La zone euro condamnée à la stagnation sans fin ?
Une analyse de l’équipe de rédaction de l’UPR.
Le service d’analyse économique de la banque d’investissement américaine Merrill Lynch faisait remarquer récemment que « le relais de la politique économique est en train de passer de la politique monétaire à la politique budgétaire » partout dans le monde. Partout…. sauf en zone euro.
Il est exact que, partout dans le monde, les plus grandes institutions internationales appellent les États à mettre en place des plans de soutien à l’économie : le FMI [1], les banques commerciales et le G20 dans ses derniers communiqués [2], et même la BCE en ont fait mention [3].
Ces discours, nouveaux et convergents, sont suivis de décisions concrètes dans les plus grands pays du monde :
- au Canada : le Premier ministre, Justin Trudeau, élu l’an dernier sur un programme de relance, a annoncé un plan de six ans,
- en Chine : le gouvernement central soutient fortement l’activité économique, ce qui a permis de limiter le ralentissement conjoncturel,
- en Corée du Sud : le gouvernement a injecté 9 milliards d’euros dans l’économie réelle,
- au Japon : le Premier ministre Shinzo Abe vient d’abandonner ses objectifs d’excédents primaires en 2020 et a annoncé quelques 66 milliards d’euros de dépenses publiques nouvelles sur deux ans,
- aux États-Unis : dans une note hebdomadaire, le groupe bancaire américain Bank of America – Merrill Lynch estime que, quel que soit le candidat élu président des États-Unis en novembre prochain, il faut s’attendre à une dépense publique en expansion [4],
- et maintenant au Royaume-Uni : Mme Theresa May, Premier ministre britannique, vient tout juste d’annoncer un vaste projet de soutien à la réindustrialisation et à l’activité du pays [5].
Alors qu’actuellement les gouvernements de grands États du monde entier – en Amérique, en Asie et en Europe hors zone euro – mettent en place des plans de relance économique pour soutenir l’activité de leurs pays respectifs, nous ne voyons rien de tel au sein de la zone euro.
Pourquoi ?
Question corrélée : pourquoi la zone euro est-elle structurellement condamnée à demeurer la zone à plus faible croissance du monde ?
1) Pourquoi une politique nationale de soutien à l’économie est-elle vouée à l’échec dans le cadre de l’UE ?
Alors qu’il était président de la République, Nicolas Sarkozy avait lancé un plan de relance d’envergure, espérant stimuler l’activité économique nationale [6]. Mais cet accroissement de la dépense publique, en faveur de l’économie réelle, n’aura qu’aggravé les déficits publics : en témoigne ce graphique [7], où les années 2009 et 2010 ont vu le déficit public français exploser.
Pourquoi cela n’a-t-il pas fonctionné ?
C’était prévisible. De façon schématique, lorsque l’on accroît la dépense publique en temps de récession ou de très faible croissance, on va réaliser de nouveaux achats de biens ou de services, lesquels sont proposés par des agents économiques privés. Ces entreprises vont ainsi voir leurs carnets de commande augmenter. Et donc, augmenter leur production. Et pour cela, elles vont :
– embaucher.
– commander des composants/services à d’autres entreprises (qui vont donc embaucher, elles aussi).
Ces emplois créés, artificiellement par la commande publique dans un premier temps, vont permettre à d’anciens chômeurs ou travailleurs précaires de consommer. Cette consommation va à son tour prendre le relais de la commande publique dans la stimulation de l’économie (en remplissant les carnets de commande des entreprises : lesquelles vont à nouveau embaucher, etc.).
En bref, un système vertueux se met en place. Voilà du moins pour la théorie.
Mais dans la réalité, il faut distinguer une économie fermée d’une économie ouverte.
=> dans une économie fermée, cela fonctionne, puisqu’il n’existe aucune perte dans le circuit économique : relancer l’économie revient en somme à amorcer une pompe.
