Non, le Front National ne veut pas la sortie de l’UE… ni même de l’euro !
À force d’entendre les partisans de Mme Le Pen, mais aussi tous les médias et les partis installés, prétendre que le Front national propose la sortie de l’Union européenne – ce que nous savons faux –, nous avons voulu proposer une vérification approfondie à partir des textes officiels de ce parti qui est, comme nous l’avons montré précédemment, un épouvantail consentant au service du système. Les paroles ont tendance à disparaître dans les airs ou à être mal interprétées, alors que les écrits, eux, restent, et que chaque mot compte… En examinant attentivement la prose du FN, le lecteur constatera que ce parti n’a aucune intention de sortir de l’UE, et n’a même pas véritablement l’intention de sortir de l’euro !
Reprenons point par point plusieurs propositions du programme du FN pour l’élection présidentielle de 2012.
Europe
a) « Dans le cadre de l’article 50 du Traité de l’Union Européenne, il convient d’initier une renégociation des traités afin de rompre avec la construction européenne dogmatique en total échec. »
Le FN propose donc « d’initier une renégociation des traités », ce qui signifie discuter avec les gouvernements des autres pays membres de l’UE pour savoir s’ils seraient éventuellement d’accord pour accéder, peut-être, un jour, à nos requêtes. La détermination est donc plus qu’incertaine. Et la méthode est très douteuse. Le FN veut renégocier les traités « dans le cadre de l’article 50 ». Mais l’article 50 n’est pas fait pour renégocier quoi que ce soit, l’article 50 est fait pour sortir unilatéralement et complètement de l’Union européenne : « Tout État membre peut décider, conformément à ses règles constitutionnelles, de se retirer de l’Union. »
Ainsi, invoquer l’article 50 pour aboutir à une renégociation des traités relève à la fois de l’erreur (volontaire) et du chantage. C’est doublement condamnable. D’une part, un candidat à la présidentielle ne peut se présenter comme un maître-chanteur ou un joueur de poker, c’est indigne de la fonction à laquelle il aspire. D’autre part, c’est évidemment méprisant pour les partenaires européens de la France, avec lesquels nous devons conserver de bonnes relations après notre sortie de l’UE – et toutes les bases sont là pour cela (traité d’amitié franco-allemand, Conseil de l’Europe, etc.).
Sous la pression de l’UPR, le FN mentionne pour la première fois l’article 50, mais de quelle manière ! Nous ne le laisserons pas salir et rendre confus ce formidable instrument de libération.
Remarquons au passage l’emploi de l’expression « rompre avec la construction européenne dogmatique en total échec » qui laisse entendre qu’une construction européenne non dogmatique pourrait être mise en place et réussir. Nous sommes ici parfaitement dans le registre de l’ « autre Europe » (qui ne saurait avoir lieu, comme François Asselineau ne cesse de le démontrer).
b) « [Il faudra] que la contribution nette de la France au budget européen soit nulle, afin de dégager des marges pour le soutien notamment de notre agriculture. »
Une contribution nulle signifie : si je donne 100, je veux recevoir 100. Mais, au fait, si la France sort de l’UE, pourquoi avoir besoin de préciser ce point ? La sortie de l’UE serait le meilleur moyen de ne plus avoir l’occasion de déléguer à des autorités non élues le pouvoir d’accaparer et de dépenser l’argent collecté sur les impôts des Français.
Défense
« Recentrer notre stratégie et assurer notre indépendance. Il faut que la France soit en mesure de défendre par elle-même ses intérêts et de garantir sa sécurité. Pour cela, il faut dénoncer la participation de la France au commandement intégré de l’OTAN. »
Tiens donc, le FN veut sortir seulement du commandement intégré, donc il ne veut pas sortir complètement de l’OTAN. De plus, comme on ne sait pas si le terme « dénoncer » est ici à comprendre dans son acception juridique – utile ambiguïté… –, on est en droit d’affirmer que « dénoncer la participation de la France au commandement intégré de l’OTAN » (ce que prescrit le FN) et « sortir la France du commandement intégré de l’OTAN » (ce qu’il faudrait faire au minimum) sont deux choses tout à fait différentes.
Nous avons ici affaire à une figure classique de la langue de bois politicarde visant à séduire les électeurs distraits. Elle consiste à « dénoncer », à se « scandaliser » d’une situation dont on s’accommode en fait très bien. Si vous lisez attentivement, vous constatez que ces protestations verbales n’engagent à rien.
