14 juillet, fête nationale : une idée venue de la gauche, pour un rassemblement républicain au-delà du clivage droite-gauche

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un rassemblement républicain venu de la gauche

La naissance du 14 juillet comme fête nationale s’est inscrite dans le prolongement des débuts très difficiles de la Troisième République, entre 1870 et 1875, puis de la fameuse crise du 16 mai 1877. On ne peut donc pas parfaitement comprendre sa genèse si l’on n’en revient pas à ces dates.

L’incertitude sur l’avenir institutionnel de la France après le désastre de Sedan

Lorsque le Second Empire s’effondra avec la défaite de Napoléon III à Sedan le 4 septembre 1870, la République fut aussitôt proclamée à Paris. Après le 21 septembre 1792 et le 24 février 1848, c’était la troisième fois que l’on proclamait l’établissement d’un régime républicain.

Cependant, l’opinion publique française restait très divisée. En 1870, elle se scindait approximativement en trois blocs, avec une majorité favorable au rétablissement de la monarchie :

  • Les « légitimistes » : une partie des Français était favorable au retour pur et simple à l’Ancien Régime d’avant 1789. Ils refusaient le drapeau tricolore et le principe de la « souveraineté nationale » (c’est-à-dire du peuple). Ils proclamaient la primauté de la « souveraineté de droit divin » dont bénéficiait la maison de Bourbon. Ils souhaitaient en conséquence le rétablissement sur le trône de la lignée directe de Louis XIV, qui s’incarnait par son seul descendant mâle, le petit-fils de Charles X : Henri, Comte de Chambord, qui serait devenu Henri V. Cette fraction de l’opinion, que l’on qualifierait de droite ou d’extrême droite de nos jours, était appelée les « légitimistes » et parfois qualifiée d’ « ultras ».
  • Les « orléanistes » : une autre partie des Français était favorable au retour à la Monarchie de Juillet, incarnée de 1830 à 1848 par Louis-Philippe Ier. C’est-à-dire à une monarchie ayant pris acte d’un certain nombre d’acquis de la Révolution française, à commencer par le drapeau tricolore, symbole de « souveraineté nationale ». Favorable à une monarchie constitutionnelle qui aurait pu évoluer vers le modèle britannique, cette fraction de l’opinion était appelée les « orléanistes » car partisans du descendant de Louis-Philippe, donc des Ducs d’Orléans. Face aux légitimistes, les orléanistes soutenaient le comte de Paris, comme successeur au trône de France. De nos jours, on les qualifierait de centre-droit ou de centristes.
  • Les « républicains » : enfin, une dernière partie des Français, importante mais non majoritaire, était favorable à l’abolition de toute monarchie et au rétablissement de la République. Ces « républicains » allaient du « centre gauche » d’Édouard de Laboulaye à « l’Union républicaine » de Gambetta – que l’on classerait de nos jours presque à l’extrême gauche -, en passant par la « gauche républicaine » de Jules Ferry.

Les années 1871 – 1875 furent donc marquées par une grande incertitude sur le régime futur de la France puisque, si la République avait été proclamée à la hâte en 1870, il ne se trouvait pas une majorité de parlementaires issus des premières élections législatives pour la soutenir. Dès lors, il n’y eut pas d’Assemblée constituante pour rédiger une nouvelle Constitution et l’on se contenta d’un régime provisoire et ambigu.

Dans cette attente, les orléanistes jouèrent un rôle politique important. Ils soutinrent Adolphe Thiers puis le maréchal de Mac Mahon, eux-mêmes orléanistes, comme chefs d’État. Ce qui fut la cause de cette curiosité historique consistant à voir des monarchistes propulsés à la tête d’une « République » incertaine.

Jusqu’en 1873, les monarchistes des deux camps (légitimistes et orléanistes) s’étaient mis d’accord sur un régime provisoire avec une seule Chambre des députés (sans Sénat) et, comme cette Chambre était à majorité monarchiste, ils escomptaient bien restaurer la monarchie. À l’automne 1873, l’opinion publique y était d’ailleurs prête puisque les orléanistes et les légitimistes s’étaient entendus sur le nom d’Henri, Comte de Chambord, le chef des légitimistes. Cependant, fin octobre 1873, le refus du futur Henri V d’accepter le drapeau tricolore et ce qu’il sous-entendait, empêcha cette nouvelle Restauration.

