Fausses “surprises” des élections Européennes : Le cas de “Podemos” en Espagne

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podemos espagne

La presse internationale la plus euro-atlantiste a donné un très grand écho au résultat obtenu par le nouveau parti espagnol Podemos – héritier du mouvement des Indignés – aux élections européennes en Espagne. Comme on le voit ici, le Financial Times n’a pas hésité à titrer sur « le tremblement de terre Podemos » et à juger qu’il s’agissait de « l’insurrection la plus intrigante » d’Europe.

Pourtant, avec 7,97% des suffrages au niveau national, Podemos n’est arrivé qu’en 4e position, malgré l’intense couverture médiatique qui lui a été si miraculeusement accordée…

Si les forces euro-atlantistes attirent à ce point l’attention des mécontents sur ce nouveau parti censé être “insurrectionnel” et leur faire peur, c’est bien qu’il doit y avoir une raison. 

Les dernières élections au Parlement européen de Strasbourg, qui se sont tenues du 22 au 25 mai 2014 selon les pays, ont apporté leur lot de surprises plus ou moins attendues et de commentaires de part et d’autre.

Que ce soit la première place du Front national (près de 25% des suffrages exprimés et 24 élus) en France, le triomphe de UKIP (plus de 26% des suffrages exprimés et 24 élus là aussi) au Royaume-Uni ou la première place de l’Union chrétienne-démocrate (30% des suffrages exprimés environ pour 29 élus) en Allemagne, tous les résultats ont été analysés à de nombreuses reprises. Toutefois, si certains pays ont eu la faveur des chroniqueurs de radio ou des commentateurs de la télévision, d’autres n’ont eu droit qu’à des articles de presse plus ou moins longs et qui reprenaient le plus souvent des éléments de langage préfabriqués.

C’est le cas de l’Espagne, qui fournit un exemple édifiant de la façon dont nos grands médias, grégaires et guère enclins à la subtilité et à la précision, défendent souvent une vision caricaturale de la réalité, promouvant au passage des partis-leurre. Un peu comme le Front national ou Debout la République, qui ne proposent jamais de sortir de la zone euro, de l’Union européenne et de l’OTAN dans leurs professions de foi[1], certains partis espagnols donnent l’impression d’être extrêmement critiques contre la construction européenne… mais ils ne proposent en réalité qu’une autre Europe.

La coalition Podemos (littéralement, « Nous pouvons »), fondée le 11 mars de cette année et présidée par le professeur en science politique Pablo Iglesias Turrión, fait partie de ces illusions agitées comme des étendards de la souveraineté et de l’euroscepticisme. Pourtant, sous le vernis de la belle histoire racontée par les médias espagnols, français et européens, la réalité demeure.

 

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Prends ton T-shirt Podemos !  

Le principal dirigeant de Podemos, Pablo Iglesias, fait ici la publicité des produits dérivés du nouveau parti.

Ironie de l’histoire (ou calcul marketing soigneusement réfléchi ?), Podemosa choisi comme principal représentant un homonyme de Pablo Iglesias (1850-1925), fondateur du Parti socialiste ouvrier espagnol (l’un des deux grands partis politiques espagnols actuels) et de l’Union générale des Travailleurs (l’un des principaux syndicats du pays).

  • LE BIPARTISME « PPSOE » N’A PAS ÉTÉ FONDAMENTALEMENT REMIS EN CAUSE  

À l’issue du scrutin du 25 mai dernier, tous saluaient en Espagne et dans le reste de l’Europe le grand triomphe de la coalition Podemos et l’écroulement du bipartisme en Espagne, fondé sur l’alternance au pouvoir entre le Parti socialiste ouvrier d’un côté et le Parti populaire de l’autre[2].

S’il serait fastidieux et inutile de faire la liste des articles consacrés à ce thème, rappelons qu’en France par exemple, L’Express n’hésite pas à évoquer la formation de Pablo Iglesias comme le pourfendeur du bipartisme à l’ancienne[3] tandis qu’Euronews, dans sa version française, décrit un « bipartisme ébranlé »[4]. Des mots forts, des analyses tranchées et directes pour une vision singulièrement déformée des faits[5].

