La lutte contre la Covid19 en France, vue d’Allemagne : L’ABSURDISTAN AUTORITAIRE.
Je vous présente ci-dessous un article du magazine Die Zeit qui vient tout juste de paraître le 12 novembre 2020, et qui est disponible en ligne (en allemand et sur abonnement payant) sur le site du journal ici.
Cet article (dont ma traduction en français est faite avec les réserves d’usage) est un réquisitoire cinglant contre la politique d’Emmanuel Macron et de son gouvernement contre la Covid19.
La journaliste allemande – Annika Joeres – est visiblement sidérée par les décisions ubuesques (“sans queue ni tête” rapporte-t-elle) que Macron se permet de prendre de façon “quasiment monarchique”, en profitant de l’apathie des Français.
La lecture de cet article prouve qu’il n’y a pas qu’en France que des gens sont outrés par le mélange d’incompétence et d’autoritarisme du régime Macron ; et non moins stupéfaits par la passivité des Français devant les résultats calamiteux qui en découlent.
Ce texte est à lire attentivement, et à faire lire tout autour de soi.
Notamment à tous les macronistes adeptes de la religion du prétendu “couple franco-allemand” qui verront que les Allemands sont fort lucides et critiques sur l’état de la France.
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Die Zeit (littéralement Le Temps en allemand) est un hebdomadaire allemand d’information et d’analyse politique qui paraît le jeudi. L’ancien chancelier fédéral social-démocrate Helmut Schmidt en fut l’un des directeurs de publication.
Outre un format particulièrement volumineux, cet hebdomadaire libéral de gauche se singularise par ses articles longs et détaillés, comme c’est ici le cas.
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La réglementation contre la Covid19 en France
L’ABSURDISTAN AUTORITAIRE
par Annika Joeres
12 novembre 2020
Attestations pour quitter sa maison ou pour faire du jogging devant la porte, vigiles pour surveiller les jouets : le verrouillage de la France est si répressif que même les règles sensées sombrent dans le discrédit.
Lorsque Betty Bellion-Jourdan est sortie de la mer à Biarritz dans l’ouest de la France il y a quelques jours, quatre policiers l’attendaient : la femme de 93 ans avait le droit de s’asseoir sur la plage pendant cette période de confinement, mais pas celui de nager dans l’eau. Depuis des décennies, la vieille dame nage le crawl tous les jours dans l’Atlantique, même dans le froid hivernal, et soulage ainsi la neuropathie dans ses jambes, une maladie nerveuse. « Aucun spécialiste, aucun massage ne peut me guérir comme la mer le peut », a déclaré Bellion-Jourdan. Comme on peut le voir dans une vidéo, un policier lui a simplement répondu : « Selon l’article 46 du règlement 20-10, tous les sports nautiques sont interdits ». Bellion-Jourdan devra payer une amende de 135 euros si elle s’approche de nouveau de la mer.
Déployer des policiers contre une poignée de seniors sur la plage de Biarritz, longue d’un kilomètre, est l’une des conséquences des nombreuses règles autoritaires contre le coronavirus prises par le gouvernement parisien. Les citoyens doivent rédiger un certificat auto-signé expliquant pourquoi ils sortent à chaque fois qu’ils quittent la maison. Par exemple, un certificat pour emmener les enfants à l’école, un deuxième pour obtenir du sirop contre la toux à la pharmacie, un troisième pour acheter des baguettes, un quatrième pour aller travailler. Les Français ne peuvent faire de l’exercice que dans une mesure limitée : ils ne sont autorisés à faire de l’exercice que pendant une heure, et seulement dans un rayon d’un kilomètre. Randonnées, balades à vélo, baignade sont impossibles.
Cela conduit alors les joggeurs à courir dans les rues au lieu de s’éviter dans la nature. Comme les médecins le soupçonnent, cela a malheureusement pour effet que les gens se méfient également des règles sensées, comme celle de ne pas s’embrasser pour se dire bonjour comme habituellement. Ceci est confirmé par une étude récente : « Plus de 60% des Français déclarent ne plus adhérer aux règles – deux fois plus que lors du premier confinement. Une personne sur deux se dit plus triste depuis le reconfinement ».
Ce jeudi soir, le Premier ministre Jean Castex annoncera les règles pour les semaines à venir. Selon toute vraisemblance, comme l’ont laissé entendre les membres du gouvernement lors d’entretiens, rien ne changera dans les dispositions. La confiance de la population est la plus basse d’Europe. Deux personnes interrogées sur trois pensent que le président Emmanuel Macron ne gère pas bien la crise du coronavirus. Parce que le bilan français est catastrophique : bien que ce pays voisin ait donné l’une des réponses les plus autoritaires à la crise du coronavirus au printemps, et encore maintenant, le nombre de morts y est désormais plus élevé qu’en Suède où les règles sont restées bien plus décontractées.
« La limite au-delà de laquelle on enfreint la loi est devenue très facile à franchir »
Il y a deux semaines, Macron a annoncé un premier reconfinement de quatre semaines. Seuls les supermarchés et les pharmacies ont pu rester ouverts, les petits magasins tels que les librairies ou les magasins de chaussures ont dû fermer. Contrairement au premier confinement du printemps, de nombreux clients ont protesté contre le gouvernement, et certains maires ont adopté des arrêtés municipaux permettant à tous les détaillants d’ouvrir. En guise de réponse, le gouvernement a décidé une interdiction de plus : à partir de maintenant, les supermarchés ne sont plus autorisés à vendre des livres, des jouets, des vêtements et des chaussures. On trouve au choix des panneaux d’avertissement ou des vigiles devant les bottes pour l’hiver ou devant les rayons avec des ours en peluche afin que les clients n’achètent rien d’interdit.
