== DÉCRYPTAGE == Avec quelles techniques Mélenchon manipule l’opinion et contourne savamment la question fondamentale de l’Europe dans la perspective de 2017
Introduction : Mélenchon à Berlin
Jean-Luc Mélenchon a tenu à Berlin, le vendredi 23 septembre 2016, une conférence de presse sur l’Union européenne. À ses côtés se tenait Sarah Wagenknecht, présidente du groupe « Die Linke » au Bundestag, l’équivalent français de notre Assemblée nationale.
Dans une vidéo de 3 minutes , Mélenchon a résumé devant les caméras ce qu’il était venu faire à Berlin, avec ses collègues de « Die Linke ».
Cette vidéo est tout-à-fait intéressante à visionner de très près, car elle nous révèle de façon limpide les procédés rhétoriques et les ruses politiciennes que Mélenchon utilise pour manipuler l’opinion publique.
Le décryptage minutieux du discours de Mélenchon auquel je me livre ci-dessous – à partir du verbatim exact de ses propos – démonte pas à pas comment Mélenchon s’ingénie à tromper les électeurs, en leur faisant miroiter des perspectives qu’il sait, en son for intérieur, impossibles à réaliser, et en leur suggérant de croire à des promesses qu’en réalité il ne leur fait même pas.
Ce morceau d’anthologie de la manipulation politicienne devrait être visionnée au calme et l’analyse que j’en fais devrait être méditée par le plus grand nombre.
Ceux qui jugeront que « c’est trop long » ou qui refuseront tout bonnement d’en prendre connaissance ne devront pas se plaindre, en juin 2017, lorsqu’ils découvriront qu’ayant voté Mélenchon, ils se retrouvent avec Juppé ou Sarkozy à l’Élysée.
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Décryptage du
discours de Jean-Luc Mélenchon du 23 septembre 2016 à Berlin
Le verbatim de ses propos est en rouge ci-dessous.
Mes commentaires sont en noir.
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« Je crois que, comme vous, mes chers camarades, je sais que des progressistes français et allemands ont une très grande responsabilité historique. Nous ne sommes pas ici seulement en train de confronter des scénarios académiques. Nous sommes dans un moment de grand danger. Et ma présence au côté de mes camarades de « Die Linke » veut manifester le sentiment de danger. L’Union européenne est entrée dans un processus de dislocation. Et, dans cette dislocation, le pire est en train de jaillir. Voilà la situation à laquelle nous sommes confrontés. Voilà ce à quoi il faut répondre. »
Commentaires
Par cette entrée en matière théâtrale et dramatisante, Mélenchon plante le décor d’emblée, en mettant dans la tête de son auditoire :
- a)- que la fin de l’Union européenne – qu’il décrit comme une « dislocation » et non comme une « libération » – serait un « grand danger ». Le mot « danger » revient deux fois, tout comme le mot de « dislocation ».
- b)- que, du coup, « le pire est en train de jaillir ». Ce qui revient à assimiler la fin de l’Union européenne à la montée en puissance de l’extrême droite.
Il est intéressant de noter que Mélenchon reprend ainsi totalement à son compte le discours dominant de l’oligarchie euro-atlantiste : à savoir que la fin de la prétendue « construction européenne » serait une catastrophe et que seule l’extrême droite la souhaiterait.
« Nous sommes profondément attachés à l’idéal européen de paix et de concorde. Or cette Europe a été méthodiquement organisée par la droite allemande, comme une machine à faire que les peuples se choquent contre eux, deviennent concurrents les uns avec les autres. Et c’est cette logique folle qu’il faut interrompre. »
Commentaires :
a) Mélenchon reprend la fable atlantiste qui voudrait que la prétendue « construction européenne » aurait pour objectif la « paix » et la « concorde ». Il passe totalement sous silence l’histoire véritable de cet « idéal européen », en trahissant en particulier toute l’analyse qu’en faisait, jusque dans les années 1980, le Parti communiste français. Je renvoie ici à la longue analyse que j’ai produite « Quelle était l’analyse du Parti Communiste Français (PCF) sur « l’Europe » de 1947 à 1980 ? »
b) Mélenchon affirme par ailleurs que « cette Europe » aurait été « méthodiquement organisée par la droite allemande », « comme une machine à faire que les peuples deviennent concurrents les uns avec les autres ». C’est à la fois un mensonge éhonté et une politique de bouc-émissaire anti-allemand très dangereuse.
