Peut-on concilier « construction européenne » et respect de la souveraineté des nations ? La contre-preuve par l’échec du Plan Fouchet
Le Plan Fouchet fut présenté par le gouvernement français en 1961-1962. Ce fut une tentative de réponse aux pressions continuelles – politiques et médiatiques – subies par Charles de Gaulle pour accepter l’idée d’une Europe intégrée.
L’homme du 18 juin avait compris tout à la fois :
- que la construction européenne était une entreprise de vassalisation américaine, ce qu’il dénonça dans sa conférence de presse du 15 mai 1962 ;
- mais qu’il n’avait pas les moyens politiques de faire sortir la France de ce piège car il ne disposait pas d’une majorité pour cela à l’Assemblée nationale (les ministres MRP du gouvernement avaient démissionné le soir même de ladite conférence).
(Nous renvoyons ici à notre dossier « De Gaulle était-il vraiment pour l’Europe ? »)
Pour prendre en compte cette situation, de Gaulle proposa donc à ses partenaires ce « Plan Fouchet », qui était en quelque sorte un projet « souverainiste » avant la lettre. Veillant à ménager la chèvre et le chou, ce plan de coopération conçu unilatéralement ne rompait pas officiellement avec la construction dite « européenne » mais il la limitait en fait à une simple concertation internationale entre États souverains : avec un Conseil des chefs d’État et de gouvernement qui devait statuer à l’unanimité, trois Comités des ministres (Affaires étrangères, Défense et Éducation nationale), une Assemblée parlementaire européenne purement consultative, et une « Commission politique » sans pouvoir et constituée de hauts fonctionnaires.
Ce qu’il faut surtout retenir du « Plan Fouchet », c’est que ces propositions furent brocardées dans la presse et rejetées par les cinq autres partenaires de la France, tous dans la main des Américains.
Washington, qui avait bien compris que le « Plan Fouchet » était une tentative d’enterrement de son projet machiavélique de domination géopolitique de l’ensemble du continent européen, l’empêcha ainsi de se concrétiser.
De Gaulle le constata avec amertume, en traitant les cinq autres États de « colonisés » : « La difficulté, c’est que les colonisés ne cherchent pas vraiment à s’émanciper des Américains » (4 janvier 1963, cité dans C’était de Gaulle, Alain Peyrefitte, tome 2, Partie III, Fayard, 1997, p. 15).
Conclusion
Tout ceci n’a pas seulement qu’un intérêt historique rétrospectif : le « Plan Fouchet » et son échec sont la preuve de l’impasse inéluctable de tout projet « souverainiste », c’est-à-dire fondé sur les ambiguïtés et la non prise en compte des stratégies des autres États.
Le « souverainisme » est voué à l’échec car il refuse de comprendre qui tire les ficelles de la prétendue « construction européenne » et il refuse d’admettre que l’écrasante majorité des autres États d’Europe sont vassalisés par les Américains. Le « souverainisme » est un rêve car il occulte la réalité du rapport de force, ce qui le condamne à l’impuissance.
Déjà impossible en 1961-1962 alors que la France était l’État le plus puissant et le plus influent de la petite « Europe des Six » dont ne faisait pas partie le Royaume-Uni, un Plan Fouchet serait a fortiori bien plus impossible encore avec une Europe à 27 où la France est marginalisée pendant que triomphe la stratégie américaine de vassalisation.
Comme on ne peut pas décider pour autrui, il reste à décider pour soi-même : la France n’a pas d’autre solution que de sortir de l’Union européenne.