La catastrophe de l’usine Lubrizol est-elle une des conséquences de la loi “ESSOC” de 2018 et de la régression constante du droit ?
On apprend aujourd’hui que le préfet de la région Normandie a donné son feu vert, en janvier et en juin 2019, à des augmentations de capacités de stockage de produits très dangereux, et cela sans évaluation environnementale.
L’exploitant de l’usine Lubrizol a en effet présenté deux demandes successives d’augmentation des quantités de substances dangereuses le 15 janvier et le 19 juin 2019.
Conformément à la loi dite « loi Essoc », c’est donc le préfet qui s’est prononcé sur les demandes et non l’Autorité environnementale.
LES EFFETS DE « L’ALLÈGEMENT DU POIDS DES NORMES » POSÉ PAR LA NOUVELLE LOI DITE « LOI ESSOC » ?
Rappelons que la loi dite « loi Essoc » désigne la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 « pour un État au service d’une société de confiance » [sic !].
Pour reprendre la présentation verbeuse, théâtrale et alambiquée qu’en fait sur Internet le portail officiel du ministère de l’Économie, des Finances, de l’Action et des Comptes publics, cette loi « entend enclencher une dynamique de transformation de l’action publique en renforçant le cadre d’une relation de confiance entre le public et l’administration. »
Toujours selon la présentation officielle de cette loi, ses « deux piliers » sont « faire confiance et faire simple ». Le pilier « faire simple » consiste explicitement à… « alléger le poids des normes ».
« L’expérimentation » du « permis de faire »
Le site ministériel précise aussi que la loi dite « loi ESSOC » veut « expérimenter » un « permis de faire ». Lequel « permis de faire » consiste à « fixer aux entreprises une obligation de résultat et non plus de moyens. »
Le site gouvernemental officiel donne ainsi des exemples de premières applications de ces « expérimentations » dans le domaine de la construction :
« – fixation d’objectifs de performance acoustique sans précision des modalités à mettre en œuvre ;
– en matière de ventilation et de qualité de l’air : exigence de résultat sur la concentration maximale de polluants sans précision des modalités à mettre en œuvre. »
Source : https://www.economie.gouv.fr/droit-erreur
Que retenir de tout ceci ?
Derrière tous ces mots ronflants se cache une loi, qui a été voulue par Macron et votée par les députés de En Marche, dont l’un des effets majeurs est d’affaiblir continuellement le rôle de contrôle approfondi, d’interdiction et de sanction de l’État.
Dans les deux cas présentés par Lubrizol, et pour reprendre les termes amphigouriques du site ministériel, il semble que le préfet de la région Normandie a appliqué la loi qui l’incite à « enclencher une dynamique de transformation de l’action publique en renforçant le cadre d’une relation de confiance entre le public et l’administration »… Et comment cela ? En considérant que les demandes d’augmentation de stockage des produits très dangereux de l’usine Lubrizol n’avaient pas à donner lieu à évaluation environnementale.
Chacune des deux décisions préfectorales a certes pris soin de préciser que l’établissement relève déjà du seuil haut de la directive Seveso et que les augmentations de capacités ne conduisent pas à de nouveaux franchissements de seuils de la directive, qui auraient donné lieu à une nouvelle autorisation. Cependant, comme l’explique le journaliste Laurent Radisson du site Actu Environnement, si l’on cumule les capacités des deux augmentations successives, on parvient à des quantités supérieures au seuil haut des deux rubriques contribuant au classement Seveso.
Source : https://www.actu-environnement.com/ae/news/lubrizol-rouen-stockage-produits-dangereux-autorisation-prefet-evaluation-environnementale-etude-dangers-34125.php4
Or, on sait que l’incendie est parti d’une zone de stockage, alors que les augmentations de capacités portaient également sur une telle zone.
La préfecture se retranche pour l’instant derrière l’enquête judiciaire pour refuser de répondre sur un probable lien entre ces deux éléments.
L’IRRESPONSABILITÉ DU GOUVERNEMENT
Face à la catastrophe et à la montée de l’angoisse et de la colère de la population, le Premier ministre Édouard Philippe a bien entendu annoncé le 29 septembre une transparence totale sur l’accident. Quant au ministre de l’économie Bruno Le Maire, il a annoncé qu’il allait revoir les règles d’implantation des usines sensibles.
Mais il est trop tard pour pleurer sur le lait renversé. Et ces déclarations piteuses n’en font que mieux ressortir la profonde irresponsabilité du gouvernement.
Car leurs promesses et leurs coups de menton d’aujourd’hui sont en totale contradiction avec le laxisme gouvernemental qui prévalait encore… quelques jours à peine avant la catastrophe.
Ainsi :
- le 16 septembre 2019, Matignon annonçait un élargissement du régime d’enregistrement pour des entrepôts allant jusqu’à 900.000 m3. Ce qui signifie la fin des études d’impact et des études de dangers pour ces installations.
Pourquoi ? Pour aller dans le sens fixé par la loi dite « loi Essoc » de « faire confiance et faire simple » et de procéder à un « allègement du poids des normes ». - le 23 septembre, trois jours avant l’accident de Lubrizol, Edouard Philippe annonçait également un grand chantier de “simplification” pour accélérer les projets industriels dans les territoires. Parmi les propositions ? Autoriser le démarrage d’une partie des travaux sans attendre… l’autorisation environnementale !
Pourquoi ? Toujours pour « faire confiance et faire simple » et procéder à un « allègement du poids des normes ».
CONCLUSION : L’IMPACT DU LAISSER-FAIRE GÉNÉRALISÉ FACE AUX PUISSANCES D’ARGENT
En bref, et comme l’a résumé Gabriel Ullmann, docteur en droit, au journaliste du site Actu Environnement : « C’est une belle illustration de la régression constante du droit. On exempte d’étude d’impact et d’étude de dangers des installations Seveso seuil haut en agglomération en outrepassant l’autorité environnementale ».
L’idéologie de la déréglementation tous azimuts et du laisser-faire généralisé face aux puissances d’argent montre ici ses effets désastreux.
FA
01/10/2019