=> dans une économie totalement ouverte, une relance budgétaire revient à amorcer une pompe avec un tuyau éventré : on ne créera jamais l’appel d’air nécessaire.
Et effectivement, l ‘Union européenne, avec sa défense inconditionnelle de la libre concurrence, ses règles en termes d’accès aux marchés publics, etc., fait que lorsqu’un État membre augmente sa dépense publique, celle-ci va bénéficier de façon importante à des acteurs économiques étrangers (sociétés intervenant sur un marché public par exemple). L’argent injecté dans le circuit économique va se diluer inéluctablement, ses effets devenant quasi-nuls voire contre-productifs.
On en vient à accroître le déficit public par cet effort budgétaire de l’État, sans pour autant stimuler l’économie nationale de façon suffisante pour voir significativement augmenter les rentrées fiscales.
C’est ce mécanisme qui a voué à l’échec le plan de relance de Nicolas Sarkozy, ou auparavant, celui de François Mitterrand.
Les européistes rétorqueront à cela que, puisque la France réalise environ 60 à 64% de son commerce extérieur avec les autres États membres de l’UE, il est possible de relancer notre économie si l’on adopte un plan de soutien à « l’économie européenne » [sic], qui soit commun aux 28 États.
2) Mais alors, pourquoi n’y a-t-il pas de plan de relance au niveau européen ?
La réponse est simple : pour la même raison que nous ne verrons jamais « d’États-Unis d’Europe ».
Entrons dans le détail.
Parmi les États-membres de l’Union européenne, il en existe certains qui ont besoin d’une politique budgétaire expansionniste. Ils le savent, et savent aussi (voir supra) que ce type de politique économique ne peut se mener aujourd’hui qu’au niveau de la zone euro. Et encore, à la condition de contourner l’interdiction juridique et doctrinale du moindre protectionnisme, posée par l’article 63 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).
Mais les États qui ont cet intérêt-là sont confrontés à deux autres types d’États, qui s’opposent à une telle politique :
=> d’une part les États qui ne connaissent pas de crise économique d’une virulence comparable à celle qui sévit en Europe du sud. Tel est par exemple le cas des États d’Europe orientale, qui bénéficient des fonds structurels européens (étant bénéficiaires nets du budget européen, quand d’autres comme la France ou l’Allemagne sont contributeurs nets), ainsi que de délocalisations internes à la zone euro vers leurs territoires (secteurs automobile, textile.. mais aussi tertiaire).
Ces États de l’est européen bénéficient des délocalisations industrielles venues de l’ouest européen, ne subissent eux-mêmes que peu de désindustrialisation, et ne connaissent globalement pas de crise économique majeure. De plus, ils ont aujourd’hui un fort soutien populaire pour une orientation économique très libérale, par rejet de la période soviétique.
Pour toutes ces raisons, ils ne voient pas leur intérêt dans un soutien concerté à l’économie de la zone euro.
=> d’autre part, les États d’Europe du nord, à commencer par l’Allemagne et les Pays-Bas. Outre l’aspect purement culturel, qui semble corrélé à l’imprégnation pluriséculaire du protestantisme, et qui les poussent à se méfier de ce qui est perçu comme des solutions de facilité, ces États ont déjà mené de très sévères politiques d’austérité et de restructuration de leurs économies. Tel a par exemple été le cas de la Finlande [8] depuis 1991, ou de l’Allemagne avec les réformes dites « Hartz I » à « Hartz IV ».
Ces États, qui se perçoivent comme « fourmis », entendent maintenant retirer les fruits des efforts consentis et sont vent debout à l’idée de les dilapider par solidarité avec des États qu’ils perçoivent comme « cigales ».
Du reste, l’Allemagne profite particulièrement de l’existence de l’euro – qui n’est pas une « zone monétaire optimale » (ZMO) au sens de Robert Mundell – pour « exporter son chômage » chez ses « partenaires » [9].