Henri, Comte de Chambord, était le fils du défunt Duc de Berry, le petit-fils de Charles X, et le dernier et le seul descendant mâle en ligne directe de Louis XIV. Henri, Comte de Chambord, était le fils du défunt Duc de Berry, le petit-fils de Charles X, et le dernier et le seul descendant mâle en ligne directe de Louis XIV. Il fut à deux doigts de monter sur le trône à l’automne 1873 sous le nom de Henri V, mais il s’y refusa parce qu’il ne voulait accepter ni le drapeau tricolore ni le principe de souveraineté nationale que ce drapeau symbolise. Le Comte de Chambord mourut sans descendance en 1883, laissant ouverte la querelle de la succession dynastique entre les « légitimistes », désormais partisans de la branche des Bourbons d’Espagne, et les « orléanistes », partisans des descendants de Louis-Philippe Ier et du Comte de Paris.

L’instauration de la Troisième République en catimini, par l’amendement Wallon

Ce fut le célèbre « amendement Wallon » au projet de lois constitutionnelles du début 1875 qui allait, non moins étrangement, trancher la question institutionnelle, presque en catimini.

Au lieu de proposer une formulation décisive, le député du Nord Henri Wallon eut l’habileté, le 30 janvier 1875, de proposer un simple « amendement » formulé comme suit :

« Le président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages par le Sénat et la Chambre des députés réunis en Assemblée nationale. Il est nommé pour sept ans ; il est rééligible. »

Mine de rien, ce texte confirmait noir sur blanc à la fois l’existence de la « République », de la fonction de « président de la République » et du principe du septennat, lequel avait déjà été acté le 20 novembre 1873 afin de prolonger les pouvoirs du maréchal de Mac Mahon. (Le septennat subsista jusqu’au référendum du 24 septembre 2000 approuvant le quinquennat présidentiel).

Cet amendement Wallon fit l’objet de débats extrêmement intenses à la Chambre des députés et ne fut adopté qu’à une seule voix de majorité, en première lecture, avec 353 voix pour et 352 voix contre. L’ironie de l’histoire veut que nombre de députés monarchistes orléanistes votèrent cet amendement en en sous-estimant la portée et en affirmant que, de toute façon, la République ne durerait pas plus de deux ou trois ans…

Henri-Wallon

Henri Wallon (1812 – 1904), auteur du célèbre amendement qui porte son nom.

En définitive, l’adoption de l’amendement Wallon par les députés mit un terme au caractère provisoire des institutions et fit de la République le régime politique de la France. Comme le résuma malicieusement Henri Wallon : « Ma proposition ne proclame pas la République, elle la fait. »

Cependant, cette installation presque fortuite de la République dans un pays majoritairement monarchiste n’allait pas se révéler sans difficultés. Elle provoqua plusieurs secousses politiques au cours des années ultérieures, dont la principale fut la grave crise institutionnelle du 16 mai 1877.

La crise du 16 mai 1877 et le triomphe de l’Union républicaine

Entre temps, les élections législatives de 1876 avaient amené une majorité républicaine à la Chambre des députés. Ce qui ne pouvait manquer de créer rapidement un problème de « cohabitation » entre le président de la République monarchiste – le maréchal Patrice de Mac Mahon – d’un côté, et la majorité républicaine – et notamment l’un de ses principaux responsables, Léon Gambetta de l’Union républicaine – de l’autre côté.

Mac-Mahon

Patrice de Mac Mahon, président de la République au moment de la crise du 16 mai 1877.

La crise de cohabitation démarra le 16 mai 1877, lorsque le président Mac Mahon décida de révoquer le  président du Conseil, Jules Simon (de gauche), et de défier la Chambre des députés en nommant à sa place Albert de Broglie, un chef de gouvernement de droite, conforme à ses vues politiques, qui étaient opposées à celles du parlement.

Dès le lendemain, à la Chambre des députés, Léon Gambetta fit voter une motion refusant la confiance à ce nouveau gouvernement d’Albert de Broglie. En guise de réplique, le président de la République décida de dissoudre la Chambre des députés le 25 juin 1877, après avoir obtenu l’accord nécessaire du Sénat.

Après une campagne électorale virulente, ponctuée de nombreux déplacements de Gambetta à travers toute la France, les élections législatives des 14 et 28 octobre 1877 virent la victoire de la gauche.

Après que Mac Mahon eut songé à dissoudre une nouvelle fois la Chambre des députés (ce qui lui fut refusé par le président du Sénat), puis qu’il eut nommé un nouveau gouvernement minoritaire (celui de Gaëtan de Rochebouët, qui fut censuré par la Chambre des députés), le président de la République finit par se soumettre en reconnaissant sa défaite politique le 13 décembre 1877.