Pour démasquer le mensonge de Mélenchon, il est utile de rappeler ici :
- que la prétendue « construction européenne » a été promue – et imposée – par Washington depuis les années 50, par les Français Jean Monnet et Robert Schuman. Je renvoie ici à mon dossier « De Pétain à la CIA, la face cachée de Robert Schuman »
- que le gouvernement allemand des années 50 (à l’époque l’Allemagne de l’ouest était occupée par les armées américaine, britannique et française) ne pouvait rien refuser à Washington. L’Allemagne ne peut d’ailleurs toujours pas refuser grand-chose aux autorités américaines de nos jours, ne serait-ce que parce que les États-Unis disposent actuellement de rien moins que 54 198 soldats en Allemagne, que cela plais ou pas à Berlin.
- que, contrairement à ce qu’affirme Mélenchon, « l’organisation méthodique » de l’Europe « comme une machine à faire que les peuples deviennent concurrents les uns avec les autres » ne résulte absolument pas de la seule et unique volonté de « la droite allemande » : ce principe général figure dès le traité de Rome de 1957 et est inscrit noir sur blanc dans un grand nombre d’articles du traité de Maastricht de 1992 créant l’Union européenne !
- que ce traité de Maastricht n’a d’ailleurs pas du tout été voulu par la seule « droite allemande » puisqu’il a été négocié entre 12 États à l’époque : Allemagne, Belgique, Danemark, Espagne France, Grèce, Irlande, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Portugal et Royaume-Uni.
Et que si le traité a été conclu, c’est bien parce que les dirigeants de chacun de ces 12 États a donné son accord et a signé le document final. Je rappelle que les traités doivent être signés et ratifiés à l’unanimité et qu’un seul État pouvait parfaitement faire échouer le projet.
- que, s’agissant de la France, ce traité de Maastricht a été négocié, non pas par « la droite allemande », mais par François Mitterrand, Michel Rocard et Roland Dumas, donc par « la gauche française ».
- que, lors du référendum du 20 septembre 1992, Jean-Luc Mélenchon en personne a appelé les Français à voter en faveur de ce traité ! Il assura que ce traité était un « compromis de gauche ». Dans un discours au Sénat à l’époque, Mélenchon affirma même que la monnaie européenne était l’instrument majeur qui permettrait à l’Europe d’être « porteuse de civilisation, de culture, de réseaux de solidarité » contre le dollar qui « porte la violence ».
- que, compte-tenu du fait que le traité de Maastricht a été adopté sur le fil du rasoir (à 51% des suffrages), il n’est pas exagéré d’affirmer que ce traité aurait pu être rejeté si Jean-Luc Mélenchon et ses amis du courant de la « Gauche socialiste » s’étaient désolidarisés du reste du PS et avaient appelé à voter Non.
Certes, tout le monde peut se tromper. Du reste, Mélenchon a reconnu bien plus tard qu’il regrettait d’avoir appelé à voter Oui au traité de Maastricht en 1992. Dont acte.
Mais cela ne l’autorise pas à faire porter la responsabilité exclusive de la situation actuelle sur la seule « droite allemande » !
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« Nous avons une responsabilité, vous en avez une ici en Allemagne. Il est clair que le gouvernement de Madame Merkel veut faire croire à l’Europe entière que vous vivez ici dans un paradis. En France, on nous dit qu’il faut imiter le modèle allemand. »
Commentaires :
En affirmant que « Madame Merkel veut faire croire à l’Europe entière que vous vivez ici dans un paradis » Mélenchon « veut faire croire », quant à lui, que la politique de rigueur salariale et sociale, imposée par la Commission européenne et la Banque centrale européenne (BCE) à tous les États-membres de l’UE, résulterait de la volonté délirante de cette seule femme.
Pour démasquer cet autre mensonge de Mélenchon, il est utile de rappeler ici que le démantèlement du droit du travail qui a eu lieu en Allemagne dans de nombreux domaines a résulté des réformes dites « Hartz ».
