Le « coronabond », nouveau soin palliatif pour les eurolâtres. Analyse de Vincent Brousseau.
L’épidémie de coronavirus a des effets inattendus. Elle exalte les anti-euro, elle ne désarme pas les pro-euro.
Je ne compte plus les tweets, courriels et déclarations verbales m’expliquant que c’est la fin de la zone euro. Puisse le Ciel donner raison à leurs auteurs, bien entendu. Mais enfin, l’euro a une grande force d’inertie, nous ne le savons que trop.
Ce qui est plus curieux, c’est que l’effet est le même sur les pro-euro. À les entendre, ou plutôt à les lire, cette crise sanitaire d’ampleur continentale serait l’occasion de précipiter certaines réformes qui leurs paraissent (à raison) pouvoir renforcer les maigres chances de survie de leur euro chéri. D’un mal sortirait un bien, en somme.
Le dernier discours dans ce sens porte sur une innovation appelée « coronabond ».
De quoi s’agit-il ?
Notons d’emblée que le coronabond n’est pas une décision ferme. Ce n’est qu’un mot, un concept, un vœu pieux, un projet à l’étude.
Il s’appelle ainsi car son prétexte est la crise sanitaire majeure provoquée par le Covid-19, de la famille des coronavirus. Mais il est censé représenter le salut de l’euro.
Et pourquoi donc ? Parce qu’il est censé être une dette jointe des Trésors publics de la zone euro. Cet objectif de solidarité financière absolue entre les pays de la zone euro est devenu le Graal pour les pro-euro, généralement non-Allemands.
Mais cette mutualisation des dettes a fait l’objet d’un rejet spectaculaire par Merkel en 2012. Elle s’était alors écriée que cela ne se ferait « pas de [s]on vivant », ce à quoi ses interlocuteurs, des cadres du parti libéral FDP, avaient répondu en chœur en riant : « Nous vous souhaitons une longue vie ! »
( source : https://www.spiegel.de/international/europe/chancellor-merkel-vows-no-euro-bonds-as-long-as-she-lives-a-841163.html ).
La dette jointe, ou dette solidaire, c’est par exemple ce qui se produit lorsque 3 étudiants louent un appartement en étant « solidaires ». Cela signifie que le propriétaire est en droit d’exiger de n’importe lequel de ses 3 locataires l’intégralité du loyer, et non pas seulement sa part d’un tiers.
Nous connaissons un exemple de dette solidaire dans le cas de l’euro (tout du moins, ceux qui me lisent régulièrement le connaissent) : c’est le billet en euros. Un billet de 100 euros est une reconnaissance de dette solidaire de toutes les banques centrales de la zone euro ; c’est-à-dire que vous pouvez le présenter à la Bundesbank et elle doit créditer votre compte chez elle de la totalité des 100 euros, et pas seulement de ce qui serait sa part théorique, soit 22 euros et quelque.
De la même façon, un « bond » solidairement émis par le Trésor d’un des États de la zone euro (l’Italie ou la Grèce par exemple) pourrait être présenté, à son expiration, au Trésor allemand qui devrait repayer le montant total. Et pas juste une fraction….
On comprend pourquoi Merkel est contre, et avec elle une part écrasante des élites allemandes et du peuple allemand : ils craignent tous de devenir la vache à lait éternelle de ce qu’ils perçoivent comme le laxisme dépensier traditionnel des pays du sud de l’Europe.
Mais évidemment, comme un tel système rendrait l’euro sérieusement difficile à casser, les pro-euro sont pour, surtout, surtout s’ils ne sont pas Allemands. Tout cela est très logique.
On comprend donc la jubilation discrète, dans le camp pro-euro, de cette perspective, ouverte par l’hécatombe de morts du coronavirus : Oui, le coronabond « brise le tabou » de la dette jointe, donc c’est merveilleux, l’euro va survivre.
BFMTV s’est aussitôt fait l’écho de ce point de vue eurobéat en présentant le projet de coronabond comme la « mutualisation des dettes » et le « tabou qui s’effondre » :
Je renvoie le lecteur à cet article : https://bfmbusiness.bfmtv.com/monde/la-mutualisation-des-dettes-en-zone-euro-un-tabou-sur-le-point-de-s-effondrer-1877427.html .
Sauf que ce n’est pas du tout le cas.
Le journaliste européiste de BFMTV semble croire – ou fait semblant de croire – que ce projet de coronabond correspond précisément à ce que Merkel avait rejeté « elle vivante ». Il pense peut-être que ses lecteurs et auditeurs n’iront pas y regarder de trop près ?
Mais nous, jetons-y un œil moins naïf.
Comme l’explique, de façon inutilement nébuleuse, l’avant-avant-dernier paragraphe de l’article de BFMTV, le coronabond serait en réalité émis par la Banque européenne d’investissement (BEI), avec la garantie du Mécanisme européen de stabilité (MES).
Ce n’est donc pas du tout la même chose qu’une co-émission d’obligations, impliquant le gouvernement allemand en tant que débiteur solidaire (auquel le créancier peut présenter l’entièreté de la facture, et non pas seulement une fraction prédéterminée de celle-ci).
Les « eurobonds » ou les « coronabonds » auxquels rêvent les eurolâtres non-allemands ne sont pas du tout une émission de la BEI garantie par le MES. Il n’y a donc aucun tabou de brisé, et BFM fait simplement de la propagande européiste en tablant sur le fait que ces choses sont trop compliquées et que le lecteur ne va pas creuser.
À quoi on pourrait ajouter que les encours émis de ce coronabond seraient forcément limités. Mais ce qui compte est le principe : virus ou pas virus, il n’y a toujours pas à l’horizon le moindre projet d’émission jointe des gouvernements de la zone, sauf à jouer sur les mots.
C’est finalement cela qui importe : jouer sur les mots afin de ne pas voir que l’Union européenne est en train de mourir – dans son principe comme dans ses réalisations concrètes -, tel est le dernier soin palliatif des européistes acharnés en ces temps troublés d’épidémie meurtrière.
Gageons qu’il va être encore (un peu) question du coronabond dans les jours à venir. Avant que l’on n’en parle sans doute plus du tout.
Vincent Brousseau
22 mars 2020