Il faut d’abord s’intéresser aux chiffres. Le 25 mai dernier, avec une participation en très légère hausse par rapport aux précédentes élections (43,09%, contre 43% en 2009), les deux principaux partis politiques espagnols ont en effet enregistré une chute non négligeable des voix en leur faveur. Le Parti populaire (PP) passait ainsi de plus de 6,6 millions de voix et 24 sièges[6] à un peu plus de 4 millions de voix et 16 sièges, tandis que le Parti socialiste ouvrier (PSOE) connaissait un sort encore moins enviable, passant de plus de 6 millions de voix et 23 sièges à un peu plus de 3,5 millions de voix et 14 sièges. Ils ne regroupaient ainsi qu’un peu plus de 49% des suffrages exprimés, soit moins de la moitié – une première depuis les années 80.

Face à eux, trois partis dépassaient la barre du million d’électeurs. Il s’agissait d’abord de deux partis installés :

  • la Gauche plurielle, tout à fait comparable dans son programme au Front de Gauche français (qui triplait son nombre de députés, en obtenant six, et doublait plus que largement son nombre d’électeurs) ;
  • et Union Progrès et Démocratie, favorable à une fédération européenne et dont les propositions se rapprochent souvent de celles du MoDem (qui quadruplait son nombre de députés, en obtenant quatre, et doublait amplement son nombre d’électeurs).

Mais la nouveauté venait en effet de Podemos, parti se réclamant du mouvement du 15 mai (autre nom des « Indignés »), qui pointait à la quatrième position, obtenant d’emblée cinq sièges au Parlement européen.

Tous les ingrédients semblaient donc réunis pour permettre à ce parti de gauche radicale d’être l’empêcheur de tourner en rond ou, en d’autres termes, le bourreau du bipartisme espagnol.

Pourtant, les choses sont beaucoup moins claires et simples.

Tout d’abord, Parti populaire et Parti socialiste ouvrier sont tous les deux arrivés très largement en tête de ces élections européennes : 26,06% des suffrages pour le parti au pouvoir et 23% pour le second. Le troisième – la Gauche plurielle – arrive très loin derrière à 10%.PP et PSOE continuent donc de rassembler à eux deux une nette majorité des députés espagnols au Parlement européen (30 sur 54). Par ailleurs, c’est surtout le PSOE qui a souffert, cette situation aboutissant à la démission de son premier secrétaire, Alfredo Pérez Rubalcaba.

Car, comme le soulignait très justement un récent rapport de la Deutsche Bank[7], alors même que l’on prédisait la démission de l’actuel président du gouvernement et du Parti populaire, Mariano Rajoy, à l’été 2013 et que son impopularité devait lui assurer une déroute totale aux élections européennes, c’est bien sa formation politique qui est arrivée en tête. C’est un fait rare dans une Europe en crise puisque, parmi les grands pays de l’Union européenne, seules l’Allemagne et l’Italie ont connu le même phénomène, tandis que le Parti socialiste s’est totalement écroulé en France.

Certes, ce succès a de quoi laisser songeur, étant donnée la politique libérale et déflationniste du gouvernement espagnol, largement inspirée par Bruxelles. Pourtant, il s’agit bien d’un succès qui, sans être triomphal, s’appuie sur une base solide de l’électorat de droite. Enfin, les élections parlementaires espagnoles, qui passionnent logiquement plus que les élections européennes, risquent de décevoir Podemos, puisque les « petits partis » nationaux y sont, en vertu des lois électorales en vigueur, moins favorisés que les partis régionalistes.

Dans ce contexte, parler de remise en cause totale ou d’ébranlement du bipartisme espagnol est à la fois exagéré et prématuré.

  • Le Parti populaire est arrivé en tête dans une majorité de provinces espagnoles, tenant ferme dans ses bastions traditionnels comme l’Aragon (plus de 35% des suffrages dans la province de Teruel), la Galice (plus de 44% dans la province d’Orense), la Communauté de Valence (plus de 32% dans la province de Castellón), la Région de Murcie (plus de 37%) ou la Castille-et-León (plus de 46% dans la province d’Ávila). Mieux encore, il semble s’ancrer de manière durable dans des terres traditionnellement à gauche comme la Castille-La Manche (plus de 43% dans la province de Cuenca).
  • Le Parti socialiste conserve de son côté le grand Sud espagnol, notamment l’Andalousie (plus de 42% dans la province de Jaén et plus de 41% dans la province de Huelva) et une partie de l’Estrémadure (plus de 40% dans la province de Badajoz). Il s’assure également la première place dans l’ancienne région minière des Asturies. Dès lors que le Parti populaire est en tête, le PSOE joue généralement les rôles de dauphin, talonnant parfois de près son principal rival.

