Le funambule David Cameron a-t-il vraiment obtenu un « changement d’Europe » ?
Quelques internautes m’ont écrit pour me demander ce que je pensais de l’accord « pour éviter le Brexit » et si cet accord ne prouvait pas que, contrairement à mes analyses, une « volonté politique » permet de « changer d’Europe », comme le claironnent Mme Le Pen et MM. Mélenchon et Dupont-Aignan.
Je réponds à cette question dans le nouvel entretien d’actualité qui est actuellement en cours de montage.
Cependant, afin de ne pas faire trop attendre les lecteurs, je leur précise tout de suite que, comme je l’ai dit hier dans l’émission de TV-Agri, en réponse à M. Dupont-Aignan, ceux qui croient que Cameron a obtenu un véritable changement, soit se trompent, soit mentent.
LE ROYAUME-UNI N’EST PAS LE RESTE DE L’EUROPE
D’une part, le Premier ministre britannique n’est pas du tout dans la même situation que la France puisque son pays n’est ni dans l’euro ni dans l’espace Schengen.
Ces dérogations-là remontent à longtemps :
1°) 1991/1992 pour la non-adoption de l’euro
Lors de la signature du traité de Maastricht créant l’Union européenne (le 8 décembre 1991), le gouvernement britannique n’accepta de signer le traité qu’à la condition que le Royaume-Uni obtiendrait une exception le concernant.
Notons bien que les autres États-membres (11 à l’époque) auraient très bien pu refuser cette exception. Le Royaume-Uni aurait alors été sommé d’opter pour une acceptation de l’UE ET l’euro ou pour sa non-adhésion à l’Union européenne.
Il est facile d’imaginer que si les autres États-membres (et en particulier l’Allemagne et la France) acceptèrent cette dérogation, c’est à la fois :
1.1).- parce qu’ils n’avaient pas envie de démontrer qu’un grand pays préférait ne pas entrer dans l’UE : le référendum sur Maastricht qui eut lieu le 20 septembre 1992 en France fut adopté sur le fil du rasoir (51% contre 49%), à l’issue d’une campagne de propagande d’une intensité inouïe. Il est possible que si le Royaume-Uni avait quitté la construction européenne à ce moment-là, le Non aurait pu être victorieux.
1.2).- parce que Washington, dans les coulisses, exerce toujours des pressions très fortes pour que Londres reste dans l’édifice européen.
2°) 1995 pour la non-entrée dans l’espace Schengen
Lorsque les accords de Schengen et sa convention d’application entrèrent en vigueur le 26 mars 1995, le Royaume-Uni (et l’Irlande) ne le signèrent pas.
Comme précédemment, les autres États-membres de l’UE (dont le nombre total était passé à 15) acceptèrent que Londres se distingue des autres pays, pour des raisons comparables à celles listées précédemment.
CAMERON N’A OBTENU QUE DES CONCESSIONS FACTICES À DES FINS ÉLECTORALISTES
Comme je viens de le dire, les deux dérogations de 1992 (non-adoption de l’euro) et de 1995 (non-entrée dans l’Espace Schengen) ont été obtenues « ab initio » (« dès le début »), par un refus de Londres de s’engager juridiquement sur l’euro et sur Schengen, et par l’acceptation pusillanime des autres pays qu’il en soit ainsi.
Dès lors, le Royaume-Uni n’est JURIDIQUEMENT PAS CONTRAINT d’entrer dans l’euro ni d’entrer dans l’espace Schengen.
Mais l’accord qui a été obtenu cette fois-ci par David Cameron « pour éviter le Brexit » n’a rien à voir. Il n’a pas obtenu la moindre modification des traités européens existants, c’est-à-dire du traité sur l’Union européenne (T.U.E.) et du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (T.F.U.E.), que le Royaume-Uni a signés et ratifiés avec les clauses d’exemption euro et Schengen.
Les prétendues « concessions » qu’il a « obtenues » émanent de chefs d’État et de gouvernement. Il s’agit d’un simple accord intergouvernemental à la légalité douteuse, qui ne résiste pas une seconde du point de vue juridique face aux traités internationaux signés et ratifiés dans les formes solennelles.
Cette différence est d’une importance capitale. Car cela signifie qu’à tout moment, n’importe quel justiciable au Royaume-Uni pourra saisir les tribunaux britanniques pour non-respect des traités européens.
