Le projet SCAF, ou l’échec pressenti d’une « coopération européenne » – Une analyse de la Commission Défense nationale de l’UPR.
La Commission Défense nationale de l’UPR regroupe des experts des questions militaires (y compris des militaires travaillant pour notre mouvement sous anonymat) afin de fournir au peuple français les voies et moyens de l’urgentissime redressement national.
Le système de combat aérien futur (SCAF) est un projet de système de combat aérien multiplateformes, multinational, européen.
Selon le résumé de Philippe Leymarie, sur le site du Monde diplomatique :
« Il ne s’agira pas seulement d’un chasseur de sixième génération [autrement dit d’un remplaçant du Rafale], mais de tout un environnement de combat “collaboratif” : drones, satellites, missiles, radars, unités en mer ou au sol — le tout en réseau, avec des moyens de calcul, de localisation et d’acquisition des cibles ; et avec une dose significative d’intelligence artificielle, le secours de toutes les capacités cyber-offensives et cyber-défensives, en connexion bien sûr avec tous les centres de veille, coordination, commandement… »
La mise en service opérationnelle du système est prévue à l’horizon 2040.
Initialement franco-britannique, le projet s’est transformé (à la suite du Brexit notamment) en projet franco-allemand en 2017 (confirmé par le traité d’Aix-la-Chapelle en 2019). L’Espagne s’est jointe au projet au début de 2019. Le SCAF est placé sous direction française, tandis que le tank de l’avenir, le Main Ground Combat System (MGCS), projet franco-allemand parallèle au SCAF, est placé sous direction allemande, ce qui fait l’objet de crispations du côté allemand.
En parallèle, le Royaume-Uni et l’Italie ont annoncé vouloir développer ensemble un projet moins ambitieux comprenant uniquement un chasseur de sixième génération : le projet Tempest. La Suède et les Pays-Bas, qui veulent se joindre à eux, sont en pourparlers.
À l’heure actuelle, le SCAF n’en est qu’aux études d’architecture. Un budget commun franco-allemand de 65 millions d’euros a été signé pour financer une « étude de concept » du New Generation Fighter (NGF), remplaçant du Rafale et pièce centrale du SCAF.
Le coût total de développement estimé n’est pas dévoilé officiellement, mais on parle de plusieurs dizaines de milliards d’euros.
Sur le plan concurrentiel, le SCAF est destiné à moyen terme à faire contrepoids au concurrent américain F35, dont le retrait est estimé à horizon 2070. En parallèle de l’enjeu économique et industriel du projet, selon les responsables de Dassault et d’Airbus Defence and Space, se dessine « en réalité, rien de moins que notre capacité à assurer notre défense et notre autonomie dans les airs dans la deuxième partie du XXIe siècle ».
Le projet fait néanmoins d’ores et déjà face à de nombreuses difficultés :
1. Des enjeux économiques et industriels nationaux importants
Alors qu’un accord de répartition des tâches à 50-50 avait été trouvé en février entre la France et l’Allemagne (Safran en chef de file et MTU — motoriste allemand — en partenaire principal) sur le développement des moteurs du NGF, le Bundestag a remis en cause la direction française sur le SCAF au début de l’été 2019. Le projet est au point mort depuis lors, déplore-t-on du côté français. Parce que, comme l’a reconnu Joël Barre, délégué général pour l’armement, le 2 octobre dernier devant la commission sénatoriale des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées : « Le deuxième sujet, plus délicat, est l’organisation industrielle concernant le moteur. Nous voulons que les responsabilités soient clairement affichées, contrairement à ce qui avait été fait pour le moteur de l’Airbus A400M [avion de transport militaire européen dont le développement avait rencontré bien des difficultés]. »
En décembre 2019, un accord impliquant la création d’une cosociété à 50-50 entre les deux industriels débloque la situation… avec quelques mois de perdus et des transferts de technologies à passer à la loupe.
De la même manière, le Bundestag a bloqué temporairement le projet de MGCS en exigeant l’entrée de Rheinmetall aux côtés de KNDS, société commune entre Nexter Systems (groupe industriel français) et Krauss-Maffei Wegmann (son concurrent allemand), ce qu’il a obtenu.
Dans le même registre, l’Espagne a choisi l’électronicien Indra (100 % espagnol) comme coordonnateur principal, alors qu’Airbus Défense Espagne (Eurofighter, A400M) se considérait plus compétent et plus expérimenté en la matière (Indra étant un électronicien aéronautique mais pas un constructeur d’avion). Puis, alors que l’Espagne ne devait jouer qu’un rôle secondaire dans le développement du projet, Indra semble réclamer la direction de la partie guerre électronique du projet.
