Une information essentielle passée sous silence dans les médias français : le nouveau programme de rachats d’actifs de la BCE (le « PEPP ») est à son tour attaqué devant le Tribunal de Karlsruhe.
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La BCE a lancé le 18 mars dernier un nouveau programme de rachats massifs d’actifs obligataires sur les marchés, baptisé PEPP pour « pandemic emergency purchase programme » en américain (traduction : “programme d’achat d’urgence contre la pandémie”).
Initialement de 750 milliards d’euros, il a été allongé à 1 350 milliards d’euros le 4 juin.
L’objectif principal est toujours le même : modérer le coût de l’endettement de l’Italie sur les marchés pour éviter qu’elle ne quitte l’euro.
Ce « bazooka », comme la presse l’a appelé, a fait l’objet de deux novations majeures par rapport aux précédents programmes de rachats d’actifs, notamment le PSPP (« public sector purchase programme »).
Pour le PEPP, en effet, la BCE :
- s’est affranchie de sa propre réglementation qui stipulait qu’elle ne pouvait pas racheter plus de 33% de la dette d’un pays dans le cadre de ses rachats d’actifs ;
- s’autorise à ne pas respecter la répartition induite par la clé de son capital dans ses rachats d’actifs. Cela signifie par exemple que la BCE s’autorise à racheter bien plus de dette italienne que le poids de l’Italie dans son capital.
Or, il s’agit de deux chiffons rouges pour le Tribunal constitutionnel allemand de Karlsruhe qui, dans son récent et sévère jugement du 5 mai 2020 contre l’ancien programme de rachat d’actif de la BCE, le « PSPP », avait écrit :
« En particulier, la limite d’achat de 33 % et la répartition des achats selon la clé de répartition du capital de la Banque centrale européenne empêchent des mesures sélectives du PSPP en faveur des différents États membres et empêchent l’Eurosystème de devenir le créancier majoritaire d’un État membre. »
« Une modification (ultérieure) de la répartition des risques pour les obligations d’État acquises dans le cadre du PSPP toucherait les limites de la responsabilité budgétaire globale du Bundestag allemand et serait incompatible avec l’article 79.3 de la Loi fondamentale [de la République fédérale d’Allemagne]. En l’espèce, cela représenterait une présomption de responsabilité pour la volonté d’un tiers, ce qui est interdit par la Loi fondamentale, avec des conséquences difficiles à calculer »
Or, le parti « Alternativ für Deutschland » (AFD) a décidé de contester devant le Tribunal constitutionnel de Karlsruhe le nouveau programme de la BCE – le PEPP – de 1 350 milliards d’euros.
Les médias français ont gardé un silence quasiment complet sur cette information pourtant essentielle. Seul le journal Les Échos en a fait état. Mais il l’a fait simplement au détour d’un article, dans un “encadré” de couleur verte qui commençait par souligner que ce recours devant le tribunal était fait “par le parti d’extrême-droite AfD”. Façon de discréditer d’emblée le fond du sujet.
Un nouvel obstacle de taille pour la BCE
Il est certes regrettable que ce soit un parti classé à l’extrême droite qui entreprenne le premier cette démarche. Mais derrière lui, c’est une part très significative – et probablement largement majoritaire – des Allemands qui s’oppose ainsi à la politique de la BCE.
Car, au nom de la survie de l’euro, la BCE n’hésite pas à appauvrir massivement les épargnants et à mettre en danger le fonctionnement normal de l’économie, par des taux toujours plus bas. Et cela, aussi bien en Allemagne qu’en France et dans d’autres pays.
Le fait politique essentiel est que le Tribunal constitutionnel de Karlsruhe va donc avoir maintenant à juger le PEPP, comme il l’a fait le 5 mai dernier pour le PSPP.
Or, les juges allemands ne disposent quasiment d’aucune marge de manœuvre.
Compte tenu des critiques virulentes qu’ils ont déjà faites au PSPP et de l’ultimatum qu’ils ont lancé à la BCE, on voit mal comment ils pourraient prononcer autre chose qu’un jugement encore plus sévère pour le PEPP. Et peut-être même, cette fois-ci, une interdiction immédiate faite à l’Allemagne de participer à ce PEPP qui piétine allègrement les deux garde-fous du plafond de 33% de dettes et de la clé de capital rappelés supra.
Rappelons que les juges de Karlsruhe ont sommé la BCE de démontrer la proportionnalité du PSPP au mandat de la BCE avant le 5 août 2020, faute de quoi ils interdiraient à la Bundesbank de continuer à participer au « quantitative easing » de la BCE.
Il apparaît ces jours-ci qu’après bientôt deux mois de réflexion, la BCE et les européistes auraient trouvé un moyen de contourner les demandes du Tribunal de Karlsruhe du 5 mai dernier.
Comment ? En usant encore et toujours du même procédé, qui est celui du “project fear”, consistant à marteler que tout aurait été bien pire si l’UE et l’euro et la BCE n’étaient pas là.
Un article du Monde du 25 juin 2020 précise ainsi la ligne de défense de la BCE pour répondre aux critiques des juges constitutionnels allemands :
Extrait de l’article du Monde du 25 juin 2020
De « nombreuses preuves » existent que l’économie de la zone euro « aurait été en bien pire état sans la stimulation politique des achats d’actifs » menés par la BCE, écrit jeudi l’institut monétaire. L’impact a été « très positif » pour soutenir la croissance et les prix, mais les effets plus contrastés pour les banques et les ménages, reconnaît la BCE. Les ménages, en tant qu’épargnants, ont souffert des taux bas de la BCE, mais en ont profité s’ils étaient emprunteurs.
C’est toujours le même argument des “externalités positives” de la construction européenne. Le même syllogisme qui consiste à dire qu’il serait “absurde”, “démagogique” et “populiste” de dénoncer les 9 milliards d’euros de la contribution nette de la France à l’UE car ce “calcul de boutiquier” ne tiendrait pas compte des “bienfaits immenses du marché unique européen sur l’économie et les exportations françaises”.
En gros, les Français tout comme les épargnants allemands auraient bien tort de se plaindre de leur situation car ils seraient très bénéficiaires de l’UE et de l’euro du point de vue macro-économique. Ce que l’observation à l’œil nu dément pourtant depuis des années.
CONCLUSION : la course de vitesse
Seulement voilà.
Les arguments spécieux habituels que les européistes semblent avoir trouvés pour contourner la demande des juges de Karlsruhe sur l’affaire du PSPP ne pourront peut-être fonctionner encore cette fois-ci car les deux garde-fous précisés par le Tribunal constitutionnel étaient encore respectés par la BCE.
Or tel n’est plus le cas pour le PEPP.
Le Tribunal de Karlsruhe qui vient d’être saisi mettra sans doute deux ans pour se prononcer. Mais son jugement, comme analysé supra, risque d’être à la hauteur de la politique de provocation de la BCE à son égard.
Un bras de fer et une course de vitesse entre le Tribunal constitutionnel de Karlsruhe et la BCE sont donc plus que jamais engagés.
Ce conflit qui semble insoluble pourrait accélérer la désintégration de l’euro.
François Asselineau
26 juin 2020