Ces réformes, qui ont été présentées à l’opinion publique allemande comme visant à adapter le droit du travail et le droit fiscal allemand aux contraintes résultant des traités européens et de la mondialisation, ont consisté notamment en une réduction des indemnités chômage, un durcissement des conditions d’indemnisation, une facilitation des licenciements, avec pour corollaire la multiplication des « petits boulots » sous-rémunérés et des contraintes de mobilité professionnelles et géographiques.
Ce que Mélenchon ne dit pas, c’est que ces réformes « Hartz » sont la mise en application des traités européens. Et notamment des « Grandes orientations de politique économique » (GOPÉ) prévues par l’article 121 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), découlant lui-même du traité de Maastricht pour lequel le même Mélenchon avait appelé à voter en 1992.
Je rappelle que les GOPÉ s’appliquent tout autant à l’Allemagne qu’à la France
La différence principale entre l’Allemagne et les pays du sud de l’Europe, dont la France, c’est que les Allemands sont un peuple traditionnellement plus discipliné et plus prompt à obéir aux ordres reçus que les peuples latins. Ce qu’en réalité Mélenchon critique, c’est que les gouvernements allemands aient respecté les traités ratifiés par l’Allemagne… Notons que c’est un reproche qu’il pourrait faire tout autant aux Néerlandais, aux Autrichiens, aux Scandinaves.
Ce que Mélenchon ne dit pas non plus, c’est que ces réformes « Hartz » ont été décidées et adoptées entre 2003 et 2005, par application des GOPÉ imposées par la Commission européenne, sous le mandat du chancelier Gerhard Schröder (SPD), c’est-à-dire par un gouvernement… de « la gauche allemande ». Une gauche allemande qui est d’ailleurs l’alliée du PS français, dont le candidat à la dernière élection présidentielle de 2012 – François Hollande – a été élu parce que Mélenchon s’est désisté en sa faveur dès les résultats du 1er tour connus.
Faire porter la responsabilité des réformes Hartz à « la droite allemande » et à « Madame Merkel » – alors que la loi El Khomri du gouvernement Hollande-Valls est d’inspiration identique – est non seulement un mensonge historique mais une duperie politique.
Cela donne à croire qu’un changement de majorité en Allemagne et le retour de « la gauche allemande » pourraient abroger ces réformes, alors qu’il existe un large consensus droite-gauche en Allemagne pour respecter les demandes bruxelloises et donc pour mettre en œuvre ces réformes, dont l’inspirateur (celui qui leur a donné son nom : Peter Hartz), était le directeur du personnel de Volkswagen et en quelque sorte le représentant du patronat allemand.
Le consensus est d’ailleurs tellement patent que Mélenchon oublie de préciser que le gouvernement actuel de Mme Merkel repose précisément sur une “grande coalition” droite-gauche CDU-CSU/SPD !
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« Eh bien moi, je suis prêt à imiter le modèle allemand. Mais moi, mon modèle, c’est Oskar Lafontaine ce n’est pas Madame Merkel. Et nous n’avons pas envie de généraliser à notre pays ce que nous voyons ici. »
Commentaires :
Âgé de 73 ans, Oskar Lafontaine est un homme politique allemand qui fut membre du Parti social-démocrate allemand (SPD) (et même son président de 1995 à 1999), parti politique qui appela à ratifier le traité de Maastricht, tout comme le PS de Mélenchon…
Il finit par quitter le SPD en 2005, quelques mois avant les élections fédérales anticipées, pour prendre la direction de « l’Alternative électorale travail et justice sociale », un parti regroupant les déçus de la social-démocratie. lequel parti, fusionna en 2007 avec les ex-communistes de RD – principalement issus des Länder de l’ancienne Allemagne de l’est – pour devenir le parti « Die Linke », qui signifie « La gauche ».
Lafontaine fut élu coprésident de Die Linke, en tandem avec Lothar Bisky, et en coprésida le groupe parlementaire au Bundestag, aux côtés de Gregor Gysi, qui fut le dernier chef du SED, le parti communiste est-allemand. Depuis 2010, Oskar Lafontaine a organisé sa retraite progressive de la vie politique.