En parallèle du point précédent, la spécificité d’Airbus, acteur multinational mais dont les entités nationales peuvent jouer pour leur propre compte, ajoute à la complexité du projet, Airbus Défense étant, avec Dassault, à la pointe du NGF.
La lettre ouverte commune de Dassault et d’Airbus Défense (citée plus haut) illustre parfaitement la conséquence des retards sur la validité à terme du projet.
2. Des volontés politiques fragiles et divergentes
Bien que la chancelière allemande semble favorable au projet, le Bundestag, divisé, se montre beaucoup moins enthousiaste. En plus des coups de frein qu’il a infligés au projet avec la remise en cause des directions respectives du MGCS et du SCAF, il souhaite un financement de ce dernier par tranches, ce qui laisse la voie ouverte à un retrait du partenaire allemand.
La manière dont le SCAF s’inscrira dans le nouvel accord sur le contrôle des armements (voir article à suivre) va conditionner la viabilité de ce projet à l’exportation et donc sa viabilité budgétaire. Cet accord traite des exportations d’armes franco-allemandes issues de coopérations gouvernementales, industrielles ou simplement des armes ayant des composants issus (20 %) de France ou d’Allemagne.
3. Des besoins militaires fondamentalement divergents
L’échec de l’A400M a démontré que ce genre de collaboration militaro-industrielle risque fort de ne pas aboutir si l’on cherche à satisfaire l’ensemble des besoins de toutes les parties prenantes. Or la France, l’Allemagne et l’Espagne présentent des profils et des traditions militaires incompatibles entre elles.
La France, si elle choisit un successeur au porte-avions Charles-de-Gaulle (fin de vie estimée à l’horizon 2040), aura besoin d’un avion navalisé (ce qui implique d’importantes concessions ou des surcoûts de développement). Or il n’est clairement pas dans l’intérêt de l’Allemagne de financer une telle capacité. Il convient de se rappeler que c’est en partie ce qui a poussé la France à se désengager du projet Eurofighter.
La France place la dissuasion nucléaire au premier plan de sa stratégie de défense (ce que confirment les différentes lois de programmation militaire année après année), ce qui n’est évidemment pas le cas de l’Allemagne, ni de l’Espagne.
La marine espagnole, dotée de porte-aéronefs embarquant des avions à décollage et atterrissage verticaux, doit remplacer ses Harrier vieillissants. Il n’est pas question pour l’instant de doter le NGF de cette capacité, ce qui laisse le champ libre au F35.
4. Une concurrence « européenne » : le projet britannique Tempest
Rejoint par l’Italie (Leonardo) et peut-être prochainement par les Pays-Bas et la Suède (SAAB), le Royaume-Uni revoit à la baisse ses ambitions en sortant du projet SCAF et en lançant son propre projet. Certains (Airbus Défense) croient en une convergence à terme des projets. D’autres (Dassault) sont plus sarcastiques et en profitent pour pointer au passage le choix du Royaume-Uni de s’engager avec le F35.
Conclusion
Le SCAF, porte-étendard de l’Europe de la défense ?
Porté à l’heure actuelle uniquement par la France, l’Allemagne et l’Espagne, et au regard du retrait du Royaume-Uni, qui préfère, avec l’Italie notamment, s’engager dans un projet parallèle, le SCAF n’est clairement pas un projet européen au sens global. Avec un Bundestag manifestement frileux et une Espagne qui met en cause la pérennité du projet en essayant d’imposer son poulain Indra, on assiste plus à la volonté de la France de bâtir une illusoire « Europe de la défense » en dépit des intérêts divergents des pays, ce qui illustre parfaitement, une nouvelle fois, les analyses de l’UPR.
La France seule fait-elle le poids ?
Le SCAF n’en est cependant pas moins un projet ambitieux et nécessaire qui garantira l’autonomie et l’indépendance stratégiques de la France pour la fin du siècle. Peut-être est-il trop ambitieux pour la France seule ou pour une force industrielle européenne non unie ? Peut-être un projet moins ambitieux comme le Tempest est-il plus raisonnable ? Difficile de donner une réponse ferme à ces questions. Il convient néanmoins de rappeler que la France des années 1980, une fois sortie du projet Eurofighter, a développé seule le Rafale, qui est militairement une aussi bonne (sinon meilleure) réussite que son « rival européen ». À l’inverse, le financement de l’avion de transport européen A400M a mis en exergue le fait que la coopération européenne en matière de défense n’est pas, loin s’en faut, une garantie de résultat.
Commission Défense nationale de l’UPR