Avec 7,97% des suffrages au niveau national, le score de Podemos est certes très honorable si l’on tient compte du fait qu’il s’agit d’un parti de constitution très récente, et qu’il récolte de bons résultats dans le centre de l’Espagne[8], notamment à Madrid (une troisième place avec 11,28% des suffrages exprimés) et dans la Castille-et-León (la troisième place avec 9,5% dans les provinces de León et Zamora).

Cependant, malgré les répercussions psychologiques et médiatiques du mouvement des Indignés, dont il est issu, il ne peut à aucun moment représenter un contre-pouvoir sérieux au bipartisme en place, ses meilleurs résultats provinciaux ne dépassant jamais les 12% des suffrages exprimés. De plus, son ancrage dans les zones rurales, très représentées au parlement espagnol, est bien plus faible qu’en milieu urbain.

Comment expliquer, alors, cette médiatisation sans précédent d’un tel parti ?

La surprise (relative) et l’effet de nouveauté ne peuvent rendre compte de tout. Il y a autre chose : la formation de Pablo Iglesias ne dérange pas fondamentalement les pouvoirs en place.

 

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Mariano Rajoy, président du gouvernement espagnol depuis le 21 décembre 2011, dispose au Congrès des députés (chambre basse des Cortes, le parlement espagnol) d’une majorité absolue avec 185 sièges sur 350.

 

 

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Cette carte résume les grandes tendances du scrutin européen dans les différentes provinces espagnoles. Elle donne une image de la réalité électorale plus précise et bien différente que celle que relaient les médias français :les provinces en bleu ont majoritairement voté pour le Parti populaire ;

  • celles en rouge, pour le Parti socialiste ouvrier espagnol ;
  • celles en noir, pour Bildu, parti indépendantiste basque classé à gauche ;
  • celles en orange, pour la Coalition pour l’Europe, regroupant essentiellement des partis indépendantistes catalans et basques de droite ;
  • celles en jaune, pour la Gauche républicaine catalane, parti indépendantiste catalan.

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Cette affiche pour l’Assemblée constituante de Podemos le 21 février 2014, lance le slogan : Podemos cambiar las cosas  = Nous pouvons changer les choses.

Comme cela a été le cas en France pour les tout nouveaux partis Nous Citoyens ou Nouvelle Donne, Podemos a eu droit – à peine né ! – à toutes les antennes de télévision et de radio, qui sont si continuellement refusées, depuis des années, à l’UPR en France, à l’EPAM en Grèce ou à l’IPU en Finlande.

Ce qu’il est essentiel de comprendre, c’est le pourquoi de cette différence de traitement médiatique dans toute l’Europe.

  • PODEMOS PRÉTEND TOUT CHANGER…

Pour mieux comprendre la situation, il faut s’intéresser de près au programme politique de ce parti, spécialement rédigé en vue des élections européennes.

Il est en effet trop souvent résumé par les deux slogans de Podemos – « ¿ Cuándo fue la última vez que votaste con ilusión ? » (« Quand as-tu voté avec espoir pour la dernière fois ? ») et « ¡ Claro que podemos ! » (« Bien sûr que nous pouvons ! »). Comme la plupart des slogans politiques, ils sont généraux, vagues et guère intéressants pour eux-mêmes.

Notons au passage que le nom même du parti ( Podemos = « Nous pouvons ! ») est en soi un slogan, et qu’il fait irrésistiblement penser au slogan Yes we can = « Oui, nous pouvons ! » utilisé par Barack Obama pour sa campagne présidentielle de 2008. À l’évidence, ce mouvement héritier des« Indignés » ne s’indigne pas des procédés de marketing politique venus d’outre-Atlantique…

Au-delà de ces slogans, le programme s’articule autour de six idées fortes (« Faire redémarrer l’économie », « Conquérir la liberté », « Conquérir l’égalité », « Récupérer la fraternité », « Conquérir la souveraineté » et « Récupérer la terre ») auxquelles nul ne pourrait rien trouver à redire et qui sont toujours accompagnées du mot d’ordre « Construire la démocratie ».