État fort
a) « La loi française retrouvera sa supériorité sur le droit européen dérivé (directive, règlement, etc.). Ces éléments feront l’objet d’une discussion avec nos partenaires européens dans le cadre de la renégociation nécessaire des Traités européens. La France se tiendra à sa doctrine en cas d’échec des négociations. »
Encore une renégociation. Nos partenaires risquent de se lasser… Pourquoi devoir préciser que la loi française restera supérieure à la loi européenne si nous devons sortir de l’UE ?
b) « Tous les bâtiments publics de France, qu’il s’agisse des administrations centrales ou locales, devront en permanence porter le drapeau français. Le drapeau de l’Union européenne ne sera plus autorisé. »
Pourquoi interdire les drapeaux de l’UE sur les bâtiments publics de France si nous sortons de l’UE ? Ces drapeaux n’auraient plus lieu d’être, tout simplement !
c) « Arrêt de la transposition des directives de libéralisation des services publics marchands. »
Pourquoi poser le problème des transpositions de directives si nous sortons de l’UE ? Ou si la loi française redevient supérieure au droit dérivé de l’Union ?
Services publics
a) « Une renégociation des Traités européens sur la question des services publics mettra fin au dogme de “la concurrence libre et non faussée”, et à l’obligation de libéralisation des services publics.
Dans l’immédiat, l’application des directives européennes de libéralisation des services publics sera gelée, s’agissant en particulier du transport ferroviaire et des services postaux. »
Quatrième renégociation des traités ? Eh bien…
b) « [L]es tarifs de l’électricité et du gaz seront directement réglementés par l’État et la loi NOME abrogée. »
Oui, bien sûr, abroger la loi européenne dite « NOME » est une bonne chose ; encore faudrait-il que les renégociations avec nos partenaires européens sur la « supériorité de la loi française vis-à-vis de la loi européenne » (voir le point 3.a) débouchent sur un accord. Et qui peut croire que les 27 pays tomberont d’accord sur ce sujet (comme sur les autres) ? Les « souverainistes » prospèrent sur des promesses qu’ils savent irréalisables. Seuls leur aplomb et leur exposition médiatique leur permettent encore de faire illusion.
Agriculture
a) « La France abandonnera la PAC au bénéfice de la PAF (Politique agricole française) permettant un développement stratégique plus justement réparti entre petites et grosses structures agricoles.
Pour cela, la France adoptera cette politique agricole nationale ambitieuse financée par la réduction de sa contribution globale au budget européen, dans le cadre de la renégociation des traités européens qui sera entreprise dès 2012. »
Et encore une proposition suspendue au résultat – très hypothétique – d’une renégociation des traités européens. Il est profondément malhonnête et irresponsable d’essayer de faire son beurre électoral avec des promesses attrayantes lorsque l’on sait que les conditions pour atteindre l’objectif politique sont impossibles à satisfaire.
b) « La création d’un Conservatoire du patrimoine viticole et le refus des plans d’arrachage de vignes demandés par l’Union européenne. »
Si la France est sortie des traités européens, pourquoi aurait-elle besoin de refuser une demande de l’UE ?
Emploi, réindustrialisation
a) « [L]a France remettra en cause l’ensemble des contraintes absurdes imposées par l’Union européennes [sic] et qui interdisent, au nom d’une politique de la concurrence dévoyée, toute politique industrielle réelle.
En particulier, une renégociation des traités européens mettra fin au dogme de “la concurrence libre et non faussée”, qui promeut en réalité la loi de la jungle. »
Une RENÉGOCIATION des traités… encore et encore… Autant de points de blocage possibles avec nos partenaires qui tous, de Malte à l’Allemagne en passant par la Lettonie, ont la même voix au chapitre !
Notons que l’expression « remettre en cause » fait aussi partie du répertoire de la langue de bois pseudo-volontariste. Quand on n’a pas vraiment l’intention d’agir mais que l’on veut donner l’impression de prendre les choses à bras-le-corps, on s’engage à « remettre en cause ».
b) « L’accès aux marchés publics des PME/PMI sera simplifié via la centralisation sur un site unique de toutes les commandes publiques et une loi qui donnera priorité aux PME/PMI dans l’attribution des marchés publics de l’État et des collectivités locales (équivalent du Small Business Act américain), après renégociation des traités européens qui les empêchent actuellement. »
L’application d’un « Small Business Act »… mais, bien sûr, après renégociation des traités européens… Le refrain est maintenant bien connu. Les Français devront prendre leur mal en patience en attendant la fin de ce bal des renégociations. Mais viendra-t-elle ?