Au plan programmatique, Die Linke soutient la prétendue « construction européenne », tout en critiquant les politiques axées sur le marché de l’Union européenne. Die Linke en appelle bien entendu à la construction d’une « autre Europe » (ce qui se dit en allemand « für ein anderes Europa » ) :
Aux dernières élections nationales de 2013, Die Linke a obtenu 8,6 % des suffrages, en baisse par rapport aux élections antérieures. Ce parti compte 64 députés au Bundestag (soit 10,2 % des 630 sièges), 4 sénateurs au Bundesrat (soit 5,8 % des 69 sièges) et 7 représentants au parlement européen (soit 7,3 % des 96 représentants allemands au parlement européen)
Par comparaison, rappelons que le Front de gauche en France (dont l’intitulé complet est « Front de gauche pour changer d’Europe ») est une coalition de partis politiques rassemblant le Parti communiste français (PCF), le Parti de gauche (PG) et la Gauche unitaire (GU) lors des élections européennes de 2009. Le front de gauche compte 10 députés à l’Assemblée nationale (soit 1,7 % des 577 sièges), 18 sénateurs au Sénat (soit 5,2 % des 348 sièges) et 4 représentants au parlement européen (soit 5,4 % des 74 représentants français au parlement européen)
On peut donc affirmer que Die Linke a un poids électoral en Allemagne tout-à-fait comparable à celui du Front de gauche en France (de l’ordre de 8 à 12 %). Ils ont le même poids représentatif au Bundesrat allemand et au Sénat français, sensiblement le même au parlement européen ; la représentation au Bundestag allemand est notablement supérieure à celle du Front de gauche à l’Assemblée nationale, principalement du fait du système électoral allemand qui offre une meilleure représentativité aux formations dépassant 5 % des suffrages qu’en France.
En bref, la probabilité que Die Linke arrive à la Chancellerie en Allemagne est du même ordre que celle de voir Mélenchon ou un représentant du Front de gauche élu à l’Élysée.
Tout comme le Front de gauche en France, Die Linke est donc une impasse politique, qui revient à neutraliser 8 à 12 % de l’électorat dans une mythique « autre Europe »/« anderes Europa » selon un projet de société que rejette 90% du reste de l’électorat.
Pendant que ces partis font miroiter ces projets nébuleux, la véritable Union européenne, avec son cortège de ravages économiques et sociaux, poursuit son œuvre de destruction.
« Je vais vous dire maintenant en un mot : nous sommes prêts, nous les progressistes, à changer profondément l’organisation de l’Europe. Nous tendons la main chaque jour pour que cette transformation puisse se faire. »
Commentaires :
Comme je viens de le dire, la probabilité que Die Linke et que le Front de gauche parviennent au pouvoir en Allemagne et en France est quasiment nulle. Et la probabilité qu’ils y parviennent l’un et l’autre au même moment est encore plus dérisoire.
Mais, comme le savent mes lecteurs, les traités européens se changent à l’unanimité des 28 États-membres. ( 27 lorsque le Royaume-Uni aura juridiquement quitté l’UE).
Il est donc capital, pour mesurer la probabilité de « changer profondément l’organisation de l’Europe », comme le dit Mélenchon, de mesurer quel est le poids, dans chacun des 28 pays de l’Union européenne, de ce qu’il appelle les « progressistes ». C’est-à-dire d’examiner le poids du groupe commun dans lequel siègent les représentants de Die Linke et du Front de gauche au parlement européen.
Ce groupe s’intitule la « Gauche unitaire européenne/Gauche verte nordique »
Die Linke, qui est membre du « Parti de la gauche européenne », compte 7 représentants au parlement européen qui siègent dans ce groupe, aux côtés de Mélenchon.
Pris globalement, ce groupe GUE/GVN compte 52 représentants au parlement européen sur 751, soit 6,9 % des parlementaires européens.
Notons que, parmi les 52 représentants de ce groupe GUE/GVN figurent :
- 8 représentants allemands ( les 7 de Die Linke et 1 du Parti pour la protection des animaux).
- 4 représentants français (Marie-Christine Vergiat, Patrick Le Hyaric (PCF), Jean-Luc Mélenchon (PG) et Younous Omarjee (PCR)), tous élus sur l’étiquette du Front de Gauche.