D’aucuns noteront immédiatement une certaine parenté avec l’Union Populaire Républicaine en France. Cet « air de famille » s’appuie sur un certain nombre de propositions identiques, ou pour le moins semblables dans leur esprit : réalisation d’un audit citoyen de la dette ; réorientation du système financier en faveur de l’économie réelle ; reprise en main des secteurs stratégiques de l’économie ; contrôle des acquisitions dans le domaine des médias afin d’éviter les monopoles ou les oligopoles, etc.

Pourtant, les ressemblances s’arrêtent là.

En premier lieu parce que Podemos est un parti pour lequel la souveraineté nationale est un thème parmi d’autres, et non pas LA priorité autour de laquelle tout doit tourner. De plus, il s’agit d’une formation de gauche, qui s’adresse avant tout à des électeurs de gauche. Podemos n’entend pas du tout rassembler une majorité d’Espagnols autour d’un objectif commun, au-delà de leurs tendances politiques habituelles. Ainsi, ses propositions en matière économique rebuteront toujours l’électorat libéral, traditionnellement plus développé en Espagne qu’en France.

Mais là n’est sans doute pas le plus grave. En effet, ses prises de position dans le domaine sociétal ou en matière internationale risquent de faire fuir l’électorat conservateur, qui représente bon an mal an une moitié du corps électoral espagnol. Ainsi, Podemos défend la théorie du genre ; opte résolument pour la laïcité dans un pays où ce sujet est beaucoup moins consensuel qu’en France[9] ; prône une extension considérable du droit à l’avortement[10] ; critique toute politique visant à limiter l’immigration de masse vers l’Espagne[11] ; appelle de ses vœux la tenue d’un référendum concernant l’indépendance du Sahara occidental[12], etc.

C’est bien entendu parfaitement son droit. Mais cette accumulation de sujets clivants ne peut avoir pour effet que de créer des polémiques, favoriser des divisions, et… « noyer le poisson » en faisant oublier l’essentiel : à savoir la perte de souveraineté de l’Espagne, inféodée à un ensemble euro-atlantiste absurde et nocif.

  • …MAIS PODEMOS REFUSE TOUTE REMISE EN CAUSE DE L’UE !

Des problèmes encore plus importants et insolubles se posent d’ailleurs lorsque l’on entre davantage dans le vif du sujet. Car à aucun moment Podemos ne propose de sortir de l’Union européenne.

Il prône, comme tant d’autres partis-leurre à travers le continent, une « autre Europe » : une Europe sociale, une Europe des peuples, une Europe des travailleurs. C’est ainsi qu’il exige la modification des traités de libre-échange passés entre l’Union européenne et des États tiers ou l’abandon des négociations concernant le Traité de Libre-Échange transatlantique.

Ces propositions sont certes louables. Mais comment les mettre en œuvre au sein de l’Union européenne alors même que des pays traditionnellement libéraux et pro-américains (Royaume-Uni, pays baltes, pays d’Europe centrale et orientale, Allemagne) s’y opposeraient et que les chances de voir la gauche radicale triompher dans les vingt-huit États membres au même moment sont infinitésimales, pour ne pas dire totalement nulles ?

Du reste, nombre de thèses de Podemos s’inscrivent dans le cadre de l’Union européenne, ce qu’il revendique sans fard :

  • reconversion de la Banque centrale européenne en faveur d’une politique sociale… Mais quid de l’opposition de l’Allemagne, du Luxembourg ou de la Finlande à tout projet de ce type ? Et quid de la survie de l’euro, dont la surévaluation nuit aux intérêts économiques espagnols ?
  • création d’une Agence européenne de Notation (comme si les marchés financiers allaient d’un seul coup cesser de consulter Moody’s et Standard & Poor’s…) ;
  • rédaction d’une Charte démocratique européenne (le titre est ronflant mais il faudrait vérifier si le contenu inexistant conviendrait le moment venu aux 27 autres peuples) ;
  • mise en place plus régulière d’initiatives populaires au niveau européen (ce qui suppose l’existence d’un « peuple européen »…)  ;
  • réorientation du budget de l’Union européenne vers des politiques sociales (c’est le contraire exact de ce que veulent les Allemands, qui sont, ne l’oublions pas, les premiers contributeurs nets à ce budget…),
  • etc.

