ANGELA MERKEL REJETTE DÉFINITIVEMENT LES ÉTATS-UNIS D’EUROPE D’EMMANUEL MACRON – par Alain Morau
Dans son discours flamboyant prononcé à la Sorbonne le 26 septembre 2017 – deux jours après les élections parlementaires allemandes -, Emmanuel Macron avait présenté son propre projet d’une Europe fédérale et souveraine. Un projet que le peuple français apprit d’ailleurs en même temps que les Allemands, puisque Macron estime que la disparition de la France dans une Europe fédérale est un projet qu’il lui appartient de promouvoir tout seul, sans vérifier auparavant si les Français sont d’accord.
Dans des articles précédents (datés du 15.12.2017 et du 14.3.2018), nous avons suivi, acte après acte, comment la scène politique allemande a réagi à ce projet… par une quasi-absence de réaction !
Finalement, le gouvernement de la nouvelle « GroKo » (« Grande coalition ») est entré en fonction le 14 mars, mais le silence de Berlin se prolongeait depuis lors et devenait vraiment pesant vu de Paris. Auprès du journal Die Welt, Bruno Lemaire avait ainsi déclaré, le 2 juin, attendre une réponse de Berlin.
Le ministre aurait pu éviter cette déclaration dénotant une certaine fébrilité de l’Élysée, doublée d’un certain sentiment d’agacement. Dès le lendemain, Angela Merkel donnait en effet sa réponse dans un entretien accordé à l’édition dominicale du Frankfurter Allgemeine Zeitung.
Le choix d’un entretien dans la presse écrite n’est pas du tout anodin. Angela Merkel aurait pu prononcer un discours tout aussi solennel que celui d’Emmanuel Macron à la Sorbonne, ou faire une déclaration de politique gouvernementale au Bundestag, ou encore donner une interview à la télévision devant des millions de téléspectateurs. Le choix de s’adresser aux lecteurs dominicaux du journal de la place financière (tirage le dimanche : 250 000 exemplaires) garde certes toutes les formes de la bienséance, mais surtout il évite tambours et trompettes.
L’enjeu principal pour l’Allemagne est la question financière et économique. Emmanuel Macron avait demandé la finalisation d’un espace économique et financier commun avec la création d’un ministre européen des finances doté d’un budget indépendant et le principe de transferts financiers dans la zone euro. Angela Merkel, quant à elle, reste sur les positions de son ancien ministre des finances Schäuble, et suit donc l’esprit du récent appel de 154 professeurs d’économie :
- Transformation de l’ESM en « Fonds monétaire européen » (FME) avec plus de possibilités d’intervention si un État se trouve en difficulté, mais en gardant le principe d’un remboursement intégral des crédits et le contrôle par les parlements nationaux (donc possibilité de véto). Ce « FME » constituerait un des piliers de la zone euro, indépendamment de la Commission européenne dont le pouvoir serait ainsi concurrencé. Il aurait par ailleurs les instruments nécessaires pour mettre aussi à contribution les créditeurs privés.
- Mise en place d’une union bancaire, mais sans assurance commune des placements (contrairement à ce que souhaitait la France)
- Création de fonds de transferts financiers visant à améliorer la compétitivité des pays. Les sommes envisagées sont cependant considérées comme peu significatives.
Ces propositions ne reprennent pas du tout le cœur des objectifs d’Emmanuel Macron. L’Élysée se contente de saluer un « rapprochement » des propositions allemandes. En vérité, la position allemande n’a donc pas évolué depuis 2012.
Le deuxième grand sujet est la politique migratoire. Les propositions de Berlin et Paris semblent beaucoup plus proches : création d’une véritable police des frontières européenne et d’une politique migratoire commune, ce qui nécessite d’instaurer le principe d’obligation, pour les pays européens, d’accepter les quotas d’immigrés. Cependant, ces propositions sont éloignées des réalités, tant les pays de l’Europe centrale et orientale y sont allergiques. La Süddeutsche Zeitung conclut qu’« il n’y a pas grand danger de mettre en avant de telles propositions », sous-entendant ainsi un double-jeu de Mme Merkel.
Le dernier enjeu principal est celui de la défense et des affaires étrangères. D’un côté, la chancelière va dans le sens de Macron en défendant l’idée d’une force d’intervention européenne. D’un autre côté, elle crée la surprise en avançant une toute nouvelle idée : la création d’un « Conseil de sécurité européen » et le partage européen des sièges non permanents au conseil de sécurité à l’ONU.
La France, détentrice d’un siège permanent, ne serait certes pas concernée. Cependant, cette proposition, la seule innovatrice de tout l’entretien, met Emmanuel Macron dans une position délicate. Le journal FAZ en décrit précisément les arrière-pensées. Chaque pays a en effet un cœur d’intérêts nationaux à défendre : la politique monétaire et économique pour l’Allemagne, la politique militaire et diplomatique pour la France. En effet, la France après le Brexit restera le seul pays de l’UE à avoir un siège permanent à l’ONU (et par ailleurs la force de frappe nucléaire).
Mme Merkel porte donc l’attention sur cette position singulière et pose indirectement une question à l’Élysée : êtes-vous prêt à toucher à vos intérêts fondamentaux comme vous nous demandez de toucher aux nôtres ? Il sera intéressant de suivre si une réponse sera donnée prochainement par l’Élysée.
La réponse d’Angela Merkel est donc stratégiquement très mûrie. Elle reste d’airain sur ses propres intérêts fondamentaux (politique monétaire et économique de l’Allemagne), souple sur les chemins sans danger (politique migratoire, bloquée par les pays de l’Est), et subtilement offensive sur les intérêts fondamentaux adverses (politique de la défense et diplomatie pour la France). Cette réponse sobre et discrète, contrastant avec les envolées lyriques et les visions d’illuminés du discours de la Sorbonne de Macron, est donc un refus ferme.
Ainsi s’affiche outre-Rhin ouvertement le rejet d’un approfondissement de l’UE. Devant la nouvelle donne économique due au protectionnisme des États-Unis d’Amérique, les divergences entre les intérêts nationaux de la France et de l’Allemagne vont s’accentuer et le fossé va continuer à se creuser. Emmanuel Macron est en réalité complètement isolé au sein de l’UE.
La rencontre qui vient d’avoir lieu ce 19 juin 2018 en Allemagne entre Angela Merkel et Emmanuel Macron n’a en rien changé la donne. Certes, Mme Merkel a affirmé vouloir “la mise en place d’un budget commun pour la zone euro visant à mieux la protéger contre les crises”. Mais, outre que 8 États de l’Union européenne ont déjà indiqué qu’ils y mettraient leur veto, Emmanuel Macron a révélé que ce budget “pourrait être mis en place en 2021”, c’est-à-dire… dans trois ans ! C’est dire s’il s’agit d’un projet nébuleux puisque nul ne sait si la zone euro existera encore dans trois ans. Par ailleurs, nombre d’analystes politiques envisagent la possibilité que Mme Merkel ne soit plus chancelière dans quinze jours, si son accord de gouvernement CDU-CSU vole en éclats sur la question des “migrants”.
Alain MORAU
Doctorant en sciences agronomiques, résidant en Allemagne
Adhérent à l’UPR depuis le 12 mai 2014
19 juin 2018
Article relu et complété par François ASSELINEAU
François Asselineau, président de l’Union populaire républicaine. La France doit se libérer de l’Union européenne, de l’euro et de l’Otan.