- 6 représentants grecs, dont 4 du parti Syriza (un cinquième a claqué la porte de Syriza après la trahison éhontée de Tsipras)Je rappelle que l’UPR avait diagnostiqué avant tout le monde que Syriza, parti de l’actuel Premier ministre grec Alexis Tsipras, était un parti-leurre, promu par l’oligarchie pour maintenir la domination euro-atlantiste sur la Grèce. La traîtrise est apparue, aux yeux de tous, sept mois après l’arrivée d’Alexis Tsipras au pouvoir. Dans la nuit du jeudi 9 au vendredi 10 juillet 2015, le nouveau Premier ministre “d’ultra-gauche” a adressé un texte de 13 pages à la Commission européenne, à la BCE, au FMI et aux créanciers, pour se plier à toutes leurs exigences. Ce faisant, il a trompé à 100 % les électeurs grecs qui lui avaient fait confiance.
- 3 représentants italiens, tous membres de la coalition « l’autre Europe avec Tsipras » (sic !). Ce qui est en soi tout un programme…
- 11 représentants espagnols, dont 5 membres de Podemos. Or je rappelle que Podemos :
– est un « parti d’opposition » pour rire, qui bénéficie bien sûr d’une ultra-médiatisation
– qui milite non seulement pour que l’Espagne reste dans l’UE mais aussi pour que l’Espagne reste dans l’euro
– dont le dirigeant, Pablo Iglesias, est chaleureusement reçu par l’ambassadeur des États-Unis à Madrid,
– et qui s’est déclaré solidaire des opposants pro-américains au président vénézuélien Maduro.
Il est intéressant de noter que ce groupe GUE/GVN compte 14 nationalités : Allemagne, Chypre, Danemark, Espagne, Finlande, France, Grèce, Irlande, Italie, Pays Bas, Portugal, République tchèque, Royaume-Uni et Suède.
Cela signifie a contrario, que le groupe de la « Gauche unitaire européenne/Gauche verte nordique » ne compte aucun représentant émanant des 14 autres États-membres, c’est-à-dire de la moitié des pays de l’UE : Autriche, Belgique, Bulgarie, Croatie, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Malte, Pologne, Roumanie, Slovaquie et Slovénie.
En bref, les « progressistes » de Mélenchon représentent moins de 7 % des parlementaires européens et sont tellement faibles dans 14 des 28 États de l’UE qu’ils n’y ont même aucun parlementaire.
Dans ces conditions, comment les « progressistes » de Mélenchon pourraient-ils « changer profondément l’organisation de l’Europe » alors que les traités européens ne peuvent être modifiés qu’à l’unanimité des États-membres (article 48 du traité sur l’Union européenne ) et qu’il suffit d’un seul État (le très capitaliste Luxembourg par exemple) pour tout bloquer ?
Poser la question, c’est y répondre : Mélenchon et Sahra Wagenknecht ont beau sourire et se présenter conjointement devant les caméras en en appelant aux « progressistes », ils sont dans l’impossibilité totale et irrémédiable de « changer profondément l’organisation de l’Europe ».
On serait d’ailleurs curieux de savoir si Mélenchon et Mme Wagenknecht ici présente sont déjà d’accord entre eux deux sur ce que doit être cette « profonde réorganisation de l’Europe ». Sont-ils en phase sur ce qu’il convient de faire vis-à-vis des « migrants » ? vis-à-vis de l’énergie nucléaire ? vis-à-vis de l’euro ? vis-à-vis de la Russie ? vis-à-vis des pays de l’est ? etc. ?
On notera aussi que 10 des 14 États qui n’ont aucun représentant dans ce groupe parlementaire européen sont des pays de l’est – ex-communistes. Cela permet d’affirmer que l’élargissement aux pays de l’est européen, survenu en 2005 puis en 2007, a rendu encore plus inconcevable l’unanimité des États-membres pour modifier substantiellement l’orientation de la prétendue « construction européenne ».