L’opposition – de gauche comme de droite – a critiqué ces règles comme étant « des décisions solitaires n’ayant ni queue ni tête ». La philosophe et auteure Aïda N’Diaye commente : « Vous pouvez rire, mais nous sommes tombés dans une dangereuse absurdité.» Ce professeur trouve dangereux le principe même de l’obligation de se délivrer des attestations à soi-même : cela met dans la tête des gens la nécessité permanente d’être maître de soi et de devoir se justifier devant l’État. « La limite au-delà de laquelle on enfreint la loi est devenue très facile à franchir. Une promenade sans chronomètre suffit. »
Dans son discours sur le reconfinement, Macron a présenté les attestations comme étant inévitables, sans donner la moindre raison. Pour N’Diaye, cette politique répressive conduit au contraire de ce qui est souhaité. Les adultes sont traités comme des enfants. En conséquence, les adultes ont réagi comme des enfants : ils se sont révoltés et ont aussi enfreint des règles qui, elles, étaient sensées, comme garder leurs distances. « Je regarde les foules dans la rue sans aucune distance, mais avec de nombreux certificats ».
De plus, à part l’extrême droite du Rassemblement national, la France n’a guère d’opposition audible. Ni les conservateurs ni les socialistes n’ont de chef charismatique qui pourrait contrer le cavalier seul de Macron. La politologue Chloé Morin a conseillé d’anciens Premiers ministres français et vient de publier un livre sur la façon dont les décisions technocratiques sont prises à l’Élysée – une publication que beaucoup déconseillent car elle pourrait ruiner leur carrière.
Morin voit une « apathie démocratique » dans la politique sur le coronavirus. Elle prédit qu’à long terme, l’extrême droite du Rassemblement National bénéficiera des décisions solitaires au sommet de l’État. « La cheffe de parti Marine Le Pen peut mobiliser avec succès ses partisans contre l’élite car il existe un système opaque auquel les gens normaux ne participent pas et qui est contraire à leurs intérêts ». Les hauts-fonctionnaires et les conseillers de Macron sont tous issus de l’école d’élite ENA, qui se caractérise avant tout par son uniformité : il s’agit pour la plupart d’hommes issus de familles parisiennes aisées dont les pères étaient également hauts-fonctionnaires. Morin les appelle « l’aristocratie ». Ils ne sont pas conscients de ce qui est si évident : qu’il est insupportable pour une famille de cinq personnes vivant dans un appartement de trois pièces dans une banlieue grise de n’être dehors qu’une heure par jour.
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En fait, la politique de Macron contre le coronavirus est quasiment monarchique. Les décisions de grande portée concernant un confinement ou un couvre-feu sont prises dans un « Conseil de défense » composé de quelques ministres, responsables administratifs et officiers, tandis que le Parlement n’a rien à dire ni rien sur quoi voter. « Une poignée de personnes décident secrètement si le pays sera fermé – sans aucun contrôle », dit Morin. Au final, le président de 42 ans a annoncé sa décision sur l’actualité principale, et cela sans qu’aucune question ne soit autorisée. L’urgence sanitaire a été votée pour cinq mois et elle donne au gouvernement des pouvoirs si étendus que la Ligue des droits de l’homme (LDH) – une ONG qui a remporté de nombreux succès devant les tribunaux des droits civils – déclare aujourd’hui : « Nous ne pouvons pas intenter de poursuites judiciaires contre l’adoption des règles de confinement car l’état d’urgence permet tout. »
Les gens trouvent des moyens de contourner la loi
Le Conseil consultatif scientifique avait en fait demandé au gouvernement Macron d’impliquer davantage les citoyens dans les décisions de grande envergure concernant la lutte contre la Covid19. Il ne l’a jamais fait. Mais certains maires tentent de contrer l’omnipotence de Paris. Le maire Vert de Grenoble, une communauté de 160 000 habitants dans les Alpes, a convoqué un conseil de citoyens tiré au sort : 120 citoyens de tous âges peuvent exprimer leurs préoccupations et donner des conseils sur la façon dont les règles du reconfinement peuvent être améliorées – même si la marge de manœuvre des élus locaux reste étroite. Lors d’un premier tour de table le week-end dernier, le groupe a discuté de la manière dont les personnes seules peuvent être aidées pendant le reconfinement et comment l’on peut continuer à faire du sport.
Dans tout le pays, les gens acceptent les règles venues de Paris : ils remplissent leurs certificats plusieurs fois. Les coureurs se croisent sur des chemins éloignés, sachant très bien qu’ils n’en ont légalement pas le droit. Dans les supermarchés, les employés sortent les jouets de derrière les barrières : les jeux de construction et les poupées peuvent être achetés sur Internet puis récupérés à la caisse.
Quant à la nageuse Betty Bellion-Jourdan, elle a reçu un certificat de son médecin Guillaume Barucq selon lequel elle dépend de la natation pour sa santé. « Personne dans la mer ne risque d’être infecté par la Covid19, c’est gratuit et c’est bon pour la santé », argumente Barucq. Il recevait de plus en plus de patients dans son cabinet qui étaient déprimés et devenaient de plus en plus faibles physiquement. Tout le monde avait besoin de sport pour renforcer ses défenses, y compris contre le coronavirus. « Dans quel État vivons-nous, où les seniors qui nagent doivent sortir de l’eau sous escorte policière ? » s’interroge le médecin. Entre-temps, le ministre des Sports a clairement indiqué depuis Paris que les personnes atteintes de maladies chroniques peuvent continuer à faire du sport. Mais pour cela, tout le monde, comme Bellion-Jourdan, a besoin d’un nouveau certificat.
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