Imaginons par exemple qu’un citoyen d’un autre État de l’UE (un ressortissant polonais, slovaque, bulgare, etc.) se voit refuser les prestations sociales britanniques – c’est l’une des “concessions” majeures prétendument obtenues par Cameron. Rien ne l’empêchera alors de saisir un tribunal pour violation des traités européens. Ceux-ci seront alors obligés de se tourner vers la Cour de Justice de l’UE (C.J.U.E.) siégeant à Luxembourg, qui condamnera à coup sûr les accords intergouvernementaux qui enfreignent les traités.
Du reste, rien n’empêchera non plus la Commission européenne elle-même – qui est juridiquement chargée de faire respecter les traités – de saisir elle-même la C.J.U.E. Elle pourra le faire à bon droit quelques semaines ou quelques mois après le référendum, si les Britanniques cédaient à la campagne d’intimidation qui a commencé et se décidaient finalement à rester dans l’Union européenne.
CONCLUSION : NON, LA « VOLONTÉ POLITIQUE » D’UN ÉTAT NE PERMET PAS DE « CHANGER D’EUROPE »
Ainsi donc, les « concessions » obtenues par le Premier ministre britannique ne sont qu’un numéro d’équilibrisme à des fins purement électoralistes, afin de dissuader les Britanniques de voter pour le Brexit. En bon politicien euro-atlantiste, Davic Cameron table sur la crédulité du plus grand nombre.
Ces prétendues « concessions » n’ont pas plus de valeur juridique – au regard du droit international – que le « droit de veto » que Charles de Gaulle avait obtenu le 18 janvier 1966 à l’issue de la crise de la « chaise vide ». On a d’ailleurs vu que ce « droit de veto » n’est plus jamais invoqué. En tout et pour tout, il ne fut finalement invoqué qu’une dizaine de fois entre 1966 et 1987, et il ne l’a plus jamais été depuis lors.
Pour que ces « concessions » aient eu une vraie valeur, il aurait fallu modifier les traités européens, en y incluant des nouvelles dérogations spéciales pour le seul Royaume-Uni. C’était évidemment impensable dans le contexte actuel : aussitôt, une bonne dizaine d’États-membres au moins (notamment à l’est) auraient demandé de bénéficier aussi d’exemptions, les mêmes ou d’autres. En particulier sur la question dite des « migrants », mais aussi sur les sanctions contre la Russie, les aides à l’agriculture ou à l’industrie, la libre circulation des capitaux, etc.
Et comme les traités se modifient à l’unanimité, on peut raisonnablement penser que cette ouverture de la Boîte de Pandore aurait provoqué une réaction en chaîne provoquant l’effondrement du château de cartes européen. Si David Cameron n’a obtenu que des concessions pour la galerie, c’est tout simplement parce que l’UE, qui en est au stade terminal, ne pouvait pas se permettre de lui offrir autre chose.
Contrairement à ce qu’affirment les leurres Le Pen – Mélenchon – Dupont-Aignan, une « volonté politique » ne permet absolument pas de « changer d’Europe ».
Du reste toute l’histoire l’a montré :
– Charles de Gaulle – qui ne manquait pas de « volonté politique » !! – avait imposé le droit de veto en 1966 ; et pourtant ce droit de veto est tombé en désuétude sous le poids de la logique euro-atlantiste.
– Lionel Jospin, qui avait remporté les législatives en 1997 en affirmant qu’il avait la « volonté politique » de « renégocier les critères de Maastricht », n’avait … rien obtenu du tout une fois devenu Premier ministre.
– François Hollande, qui s’est fait élire président de la République en 2012 en affirmant qu’il avait la « volonté politique » de « renégocier le T.S.C.G », n’a… rien obtenu du tout une fois devenu Chef de l’État.
Une seule question, un peu mystérieuse, subsiste : pourquoi bigre les partisans de Mme Le Pen, M. Mélenchon et M. Dupont-Aignan tiennent-ils tant à se faire avoir ? Pourquoi veulent-ils à ce point obtenir une 4e preuve que la « volonté politique » ne permet en aucun cas de « changer d’Europe » ?
François ASSELINEAU
François Asselineau, président de l’Union populaire républicaine. La France doit se libérer de l’Union européenne, de l’euro et de l’Otan.