Et cela d’autant plus que les pays de l’est sont, malgré les déboires qu’ils enregistrent, les principaux bénéficiaires de leur entrée dans l’Union européenne puisqu’ils y sont des « bénéficiaires nets » en termes de « fonds européens », qu’ils profitent aussi des délocalisations industrielles venues de l’ouest, et qu’ils approuvent généralement leur appartenance à l’Otan pour les protéger d’un retour de la Russie.
« Mais, si elle ne peut pas se faire, nous préférerons la souveraineté de notre peuple et le refus de la destruction de notre industrie et de notre patrie à cette forme de cauchemar qu’est l’Union européenne de Madame Merkel. »
Commentaires :
Cette phrase est à regarder de très près, car c’est un monument de tromperie et de manipulation mentale.
Tout d’abord, Mélenchon évoque de lui-même l’hypothèse que le « changement profond de l’organisation de l’Europe » qu’il propose ne puisse pas se faire.
C’est sans doute un changement par rapport à son discours de 2011-2012. Mais pourquoi le fait-il ? Pour désarmer les critiques qui montent parmi ses adhérents et sympathisants, qui commencent à s’impatienter et dont certains sentent qu’il y a un coup fourré. Mélenchon prend ainsi les devants, en annonçant qu’il envisage cette hypothèse.
Seulement voilà : il la présente comme si c’était une vague hypothèse, que l’on pourrait être, hélas, amené à vérifier, ou non, dans un futur non précisé.
Cette simple présentation est un mensonge puisque Mélenchon sait parfaitement – en son for intérieur – que ce n’est pas une hypothèse : pour toutes les raisons que je viens de rappeler précédemment, c’est une certitude absolue qu’il ne se trouvera jamais une unanimité des États-membres de l’Union européenne pour approuver une Europe à la « Mélenchon-Wagenknecht ».
Du reste, il resterait encore à prouver que le Front de gauche et Die Linke puissent avoir, s’ils étaient mis eux-mêmes au pied du mur des responsabilités gouvernementales, la même vision des « profonds changements » à apporter à l’Europe. Que feraient-ils alors, face aux socles anthropologiques et aux différences structurelles héritées des siècles qui opposent la France et l’Allemagne, dans la quasi-totalité des domaines ? Comment concilieraient-ils les intérêts nationaux, économiques, monétaires, sociétaux, géopolitiques, etc., respectifs de nos deux pays ?
Puis, Mélenchon poursuit en affirmant qu’il « préfèrera la souveraineté de notre peuple et le refus de la destruction de notre industrie et de notre patrie à cette forme de cauchemar qu’est l’Union européenne de Madame Merkel. »
On confine ici au chef-d’œuvre.
- D’une part, il emploie un verbe vicieusement bien choisi : « nous préfèrerons ». Si l’on y réfléchit une seconde, ce verbe ne veut strictement rien dire en termes politiques. Il ne comporte aucun engagement concret, précis, et daté. C’est un verbe sciemment flou, qui permet aux auditeurs d’y trouver ce qu’ils veulent entendre.
- D’autre part, il a la malignité de prononcer les mots « souveraineté », « notre peuple » et « notre patrie ». Pourquoi fait-il cela ? Parce que, comme tous les acteurs de la scène politique française, il lit des enquêtes d’opinion qui indiquent que ces mots, ces concepts, ont le vent en poupe ; et il constate avec inquiétude la montée inexorable de l’UPR.
En bon manipulateur d’opinion, il suit donc les conseillers en communication qui lui disent qu’il faut donc « PARLER DE » souveraineté, qu’il faut « PARLER DE » « patrie ».
Notons bien qu’il ne s’agit que d’en « PARLER ». Il ne s’agit pas – surtout pas ! – de prendre le moindre engagement clair et précis. Le seul objectif poursuivi est de « ratisser large », en tablant sur le fait que les électeurs, hélas trop peu souvent attentifs aux détails, en déduiront à tort que Mélenchon propose de sortir de l’UE.
Il faut souligner à ce propos que Mélenchon se garde bien de dire ce que signifie la « souveraineté » de « notre peuple ». Il ne fait que prononcer les mots. Il ne dit pas ce que cela signifie concrètement, et en particulier que cela implique obligatoirement de sortir de l’Union européenne et de l’euro.