La portée de cette crise politique fut immense : elle installa définitivement le régime républicain, encore très fragile, et ruina les espoirs de Restauration rapide nourris par les monarchistes, notamment par les orléanistes après la renonciation du Comte de Chambord. Elle fixa également la pratique politique des institutions jusqu’à 1958, en écartant l’interprétation « orléaniste » des lois constitutionnelles de 1875 — qui aurait rendu le gouvernement responsable à la fois devant le chef de l’État et le parlement, ce qui revenait à à reconnaître au président un rôle actif dans la gestion du pays —, et cela au profit d’une interprétation strictement républicaine où le gouvernement ne dépend que du parlement, qui l’investit et le révoque.

Leon-GambettaLéon Gambetta, chef de l’Union républicaine et principal artisan de la démission du maréchal de Mac Mahon, qui survint le 30 janvier 1879. C’est au cours de l’intense campagne électorale de 1877 qu’il prononça – le 15 août 1877 devant la foule réunie à Lille – un discours visant Mac Mahon, discours dont l’envolée finale est restée célèbre : « Ne croyez pas que quand ces millions de Français, paysans, ouvriers, bourgeois, électeurs de la libre terre française, auront fait leur choix, et précisément dans les termes où la question est posée ; ne croyez pas que quand ils auront indiqué leur préférence et fait connaître leur volonté ; ne croyez pas que lorsque tant de millions de Français auront parlé, il y ait personne, à quelque degré de l’échelle politique ou administrative qu’il soit placé, qui puisse résister.

Quand la France aura fait entendre sa voix souveraine, croyez-le bien, Messieurs, il faudra se soumettre ou se démettre. »

L’utilité d’une fête nationale pour asseoir définitivement le principe de la République dans l’opinion publique française

Les partisans du retour à la monarchie se faisant de moins en moins nombreux dans l’opinion, le président de la République royaliste Mac Mahon, découragé par son échec cinglant lors de la crise du 16 mai 1877, finit par démissionner de la présidence de la République le 30 janvier 1879.

Il y fut remplacé par un républicain modéré, Jules Grévy, qui allait progressivement instaurer le principe du président de la République honorifique de la IIIe République, celui dont on a dit qu’il « inaugurait les chrysanthèmes ».

Désormais parvenus à toutes les commandes du pouvoir, les républicains prirent alors toute une série de mesures symboliques visant à enraciner définitivement le sentiment républicain en France :

  • a) en 1879, ils re-transférèrent le siège des pouvoirs publics de Versailles (où ils s’étaient installés pendant la Commune de Paris en 1871) à Paris,
  • b) en 1879 également, ils firent adopter La Marseillaise comme notre hymne national,
  • c) le 6 juillet 1880, ils firent adopter le « 14 juillet » comme notre fête nationale (cf. ci-infra),
  • d) enfin, le 10 juillet 1880, ils prononcèrent une amnistie générale pour les condamnés de la Commune de Paris.

Comme les partisans de la monarchie étaient devenus minoritaires mais encore nombreux, le choix du « 14 juillet » comme fête nationale émana de la gauche et veilla à ménager les opinions divergentes des Français sur le bilan à tirer de la Révolution française et de la République.

Benjamin Raspail, né le 16 août 1823 et mort le 24 septembre 1899, était le fils de François-Vincent Raspail dont il partagea l’exil belge et les idées d’extrême-gauche. Peintre, graveur et homme politique, il fut député du département de la Seine sous l’étiquette de la “gauche républicaine”, ce qui se situait à l’époque entre la gauche et l’extrême gauche de “l’Union républicaine” de Gambetta. C’est lui qui, le 21 mai 1880, déposa la loi faisant du 14 juillet la fête nationale annuelle, pour commémorer à la fois de la prise de la Bastille et de la fête de la Fédération.

Benjamin-Raspail
Le 14 juillet, une date à double sens pour plaire à la fois à la gauche (1789) et à la droite (1790)

Pour bien comprendre ce choix, je me permets de m’inspirer d’un extrait intéressant de la notice Wikipédia consacrée à notre fête nationale car elle est précise, documentée et bien faite :

En 1879, la IIIe République naissante cherche une date pour servir de support à une fête nationale et républicaine.

