DES ÉCONOMISTES DE RENOM DOUTENT DE L’EURO – Traduit par Vincent Brousseau, un article paru dans le grand quotidien allemand Die Welt confirme pile-poil les analyses de l’UPR !.
Le journal allemand Die Welt a publié, il y a quelques jours (le 15 mars 2018), un article relatant la tenue d’une récente conférence à Berlin, réunissant plusieurs économistes allemands de grand renom, sur un sujet explosif : « L’euro peut-il vraiment survivre et, sinon, que va-t-il se passer ? ».
L’article du grand quotidien allemand vaut la lecture. Car on y découvre que les économistes les plus respectés d’Allemagne posent désormais sur la place publique la question de la divergence des soldes Targets et de la viabilité de la monnaie européenne. Ils confirment ainsi, avec plusieurs années de retard, la justesse et la clairvoyance des analyses de l’UPR.
Pour l’information de nos adhérents et sympathisants, Vincent Brousseau, responsable national chargé des questions monétaires et du rétablissement du franc, a traduit l’article de Die Welt. Il en a profité pour souligner quelques erreurs techniques commises par le journaliste ou par les participants au débat, confirmant ainsi que l’UPR dispose en sa personne de l’un des meilleurs experts mondiaux de la monnaie européenne.
Source : https://www.welt.de/print/die_welt/finanzen/article174565168/Top-Oekonomen-zweifeln-am-Euro.html
Des économistes de renom doutent de l’euro
Par Holger Zschäpitz — Temps de lecture : 5 minutes
La bonne conjoncture économique dissimule le fait que la monnaie unique est fragile. M. Fuest, patron de l’IFO1, prône maintenant l’introduction d’une clause de sortie.
Hans-Werner Sinn est de retour, et il n’est pas content. Comme il agite frénétiquement les bras, on s’attendrait presque à le voir décoller. Un simple nombre, voilà ce qui le met en rage — 914 milliards. C’est à ce niveau incroyable que vient de monter ce qu’on appelle le solde Target [de l’Allemagne, NDT]. Il s’agit de ces créances internes à l’eurosystème que détient la Bundesbank sur les autres banques centrales de la zone, et d’abord sur celles des pays du Sud, qui se sont empilées au cours des années. 914 milliards d’euros, c’est presque quatre mois du PIB allemand. « C’est beaucoup d’argent », dit Sinn. Hors d’haleine, l’ancien chef de l’IFO assène au public : « Je ne sais pas si l’euro va tenir dans la durée, mais son système de fonctionnement est condamné. »
La sortie passionnée de Sinn montre que la zone euro est encore bien loin d’être tirée d’affaire, contrairement à ce que politiciens et médias disent le plus souvent. À Berlin s’est tenue ce mardi une conférence rassemblant d’illustres économistes. Leur but ? Mettre au point un plan de secours pour le cas d’une implosion de la zone euro. Sous le titre Is the euro sustainable — and what if not? (en allemand, à peu près : « Ist der Euro wirklich überlebensfähig und was, wenn es nicht so ist ? », et en français : « L’euro peut-il vraiment survivre et, sinon, que va-t-il se passer ? »), des économistes de premier plan tant allemands qu’internationaux ont débattu des coûts et des suites d’une chute de l’euro, ainsi que des réformes qui pourraient permettre de faciliter une sortie de l’union monétaire, et enfin de l’expérience historique que nous apportent les différents échecs d’anciennes monnaies plurinationales…
Les hôtes de la conférence tenue à Berlin étaient l’ESMT, un établissement privé d’enseignement supérieur, et le Max-Planck-Institut für Steuerrecht und Öffentliche Finanzen.
Certes, la situation de l’union monétaire paraît s’être normalisée du fait de reprises conjoncturelles synchrones dans ses États membres, mais la montée des soldes Target met en évidence ses fragilités. Et les élections italiennes ont prouvé que le danger d’une fin de l’euro est tout sauf écarté. Pourtant, alors que les politiques se préoccupent de tous des moyens de rendre plus stable la zone euro, ces économistes veulent aussi que soient prises des mesures préventives pour le cas où l’euro en viendrait à s’éteindre.
« La probabilité d’une chute de l’euro n’est pas nulle. En tant que scientifiques, nous devons prendre en compte cette éventualité », déclare Kai Konrad, spécialiste de la finance travaillant chez l’un des organisateurs de la conférence, le Planck-Institut.
Selon ces économistes, trois scénarios sont envisageables : la sortie d’un pays sans l’accord des autres, ou bien avec leur accord, ou bien encore l’exclusion d’un pays contre son gré… Il n’existe de cadre légal pour aucun de ces trois scénarios, déclare Clemens Fuest, actuel chef de l’IFO.