Enfin, Mélenchon enfonce le clou en citant Mme Merkel pour la 3e fois, et en faisant porter sur elle toute la responsabilité du désastre de la prétendue « construction européenne »
Ainsi donc, l’ensemble de ce passage est à inscrire en lettres d’or dans un recueil des pires tromperies politiques de notre époque. Il y sera en compagnie des tromperies des autres ténors de la politique qui ont le monopole d’accès aux grands médias.
- Mélenchon manipule l’opinion, exactement comme le fait Marine Le Pen quand elle confirme sur TF1 le 8 février 2016 qu’elle « entrerait en négociations avec l’Union européenne » tout en reconnaissant qu’elle « n’a jamais proposé de sortir de l’euro »
- Mélenchon manipule l’opinion, exactement comme le fait Nicolas Sarkozy qui vient de déclarer sur BFM-TV, le 22 septembre 2016, qu’il « n’exclut pas » d’organiser un référendum sur l’appartenance de la France à l’UE.
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« Préférer la souveraineté », « entrer en négociations avec l’UE », « ne pas exclure d’organiser un référendum sur l’UE », toutes ces formules alambiquées des Mélenchon, Le Pen, Sarkozy et consorts, visent à contourner encore et toujours la question essentielle : celle de la souveraineté nationale ; et elles veillent à ne jamais prendre l’engagement clair et net que seule prend l’UPR, à savoir la triple sortie de l’UE, de l’euro et de l’Otan.
« Je veux que tout le monde l’entende bien clairement : l’Europe est une grande idée, elle mérite mieux que d’être dénaturée comme elle l’est aujourd’hui par Madame Merkel, et Monsieur Schäuble, et toutes les brutalités qui ont été infligées à l’Irlande, à Chypre, à la Grèce. »
Commentaires :
Mélenchon enfonce encore le clou :
a)- dans son esprit, il n’est pas question de sortir de la prétendue « construction européenne » puisqu’il affirme, dans la lignée de son propos introductif, que c’est une « grande idée ».
b)- il cite Mme Merkel pour la 4e fois comme la responsable du désastre et de la « dénaturation » de cette « grande idée ».
c)- il y ajoute M. Schäuble, le ministre allemand des finances
d)- enfin, il y ajoute « toutes les brutalités qui ont été infligées à l’Irlande, à Chypre, à la Grèce. » Mais, là encore, il ment, et cette fois-ci par omission. Car les « brutalités » en question ne relèvent pas du tout de la seule responsabilité de Mme Merkel et de M. Schäuble. Il passe carrément sous silence le rôle majeur joué en la matière par le Fonds monétaire international (FMI), la Banque centrale européenne (BCE) et la Commission européenne dans ce que l’on a appelé la « troïka ».
Parmi cette troïka, le poids de Washington a été essentiel, et plus important que celui de l’Allemagne. Si l’Allemagne s’est en effet montrée assez intransigeante, d’autres États-membres ont aussi pesé lourd dans les « brutalités » décidées par la troïka, par exemple la France vis-à-vis de la Grèce, notre pays étant très soucieux de défendre les intérêts des banques françaises engagées massivement en Grèce.
Ajoutons que les « brutalités » ont été consenties par les gouvernements en question, et en particulier par le gouvernement grec de Syriza qui s’était fait élire précisément sur le refus des demandes de la troïka et qui a trahi son électorat d’une façon qui restera dans les annales.
Comme je l’ai déjà souligné, cela n’empêche nullement Mélenchon de continuer à siéger, au parlement européen, dans le même groupe que les représentants de ce Syriza qui a ainsi accepté la loi des banques plutôt que la volonté de son peuple…
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« Je préfère prévenir d’avance que nous n’allons pas nous laisser faire. Et c’est pourquoi nous nous rapprochons avec autant d’énergie de nos camarades et de nos frères et sœurs progressistes, parce que nous savons très bien que la responsabilité du gouvernement de Madame Merkel n’est pas la responsabilité du peuple allemand. Nous le savons. Alors nous avons beaucoup de travail, vous le voyez, à accomplir. Voilà ce que nous sommes venus faire aujourd’hui. »
Commentaires :
En conclusion, Mélenchon lance une autre formule vide de sens précis (« Nous n’allons pas nous laisser faire ») et ne peut pas s’empêcher de citer encore et toujours Mme Merkel – c’est la 5e fois – comme la grande responsable des malheurs des 510 millions de personnes vivant dans l’UE.