Euro
« Afin d’accompagner la sortie de l’euro, un ministère chargé des Souverainetés devra prendre en charge techniquement et juridiquement la renégociation des Traités et la restauration de notre souveraineté nationale dans l’ensemble des domaines où elle a disparu, notamment monétaire. »
Passons sur l’absurdité du « ministère chargé des Souverainetés ». Pourquoi pas un « ministère chargé des Libertés » aussi ?La souveraineté, comme la liberté, sont les pré-requis absolus d’un système véritablement démocratique, un gouvernement au service du peuple français ne doit pas relativiser ces notions en leur consacrant un ministère (qui ferait quoi exactement ?).
Quand on pense qu’il suffirait d’invoquer l’article 50 du TUE pour éviter d’avoir à subir toutes ces (re)négociations qui, de plus, ne nous donnent AUCUNE garantie de résultat…
De fait, la sortie de l’euro n’est même pas acquise pour le FN. Il évoque la possibilité de conserver l’euro, probablement si les fameuses renégociations n’aboutissent pas : « Une taxation exceptionnelle des actifs extérieurs libellés en euro détenus par les banques sera établie pour compenser les coûts pour l’État de sa dette résiduelle en euro, dans l’hypothèse très peu vraisemblable où l’euro existerait encore. »
C’est ce dernier membre de phrase qui est important. Le FN mise sur un échec de l’euro, mais il ne s’engage en aucun cas à abandonner l’euro. Il compte ainsi que les événements choisiront à sa place, mais si l’euro tient, à grands coups de cures d’austérité et de baisses des salaires, le FN acceptera de le maintenir. C’est la politique du chien crevé au fil de l’eau.
Revenons sur un épisode instructif : le 23 mai 2011, la présidente du FN est invitée sur France Info. Au cours de l’interview, la journaliste lui demande : « Est-ce qu’il faut sortir de l’Europe aussi, dans ce cas-là, Marine Le Pen ? » Et voici ce que lui répond l’intéressée :
« Mais, madame, je ne dis pas qu’il faut sortir de l’euro, je dis que l’euro va s’effondrer, voilà. »
Donc, non seulement Marine Le Pen ne répond pas à la question – « Faut-il oui ou non sortir de l’Europe ? » –, mais en plus elle nie être en faveur de la sortie de l’euro. Cela a le mérite d’être clair. Pour une fois.
Mais les choses furent encore plus claires le 15 décembre dernier dans un autre épisode radiophonique. Louis Aliot, vice-président du Front national et compagnon de Marine Le Pen, est l’invité de Jean-Jacques Bourdin sur RMC. Le journaliste lui demande : « Marine Le Pen est élue, immédiatement elle sort de l’euro ? ». Voici la réponse de M. Aliot :
« Non, pas immédiatement, nous sommes un État au milieu d’autres États européens et nous sommes liés à d’autres États, il faut donc repenser l’Europe, rebâtir l’Europe […] je pense que la première chose que ferait Marine Le Pen, c’est de demander un sommet européen pour parler de la reconstruction de l’Europe, basée cette fois-ci sur l’Europe des patries… » (à partir de 2:02 minutes)
Ces formulations, tout comme l’expression « Europe des patries », sont typiques du jargon « souverainiste », c’est-à-dire alter-européiste. Lorsque l’on y regarde de près, on s’aperçoit que le FN ne s’oppose pas à la construction européenne. On découvre même qu’il n’est pas en faveur de la sortie de l’euro. Pourquoi les médias et les partis installés s’obstinent-ils alors à faire passer Mme Le Pen pour la championne de la sortie de l’euro ? Sur ce point, nous vous renvoyons à l’article précédemment mentionné. Quant au rôle plus général des « souverainistes » de droite et de gauche, nous vous recommandons ce texte : « Qu’est-ce que l’UPR pense des partis politiques français qui critiquent l’Union européenne ? »
Démocratie, institutions
a) « Il faut donc que la loi française retrouve sa supériorité sur le droit européen dérivé (directive, règlement, etc.). Ces éléments feraient l’objet d’une discussion avec nos partenaires européens dans le cadre de la renégociation nécessaire des Traités européens. La France doit maintenir sa position en cas d’échec des négociations. »
Le FN entend visiblement préserver les traités européens coûte que coûte. Il prévient ainsi ses électeurs que la France ne sortira pas de l’Union européenne même si ses partenaires n’entendent pas négocier. C’est ainsi qu’il faut interpréter la phrase : « La France doit maintenir sa position en cas d’échec des négociations. » Comme la très longue liste des points à (re)négocier ne peut en aucun cas aboutir à un consensus à 27, l’électeur français peut être assuré que la seule chose que fera le FN c’est de bouder ses partenaires, en restant dans l’Union européenne.