La santé économique allemande, d’ailleurs toute relative, ne s’épanouissant ainsi qu’aux dépens des autres pays de la zone euro, les dirigeants de Berlin ne voient donc pas leur intérêt dans un quelconque plan de relance de niveau européen [10], qui aurait d’ailleurs des implications redoutables, tant au niveau de son budget qu’au niveau de l’afflux d’euros venus des pays du sud.
Restent donc les États dits du « sud de l’Europe » : la Grèce, l’Espagne, le Portugal, l’Italie et la France principalement. Ces États ont, eux, intérêt à une vigoureuse politique de relance. Mais ils savent, pour les raisons expliquées ci-dessus, qu’une politique de relance nationale serait vouée à l’échec dans le cadre très contraint de la totale liberté des échanges au sein de l’UE imposée par les traités européens.
Ces traités européens imposant en outre des critères budgétaires très stricts, les gouvernements des États en question ne disposent de toute façon d’aucune marge de manœuvre en termes budgétaires ; s’ils laissaient filer leurs déficits, ils seraient passibles d’une sanction financière pouvant aller jusqu’à 0,2% du PIB, comme il en a été question récemment avec l’Espagne et le Portugal [11].
En résumé, que résulte-t-il de la confrontation de toutes ces cultures différentes et de tous ces intérêts nationaux radicalement divergents ? Il en résulte le statu quo.
Ces divergences d’intérêt bloquent absolument la zone euro dans une immobilité mortifère, là où, pour surmonter une période de très faible croissance, il faudrait au contraire disposer de marges de manœuvre et agir.
Conclusion : Jusqu’à quand ?
Alors que les États du monde entier font face à la crise économique en lançant des politiques de relance, chacun selon leurs intérêts, l’ensemble des États de la zone euro choisissent au contraire de poursuivre imperturbablement le cap des politiques de récession : ils continuent à baisser la dépense publique et à opérer des « dévaluations internes », en « flexibilisant » le droit du travail ( c’est-à-dire en le démantelant ), en diminuant les cotisations patronales ou les salaires, etc.
Puisqu’ils sont incapables de s’entendre du fait que leurs intérêts sont antagonistes, ils ne font rien d’autre et ils attendent. C’est une énième illustration du « stratagème des chaînes » dans lequel les pays européens se sont ligotés.
Ils attendent quoi au juste ? Il attendent, semble-t-il, que la reprise économique revienne miraculeusement. Autant aller brûler un cierge pour Sainte Rita, la patronne des causes désespérées.
Dans cette attente, la Banque centrale européenne (BCE) continue son « assouplissement quantitatif » (QE) et ses diverses interventions sur les marchés boursiers, sous peine de voir la zone monétaire s’écrouler de façon précipitée.
Pour tout observateur lucide, la seule question qui vaille est de savoir combien de temps encore ce « Lit de Procuste » qu’est l’euro va encore tenir, en nous condamnant à une situation politique, économique et sociale intenable.
Équipe de rédaction UPR
Antoine Silvestre
(avec relecture et validation de François Asselineau, Vincent Brousseau et Charles-Henri Gallois)
Sources :
[1] http://www.franceinfo.fr/…/quand-le-fmi-appelle-la-depense-…
[2] http://www.tresor.economie.gouv.fr/13179_les-communiques-du…
[3] https://blog.degroofpetercam.com/…/une-nouvelle-politique-b…
[4] http://www.ml.com/publish/pdf/cio-weekly.pdf
[5] http://www.latribune.fr/…/theresa-may-lance-un-plan-de-rela…
[6] http://www.lepoint.fr/…/point-par-point-les-me…/916/0/297255
[7] http://dominiquegambier.fr/…/2564257-deficit-public-de-la-f…
[8] http://www.lefigaro.fr/…/97002-20150918FILWWW00057-vendredi…
[9] http://www.atlantico.fr/…/excedents-records-tres-v…/page/0/1
[10] http://www.lepoint.fr/…/g20-l-ocde-reclame-plus-de-reformes…
[11] http://www.lemonde.fr/…/la-commission-europeenne-declare-of…