Mélenchon ment encore et toujours. Il fait mine de distinguer Mme Merkel du « peuple allemand », comme s’il s’agissait d’une dirigeante qui avait pris le pouvoir par la force.
Il ne dit donc pas un mot du fait que le gouvernement de Mme Merkel est constitué et soutenu par une « grande coalition » entre « la droite allemande » constituée des Unions chrétiennes (CDU/CSU) et « la gauche allemande » constitué du Parti social-démocrate (SPD).
Il ne dit pas un mot du fait que le gouvernement de Mme Merkel, soutenu à la fois par la droite et par la gauche allemande, dispose de 504 députés sur 631, soit 79,8 % des sièges du Bundestag, alors que Die Linke, je l’ai rappelé précédemment, compte 64 députés, soit 10,2 % de ces même sièges.
CONCLUSION : Ce que Mélenchon ne dit pas
En conclusion, il est fondamental, non seulement de bien comprendre ce que Mélenchon dit, mais aussi de bien comprendre ce qu’il ne dit pas, et ce qu’il se refuse à dire.
Si l’on visionne attentivement son discours, ou si l’on relit le verbatim, force est de constater qu’au moment où il s’exprime sur l’avenir de l’UE :
– Mélenchon ne dit pas un mot du rôle de Washington dans la prétendue « construction européenne »,
– Mélenchon ne dit pas un mot des 28 intérêts nationaux divergents qui engendrent un auto-blocage permanent,
– Mélenchon ne dit pas un mot des articles précis des traités européens, qui sont la résultante fatale de cette conflagration d’intérêts contradictoires,
– Mélenchon ne dit pas un mot du caractère nécessairement anti-démocratique d’une construction politique prétendant rassembler 28 peuples totalement différents, avec des histoires, des langues, des économies, des structures sociales et anthropologiques totalement différentes,
– Mélenchon ne dit pas un mot de l’impossibilité de modifier une virgule des traités sans l’accord unanime des 28 États-membres, donc de « changer profondément l’organisation de l’Europe ».
– Mélenchon ne dit pas un mot des conséquences qu’aurait, pour la France, le fait de prétendre rester dans l’UE tout en refusant d’appliquer les traités européens que nous avons juridiquement ratifiés. La France serait aussitôt déférée devant la Cour de justice de l’Union européenne et immanquablement condamnée, et ensuite déférée, si nécessaire, devant la Cour internationale de justice de l’ONU. Non seulement nous serions contraints au bout du compte, soit d’obéir aux traités, soit de quitter l’UE, mais nous aurions entre-temps ruiné le crédit moral de la France dans le monde.
– Mélenchon ne dit pas un mot de la possibilité de sortir de l’Union européenne, de façon sereine et juridique, par l’article 50 du traité sur l’Union européenne (TUE).
– Mélenchon ne dit pas un mot du fait que la victoire du Brexit, au Royaume-Uni, n’a pas du tout été le fruit du « pire », mais d’un rassemblement du peuple britannique au-delà du clivage droite-gauche, dans lequel une grande partie des Travaillistes et plusieurs grands syndicats avaient appelé à voter pour le Brexit.
En particulier, Mélenchon ne dit pas un mot du fait que ce sont les circonscriptions les plus ouvrières du Royaume-Uni qui ont le plus voté en faveur de la sortie de l’Union européenne, tandis que c’est à la City de Londres et dans les circonscriptions électorales les plus huppées du royaume que le refus de sortir de l’UE a recueilli les meilleurs scores.
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Si, après avoir examiné de près tout ce décryptage, certains continuent imperturbablement à voter et à faire confiance à Mélenchon pour sortir la France du désastre, c’est que, pour paraphraser l’Évangile de Matthieu, « ils ont des yeux et ils ne voient pas, ils entendent et ils ne comprennent pas ».
François ASSELINEAU
27 septembre 2016
François Asselineau, président de l’Union populaire républicaine. La France doit se libérer de l’Union européenne, de l’euro et de l’Otan.