Nous sommes toujours surpris de voir les partisans de Mme Le Pen soutenir mordicus que le FN veut sortir de l’UE alors que les responsables du parti disent sans cesse le contraire, avec plus ou moins d’ambiguïté. Lorsqu’elle tient le 8 juin 2011 une conférence de presse commune avec Heinz-Christian Strache, président du Parti autrichien de la liberté (FPÖ), mouvement nationaliste anciennement dirigé par Jörg Haider, Marine Le Pen déclare :
« [J]e souhaite remettre en cause non pas l’Europe mais l’Union européenne, afin que les traités soient profondément renégociés et qu’une ineptie telle que Schengen soit dénoncée.
Et c’est sous cet auspice Monsieur Strache, et vous mes chers collègues et alliés européens, que nous travaillerons de notre mieux afin que des femmes et des hommes politiques qui ont à cœur l’intérêt de leurs peuples d’abord, l’avènement d’une autre Europe et finalement d’un autre Monde, arrivent au pouvoir. »
C’est une preuve supplémentaire que la poursuite de la construction européenne est bien l’horizon politique du Front national.
Conclusion
Le Front national, s’il prend soin de marteler régulièrement qu’il négociera avec ses partenaires, sait parfaitement que la construction européenne finira par l’emporter.
Il prépare même ses électeurs à l’échec car, au chapitre crucial sur la démocratie et les institutions, il avertit déjà qu’ « en cas d’échec des négociations », la France ne sortira pas de l’Union européenne, mais se contentera de… « maintenir sa position ».
La belle affaire ! Le général de Gaulle a déjà tenté la politique de la chaise vide de juin 1965 à janvier 1966, et l’inertie européenne a eu raison de sa stratégie. Alors même que l’Union ne comprenait que six membres et que de Gaulle jouissait d’un prestige difficilement comparable, avec une France au beau milieu des Trente Glorieuses !
Une Union européenne à 27, 28 ou 30 ne fera qu’une bouchée de la « position maintenue » de Marine le Pen. Le FN, qui s’accommode très bien de la construction européenne et de la théorie du « Choc des civilisations » que celle-ci promeut, fait par avance le choix de la résignation.
Que personne ensuite n’aille dire qu’il n’était pas prévenu. Le Front national n’entend ni véritablement sortir de l’euro, ni se retirer des traités européens, dont il envisage au mieux de bloquer provisoirement le fonctionnement. Voilà qui mérite que l’on fasse le choix plus simple, plus direct, et finalement plus sûr, d’un candidat qui s’engage à faire jouer l’article 50 pour sortir sereinement et démocratiquement à la fois de l’Union européenne et de l’euro (tout en proposant aux Français de se rassembler provisoirement au-dessus du clivage droite-gauche).
C’est pourquoi l’UPR et François Asselineau feront savoir aux Français que « [t]out État membre peut décider, conformément à ses règles constitutionnelles, de se retirer de l’Union. » Les élections présidentielles de 2012 sont l’occasion de révéler les leurres et les impasses et de proposer un programme concret et ambitieux pour rétablir la démocratie et rendre au peuple français sa souveraineté et son indépendance.
Ce texte est cosigné par les responsables et adhérents de l’UPR suivants :
Maurice AEPLY, François ASSELINEAU, Christophe BLANC, Cyril CARBONNEL, Frédéric CECCARELLI, Patrick CECCARELLI, Loïc CHAIGNEAU, Jean-Philippe CHÉRU, David CHESNEL, Édouard CLAIR, Olga DARIC, Laurent DAURÉ, Samuel DEBERGUE, André FONTAINE, Franck FRESNEAU, Dominique GUILLEMIN, Roland LACHATRE, Thomas LACOSTE-GARANGER, Vincent LAMIC, Ewen MARÉCHAL, Nicolas MARTIN, Pierre MARTINEZ, Érick MARY, Hervé MULLER, Jérémy POIRIER, Eddy ROOS, Pierre TRIBOUILLARD
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Afin de mieux cerner l’escroquerie qu’est le Front National, nous vous invitons à regarder la partie 3 de la Conférence de François Asselineau intitulée “Les partis politiques respectent-ils l’intelligence des Français ?”, accessible en cliquant ici.