Partie 3 sur 3 – (Première partie – Deuxième partie)
Compte rendu de la troisième table ronde
La troisième table ronde, portant sur « la géopolitique et la guerre des langues », réunissait :
Charles Durand, universitaire et écrivain, fort d’une expérience de vingt-cinq années passées à l’étranger, principalement aux États-Unis, au Canada, au Japon et au Vietnam, membre de l’association Avenir de la langue française, ancien directeur de l’institut francophone d’informatique d’Hanoi,
Jean-Philippe Immarigeon, spécialiste de géopolitique, avocat et blogueur, contributeur régulier à la revue Défense nationale, auteur en 2012 de l’essai Pour en finir avec la Françamérique,
François Asselineau, Président de l’Union Populaire Républicaine.
Charles Durand a montré que l’expansion de l’anglais depuis la Seconde guerre mondiale résulte d’un projet de nature impérialiste, mis en œuvre méthodiquement par les puissances anglo-saxonnes, afin d’asservir le monde à leurs intérêts et à leur seul mode de pensée. Il a rappelé que l’expansion d’une langue est d’abord due aux moyens de diffusion mis en œuvre : celle de l’anglais a été permise par les moyens de communication, d’information et de divertissement modernes, appuyés par des moyens financiers considérables.
Il a également démontré qu’abandonner la langue française revenait à abandonner le pouvoir aux Anglo-Saxons, en se fondant sur l’exemple de l’entreprise Alcatel-Lucent où les anciens dirigeants de l’Américain Lucent, racheté par le Français Alcatel, ont pris le pouvoir grâce à la décision des dirigeants français d’imposer l’anglais comme langue de l’entreprise. Enfin, se fondant sur son expérience au Vietnam, Charles Durand a montré que l’Union européenne promeut systématiquement l’anglais dans ses coopérations internationales, au détriment du français.
Jean-Philippe Immarigeon, fin connaisseur des États-Unis d’Amérique, a souhaité montrer les différences radicales qui existent entre les visions anglo-saxonne et française du monde. Il a donné notamment comme exemples :
– le système judiciaire, inquisitoire en France et accusatoire aux États-Unis. C’est dans cet esprit accusatoire, où l’accusé doit faire la preuve son innocence, que les autorités américaines avaient par exemple sommé l’Irak de démontrer qu’elle n’avait pas d’armes de destruction massive ;
– la façon de faire la guerre. Là où, pour les Américains, un principe d’immédiate efficacité justifie tous les moyens, il apparaît, pour les Français, que l’expérience combattante ne peut s’émanciper de la vérité et de la justice.
De là viennent que les scandales de torture institutionnelle, de détention extra-judiciaire et d’exécutions sommaires qui touchent régulièrement l’armée et le gouvernement des États-Unis, épargnent l’armée et le gouvernement français. L’intervenant a indiqué le rôle essentiel de la suspension clause de la constitution américaine, qui permet l’instauration de mesures spéciales extrêmement nocives pour le respect du droit.
Jean-Philippe Immarigeon note, cependant, la progression en France du mode de pensée américain, qu’il explique à la fois, par une fascination injustifiée des dirigeants français pour les États-Unis d’Amérique depuis deux siècles et par l’illusion, côté français, d’une communauté de valeurs entre les deux pays. L’imposition de l’anglais apparaît comme la résultante ultime du soft power, c’est-à-dire de la conquête des esprits.
La collusion des dirigeants français avec l’étranger constitue, d’après Jean-Philippe Immarigeon, l’une des vérités les plus taboues de l’époque : il indique n’avoir été censuré qu’une fois dans la revue Défense nationale, lorsqu’il avait voulu mentionner le rôle de la French Americain Foundation en France. Il a, enfin, évoqué l’extraordinaire capacité des Américains à « voir loin », c’est-à-dire à consacrer des moyens conséquents au travail de prospective qui leur permet de définir leurs stratégies à long terme dans tous les domaines.
François Asselineau, a rappelé qu’une langue véhicule une compréhension et une vision du monde, en exposant la construction variable en français, anglais et allemand, des termes « comprendre » et « constitution ». Il a souligné également la nécessité de préserver la « biodiversité linguistique » parce que chaque langue est une façon « d’être homme ». En particulier, c’est à travers la langue française que la France se distingue des autres pays du monde, et qu’elle peut, compte tenu de l’expansion et du prestige du français, leur parler à tous.
François Asselineau identifie un basculement dans la politique française depuis une vingtaine d’années, c’est-à-dire depuis la ratification du traité de Maastricht en 1992, la mise en place de l’OMC en 1994 et la perte de pouvoir considérable qui découle de ces événements : la France, passant de la loi Toubon, protectrice de la langue française, à la loi Fioraso qui en prend le contrepied, est contrainte par son élite dirigeante, et contre l’avis populaire, d’adopter désormais la langue du maître.
À la suite de la troisième table ronde, François Asselineau a conclu le colloque par une allocution soulignant la contradiction entre toute volonté de promotion de la langue française, et le maintien de la France dans l’Union européenne et l’OTAN, structures qui, en synergie avec le soft power américain, la forcent justement à adopter l’anglais.
Au nom de la « convergence », de l’« unification », de l’« homogénéisation » l’Union européenne s’emploie à araser toute différence et justifie la marginalisation de pans entiers des civilisations humaines. Les peuples européens comprennent peu à peu que la « construction européenne » suppose la mort de leur individualité et de leur singularité. Après la monnaie unique, c’est bien une langue unique et une civilisation unique, venues d’ailleurs, que l’Union européenne impose.
Inversement, les Français se réconcilieront avec leur langue si celle-ci redevient synonyme de libération face aux pensées imposées, et d’émancipation face aux dominations en apparence écrasantes. La promotion du français est indissociable d’un projet politique plus général qui consiste à rendre à la France son indépendance, sa liberté d’action et sa grandeur. Qu’importe, en effet, la langue française à la France, si cette dernière est privée de sa voix ?
Partie 3 sur 3 – (Première partie – Deuxième partie)