Après que d’autres dates eurent été envisagées (le 4 août pour l’abolition des privilèges de 1789, le 10 août pour la chute de la monarchie en 1792), le député Benjamin Raspail dépose le 21 mai 1880 une proposition de loi tendant à adopter le 14 juillet comme jour de fête nationale annuelle.

Si le 14 juillet 1789 (prise de la Bastille) est jugé par certains parlementaires comme une journée trop sanglante, la fête de la Fédération du 14 juillet 1790, elle, permet d’atteindre un consensus. Cette date « à double acception » permet d’unir tous les républicains.

La loi, signée par 64 députés, est adoptée par l’Assemblée le 8 juin et par le Sénat le 29 juin. Elle est promulguée le 6 juillet 1880 et précise simplement que « La République adopte le 14 juillet comme jour de fête nationale annuelle », sans indiquer d’année de référence.

Prise-de-la-Bastille14 juillet 1789 : prise de la Bastille

Fête-de-la-Fédération14 juillet 1790 : fête de la Fédération

La lecture du rapport de séance du Sénat du 29 juin 1880 établissant cette fête nationale éclaire le débat sous-jacent portant sur laquelle de ces deux dates est commémorée le 14 juillet :

« M. le rapporteur (Henri Martin) : – Il y a eu ensuite, au 14 juillet 1789, il y a eu du sang versé, quelques actes déplorables ; mais, hélas ! dans tous les grands événements de l’histoire, les progrès ont été jusqu’ici achetés par bien des douleurs, par bien du sang. Espérons qu’il n’en sera plus ainsi dans l’avenir (« très bien » à gauche, interruptions à droite).

À droite : – Oui, espérons !

M. Hervé de Saisy : – Nous n’en sommes pas bien sûrs !

M. le rapporteur : – Nous avons le droit de l’espérer. Mais n’oubliez pas que, derrière ce 14 juillet, où la victoire de l’ère nouvelle sur l’ancien régime fut achetée par une lutte armée, n’oubliez pas qu’après la journée du 14 juillet 1789 il y a eu la journée du 14 juillet 1790 (« très bien ! » à gauche). L’ancienne royauté avait fait pour ainsi dire le corps de la France, et nous ne l’avons pas oublié ; la Révolution, ce jour-là, le 14 juillet 1790, a fait, je ne veux pas dire l’âme de la France – personne que Dieu n’a fait l’âme de la France – mais la Révolution a donné à la France conscience d’elle-même (« très bien ! » sur les mêmes bancs) ; elle a révélé à elle-même l’âme de la France. »

Un peu plus loin, le rapport du Sénat, préalable à l’adoption de la proposition de loi, fait également référence au 14 juillet 1790 :

« Mais, à ceux de nos collègues que des souvenirs tragiques feraient hésiter, rappelons que le 14 juillet 1789, ce 14 juillet qui vit prendre la Bastille, fut suivi d’un autre 14 juillet, celui de 1790, qui consacra le premier par l’adhésion de la France entière, d’après l’initiative de Bordeaux et de la Bretagne. Cette seconde journée du 14 juillet, qui n’a coûté ni une goutte de sang ni une larme, cette journée de la Grande Fédération, nous espérons qu’aucun de vous ne refusera de se joindre à nous pour la renouveler et la perpétuer, comme le symbole de l’union fraternelle de toutes les parties de la France et de tous les citoyens français dans la liberté et l’égalité. Le 14 juillet 1790 est le plus beau jour de l’histoire de France, et peut-être de toute l’histoire.

C’est en ce jour qu’a été enfin accomplie l’unité nationale, préparée par les efforts de tant de générations et de tant de grands hommes, auxquels la postérité garde un souvenir reconnaissant. Fédération, ce jour-là, a signifié unité volontaire. »
[Source : http://fr.wikipedia.org/wiki/Fête_nationale_française]

medaille-14juillet

Petite médaille d’art populaire commémorant la fête nationale du 14 juillet 1882.

Au recto : “République française”.

medaille-14juillet-verso

Au verso :

“Fête nationale et patriotique – 14 juillet 1882”

En somme, le « 14 Juillet » est un signe d’unité nationale.

Comme tous les ans, je forme le vœu que cet esprit de concorde et de rassemblement autour des idéaux de liberté, d’égalité, de fraternité, de probité, de laïcité, et de démocratie, anime de nouveau nos compatriotes au cours de la période de plus en plus troublée qui s’annonce.

Vive la République !

Vive la France !

François ASSELINEAU

14 juillet 2013