniques de la société Smartmatic (collaborateur de Georges Soros) seront utilisées lors de cette élection…
Affaire à suivre donc !
Tristan VALETTE
Adhérent UPR expatrié aux Philippines