Le message est clair et il convient de le répéter : Podemos ne veut en aucun cas remettre en question l’existence de l’Union européenne.  

Podemos refuse de voir que l’U.E. est une construction d’origine anglo-saxonne (comme l’a maintes fois démontré l’UPR), qu’elle est  irréformable, qu’elle est faite pour s’aligner sur un modèle ultra-libéral, qu’elle ne peut être qu’antidémocratique puisqu’il n’y a pas de demos européen.

Cet attachement inconditionnel à l’Union européenne est tel que Pablo Iglesias et son parti soutiennent à plusieurs reprises, dans leur programme, l’intégration croissante des pays européens, et cela en parfait accord avec les formations les plus farouchement européistes. Un tel attachement rend par ailleurs impossibles toutes les politiques sociales et antilibérales prônées dans sa charte électorale.

En d’autres termes, Podemos est clairement un parti-leurre, qui montre dans sa main gauche, bien ouverte, des orientations socioéconomiques alléchantes, tout en cachant son poing droit derrière son dos, bien fermé, afin de ne pas dévoiler les contradictions entre ces politiques et un européisme à tout crin. De plus, ce parti se met d’emblée dans l’impossibilité d’attirer une bonne partie de l’électorat de droite, défavorable à ses idées sociétales.

 

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Un programme leurre caractéristique.

Cette affichette résume quelques points du programme de Podemos. Il y est notamment question de :

  • SOBERANÍA POPULAR : que sea el cuidadano el que elija sobre sus propios designos, no los grandes capitales, ni los mercados, ni la banca, etc (SOUVERAINETÉ POPULAIRE : que ce soit le citoyen qui choisisse son propre destin, et non pas les grandes capitales, ni les marchés, ni la banque, etc.)
  • SALARIOS Y PENSIONES : aumentó de ambos (SALAIRES ET RETRAITES : augmentation des deux)
  • IGUALDAD ENTRE HOMBRES Y MUJERES (ÉGALITÉ ENTRE HOMMES ET FEMMES)
  • OTAN : referéndum vinculante per la salida de España de la OTAN (OTAN : Référendum contraignant sur la sortie de l’Espagne de l’OTAN)
  • PRIVATIZACIONES ? abacar con la privatización de los servicios públicos (PRIVATISATIONS ? En finir avec la privatisation des services publics)
  • IGLESIA : libertad de credo, eliminación de los privilegios de la iglesia católica (ÉGLISE : liberté de croyance, élimination des privilèges de l’Église catholique)
  • etc.

Ce programme composite comporte à la fois des éléments touchant à la souveraineté et d’autres qui n’ont rien à voir mais qui ont pour effet de faire fuir l’électorat de droite et du centre.

Plus symptomatique encore, la plupart de ces propositions (souveraineté populaire, revalorisation des salaires et des retraites, sortie de l’OTAN, arrêt de la privatisation des services publics,…) sont totalement incompatibles avec les traités européens et les directives venues de Bruxelles et de Francfort.

Un tel programme n’aurait de sens que si Podemos proposait aux électeurs de faire sortir l’Espagne de l’UE et de l’euro. Or, justement, ce parti ne le propose pas, élude la question cruciale de l’euro, et milite au contraire pour une plus grande intégration européenne !

  • …ET PODEMOS ŒUVRE POUR LA REMISE EN CAUSE DE L’UNITÉ DE L’ESPAGNE.

Néanmoins, il y a plus encore. Au deuxième alinéa du deuxième chapitre de son programme politique, la formation de Pablo Iglesias défend le droit à l’autodétermination[13] des différentes communautés autonomes espagnoles (Catalogne et Pays basque pour l’essentiel, même s’ils ne sont pas nommés). Une telle idée va à l’encontre non seulement de la Constitution de 1978[14], qui régit la vie politique du pays, mais aussi du sentiment majoritaire du peuple espagnol.