Pour le moment, la zone euro possède, du fait de l’article 50 du traité sur l’Union européenne, une clause de sortie, mais qui lie obligatoirement la sortie de l’euro à celle de l’UE elle-même. « Cet état de choses n’est pas souhaitable, dit Fuest. Puisque pour le moment aucune sortie n’est à l’ordre du jour, c’est donc le bon moment pour discuter à fond d’une clause de sortie de l’euro. » On pourrait l’entamer dans le cadre de la discussion plus générale sur la réforme des traités. Fuest ne recommanderait pour le moment la sortie d’aucun État membre spécifique. Selon lui, une telle clause pourrait même avoir une influence bénéfique en incitant les membres à l’autodiscipline. « L’appartenance à la zone euro implique l’acceptation des règles qui la régissent », déclare Fuest, dont le regard se tourne particulièrement vers l’Italie. Dans ce pays, le chef du parti populiste de droite de la Lega, Matteo Salvini — au passage l’un des vainqueurs de l’élection —, demande que l’Italie s’affranchisse des accords fiscaux qu’elle a pourtant elle-même signés. « Ce n’est pas compatible avec l’appartenance à l’euro », précise Fuest.
Certains économistes pourraient se réjouir à l’idée d’exclure de l’euro ceux qui en violent régulièrement les règles. Il ne semble pas, pour le moment, que des États envisagent de se protéger, au moyen d’une option de sortie, de l’obligation d’effectuer des transferts financiers vers d’autres États mais, pour ce qui est de l’avenir, on ne saurait l’exclure absolument. « Les grands avantages économiques de règles encadrant les sorties seraient que les coûts économiques de ces sorties, y compris la montée de l’incertitude qui en résulterait, s’en verraient diminués, et que se réduiraient les risques de conflits entre États membres et État sortant », dit Fuest. Par contre, il se pourrait que l’incertitude croisse concernant la pérennité de la zone euro. « Voilà qui plaide en faveur de la mise en place de solides procédures faisant obstacle aux éventuelles sorties, mais non pas en faveur de l’absence de toute règle régissant lesdites sorties », explique Fuest.
Des clauses de sortie et de sécession pourraient tout d’abord servir de protection contre la redistribution au détriment des États individuels. Les États les plus riches comme l’Allemagne ou les Pays-Bas pourraient se trouver protégés de la transformation de la zone euro en une union de transfert par l’existence d’une clause de retrait. Cependant, une telle clause pourrait également aider les pays les plus faibles. Ceux-ci, telle l’Italie, pourraient redevenir plus compétitifs en revenant à leur propre monnaie nationale.
À quel point ces différences sont élevées, voilà ce que Sinn rend tout à fait clair. Selon lui, pour que les pays les plus faibles arrivent à soutenir la compétition avec l’Allemagne, il faudrait qu’en Allemagne durant les dix prochaines années l’inflation dépasse de 4,5 % celle du reste de la zone.
La sortie d’un autre pays reviendrait cher à l’Allemagne. Dans ce cas, la Bundesbank perdrait les créances Target qu’elle détiendrait sur ce pays2. Si maintenant c’était l’Allemagne qui s’en allait, c’est la créance Target totale de plus de 900 milliards qui serait perdue3.
Mais les historiens de l’économie présents à la conférence ont mis en garde contre la tentation de prendre à la légère le scénario de la fin de l’euro. Ils ont fait remarquer que l’expérience historique montre que la fin d’une monnaie plurinationale s’accompagne le plus souvent de la fin de l’union douanière à laquelle elle correspondait. « En règle générale, la chute d’une union monétaire conduit aussi à la chute de l’union douanière correspondante », affirme Albert Ritschl, historien de l’économie à la London School of Economics…,
Voilà la quintessence de cette conférence sur l’euro. Bien qu’elle n’ait débouché sur aucun plan d’action il reste que, pour la première fois, des économistes de haut rang se sont aventurés sur ce terrain politiquement miné.
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NOTES DU TRADUCTEUR
1 Prestigieux institut d’études économiques, l’Ifo (Institut für Wirtschaftsforschung ) de Munich est l’institut de recherche économique responsable de l’ifo Geschäftsklimaindex, l’indicateur très influent du moral des patrons en Allemagne, et donc du climat des affaires, établi sur la base d’une série de questions posées à environ 7000 chefs de différentes entreprises allemandes et publié chaque mois pour chaque branche.
2 L’auteur, ou bien celui dont il reprend le propos, oublie ici que ces créances sont mutualisées, en ce qu’elles sont transformées en créances (ou dettes) d’une banque centrale nationale sur (ou envers) la BCE. Il n’existe donc pas de créance de la Bundesbank sur, spécifiquement, la Banca d’Italia par exemple. La perte que subirait la Bundesbank du fait des seules Target, ainsi que l’explique l’article https://www.upr.fr/actualite/france/frexit-urgent-vincent-brousseau, serait « simplement » égale aux Target italiennes multipliées par le pourcentage de parts de la Bundesbank sur la BCE après l’exclusion de l’Italie. Ce qui fait un peu moins que ce qu’envisage l’auteur, la différence étant supportée par les autres banques centrales, dont notamment la Banque de France (NDT).
3 Là encore, il faut rectifier. L’Allemagne ne perdrait que du fait que ses créances resteraient libellées en euros alors qu’elle aurait retrouvé le mark et que l’argent qu’elle aurait mis en circulation du fait notamment des transferts Target, étant créance sur la Bundesbank, serait du mark. Elle paierait une prime de sortie négative, c’est-à-dire qu’elle recevrait de l’argent, la somme reçue étant égale à sa créance Target moins les billets euro qu’elle aurait mis, en net, en circulation depuis le 01/01/2002. Le détail est expliqué dans l’article suivant. (NDT)
Traduction et analyse : Vincent Brousseau