Ce dernier, que Podemos prétend représenter, est clairement opposé à toute sécession d’une communauté autonome espagnole, que ce soit dans les milieux de droite ou ceux de gauche[15]. Le passage qui évoque ce droit à l’autodétermination est toutefois réduit (deux lignes à peine dans le programme), de telle sorte qu’il se voit noyé entre d’autres propositions et qu’un électeur mécontent des partis traditionnels – mais pressé et inattentif – n’y prêtera pas forcément garde. Il s’agit pourtant d’une trahison en bonne et due forme des souhaits profonds de l’écrasante majorité des Espagnols.

Cette trahison pourrait coûter cher à Pablo Iglesias étant donné qu’il soutiendra officiellement des marches pour l’indépendance au Pays basque, aux côtés du Parti nationaliste basque et de Bildu[16]. De quoi froisser les provinces du centre de l’Espagne (notamment celle de Madrid), les plus opposées à toute dérive séparatiste… mais aussi celles où l’on a le plus voté pour Podemos.

 

 

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Le 11 septembre 2013, dans le cadre de la « Voie catalane pour l’indépendance », une chaîne humaine indépendantiste avait été organisée en Catalogne. Pourtant, son succès avait été en-deçà des prévisions de ses organisateurs, qui avaient dû recourir à des vaches ou à des figurants en carton pour « boucher les trous »[17]. C’est ce type de manifestations que compte soutenir Podemos…

  • CONCLUSION : NO PODEMOS 

À la lumière de tous ces éléments, on comprend beaucoup mieux pourquoi la formation de Pablo Iglesias Turrión a bénéficié d’une telle couverture médiatique avant, pendant et après les élections européennes du 25 mai 2014. Une couverture allant bien au-delà de son poids réel dans le panorama politique espagnol et de son pouvoir de nuisance vis-à-vis du bipartisme PP-PSOE.

Si certaines de ses mesures, radicalement ancrées à gauche, peuvent sembler aller à l’encontre des intérêts de l’oligarchie euro-atlantiste, elles sont systématiquement désamorcées par le soutien inconditionnel de Podemos au principe de l’Union européenne. Ses prises de position sociétales, les plus polémiques, lui permettent en outre de rebuter une moitié de l’électorat espagnol, empêchant ipso facto tout rassemblement qui viserait à véritablement restaurer la souveraineté du pays. Enfin, son soutien aux indépendantismes régionaux est dans la droite ligne de la politique dite « d’Europe des régions », téléguidée par Washington, qui vise au démantèlement des États-nations.

En bref, le nom du parti Podemos (« Nous pouvons ! ») est une antiphrase. Concrètement, la raison pour laquelle les médias espagnols le promeuvent sur la scène politique espagnole peut se résumer par l’expression No podemos = « Nous ne pouvons pas ! »

Tout cela ne nous rappelle-t-il rien ? En Espagne comme en France, les mêmes forces utilisent les mêmes recettes pour canaliser la colère populaire vers des partis prétendument « nouveaux » dont on peut être sûr qu’ils ne changeront rien à l’ordre euro-atlantiste établi.

 

Nicolas Klein

NOTES ET RÉFÉRENCES

[1] François Asselineau et l’Union Populaire Républicaine ne cessent d’ailleurs de le rappeler, comme à l’issue du dernier scrutin européen : http://french.ruvr.ru/radio_broadcast/217362642/272829653/

[2] Nombre d’Espagnols parlent volontiers du PPSOE (fusion du sigle de chacun des deux grands partis) pour manifester leur rejet de la politique socioéconomique pratiquée alternativement par les socialistes et les conservateurs, tout comme les Français évoquent l’UMPS.

[3]Voir cet article : http://www.lexpress.fr/actualite/monde/europe/europeennes-grece-et-espagne-les-deux-raisons-de-se-rejouir-de-la-gauche-radicale_1546565.html

[4] Voir cette vidéo : http://fr.euronews.com/2014/05/26/le-bipartisme-espagnol-ebranle/

[5] Les médias français, dont les représentants connaissent singulièrement mal l’Espagne, sont coutumiers du fait. L’on mentionnera, pour donner un autre exemple, le fait que nombre de journaux et chaînes de télévision de l’hexagone n’ont pas hésité à parler d’un raz-de-marée républicain en Espagne suite à l’abdication de Juan Carlos le 2 juin dernier. Cependant, les manifestations convoquées le même jour n’ont rassemblé que 25 000 personnes à Madrid (dont l’agglomération regroupe 6,5 millions d’habitants). Par ailleurs, la tentative des secteurs républicains d’encercler le Congrès des députés le 11 juin (jour du débat sur la loi organique traitant de l’abdication et de la succession de Juan Carlos) a échoué, ne rassemblant qu’une trentaine de personnes (voir cet article : http://www.abc.es/espana/rey-juan-carlos-i-abdica/20140611/abci-fracasa-rodea-congreso-contra-201406111652.html?utm_source=abc&utm_medium=rss&utm_content=uh-rss&utm_campaign=traffic-rss). Enfin, en cas de référendum sur la forme de l’État espagnol, les républicains ne recueilleraient pas plus de 32% des suffrages (voir cet article : http://www.economiadigital.es/es/notices/2014/06/el_pais_se_vuelca_con_felipe_vi_en_su_ultima_encuesta_55602.php).

[6] Le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne attribue à l’Espagne 54 sièges sur les 751 dont se compose le Parlement européen.

[7] Voir cet article : http://cincodias.com/cincodias/2014/06/03/mercados/1401810076_696841.html

[8] C’est un fait moins anecdotique qu’il n’y paraît et j’y reviens plus loin dans cet article.

[9] La laïcité s’est imposée en France comme une valeur communément défendue mais ce n’est pas le cas de nos voisins d’au-delà des Pyrénées. Une importante partie de la société espagnole est défavorable à un tel modèle et défend une certaine influence de l’Église catholique, notamment dans les institutions et le domaine social. Il s’agit donc par définition d’un sujet clivant, qui ne peut contribuer à rassembler les Espagnols.

[10] La restriction des cas d’interruption volontaire de grossesse par le gouvernement espagnol en 2013 a suscité l’opposition de l’électorat de gauche mais l’adhésion de l’électorat conservateur. Tous les Espagnols ne perçoivent donc pas l’avortement comme un droit, loin s’en faut, et une telle position est elle aussi clivante.

[11] Non seulement cette proposition est loin de faire l’unanimité en Espagne mais elle est aussi incompatible avec les actuels traités européens, qui ne pourront être substantiellement modifiés qu’avec l’unanimité des vingt-huit États membres de l’Union européenne. C’est en effet à la Commission européenne que revient la prérogative de décider des politiques migratoires dans l’Union.

[12] Ce territoire, ancienne colonie espagnole sous le nom de « Sahara espagnol », a été décolonisé suite à la « Marche verte », en 1975. Il est réclamé par le gouvernement de Rabat comme partie intégrante du territoire marocain et il est l’objet d’un conflit toujours ouvert, dans lequel s’opposent l’armée marocaine et le Front Polisario. Prendre parti de façon radicale dans ce conflit s’assimilerait à de l’ingérence pure et simple dans les affaires marocaines. Que dirait le gouvernement espagnol si le Maroc soutenait officiellement l’indépendance de la Catalogne ?

[13] Le droit à l’autodétermination des peuples, garanti par l’Organisation des Nations unies, n’est en rien synonyme de droit à la sécession d’une région, étant donné que la même ONU garantit le principe d’intégrité territoriale des États. La Catalogne n’étant pas une colonie de l’Espagne, mais bien une région qui la compose historiquement, un tel droit ne saurait être invoqué en pareil cas.

[14] Il n’est pas inutile de rappeler que cette constitution, fruit d’un large consensus au sein de la société espagnole, a été acceptée démocratiquement par référendum le 6 décembre 1978, avec plus de 87% de votes favorables.

[15] Un récent sondage, daté du 5 mai 2014 et commandé à l’institut Metroscopia par le journal El País, montre qu’en Espagne, seuls 13% de la population sont favorables à un droit à la sécession de certaines régions. Par ailleurs, seuls 16% se prononcent pour un État centralisé, sans communautés autonomes ; 52% approuvent le principe des communautés autonomes, actuellement en place ; et 16% désirent voir le modèle territorial espagnol évoluer vers un fédéralisme plein mais sans droit à la sécession.

[16] Voir cet article : http://www.abc.es/espana/20140606/abci-podemos-alianza-bildu-201406052154.html

[17] Voir, par exemple, cet article : http://www.alertadigital.com/2013/09/11/el-esperpento-catalanista-la-cadena-humana-por-la-independencia-conto-con-figurantes-de-carton-en-algunos-tramos/