Choisie suite au caprice de Macron, l’Allemande Ursula von der Leyen, future présidente de la Commission européenne, est une ultra-atlantiste passionnée
Dans la partie de bras de fer qu’a constitué le choix du nouveau président de la Commission européenne, il n’y avait qu’une seule chose certaine : c’est que Jean-Claude Juncker ne serait pas reconduit pour un second mandat comme l’avaient été en leur temps Jacques Delors ou José Barroso.
Même si personne n’en parlait, il était implicitement entendu que tout le monde voulait se débarrasser de l’ancien Premier ministre luxembourgeois, dont l’état d’ébriété chronique – qualifié de « sciatique » – et les écarts de conduite affreusement gênants avaient ridiculisé au plus haut point les institutions européennes sur la scène mondiale.
Fatigués par des heures de palabre, les 28 chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne se sont finalement entendus pour nommer l’actuelle ministre de la Défense allemande, Ursula von der Leyen, au poste de présidente de la Commission européenne, démentant ainsi tous les pronostics.
Cette nomination ne deviendra cependant effective que si elle est avalisée par un vote du Parlement européen, englobant l’ensemble de la nouvelle Commission européenne que Mme von der Leyen va maintenant devoir constituer et qui ne prendra ses fonctions que le 1er novembre.
SCANDALE À BERLIN
Au moment où ces lignes sont écrites, on peut anticiper que cette confirmation ne devrait pas poser trop de problème.
Mais sait-on jamais ? Les affaires européennes sont tellement truffées de traquenards que nul ne sait ce qui peut advenir au cours des quatre mois qui nous séparent de l’entrée en fonction de la nouvelle Commission.
Quoi qu’il en soit, le choix de Mme von der Leyen fait grincer bien des dents outre-Rhin car elle témoigne d’un mépris total de la démocratie et des promesses les plus solennelles qui avaient été formulées. La nouvelle présidente de la Commission européenne est en effet sortie d’un chapeau – et au forceps ! – comme candidate de compromis entre Macron et Merkel.
Or, si Mme von der Leyen est très proche de la Chancelière, sa nomination fait scandale à Berlin.
Car cette souriante sexagénaire mère de sept enfants, à laquelle on donnerait le bon Dieu sans confession, s’empare impunément de la place promise à Manfred Weber, son compatriote membre de la CSU qui avait été choisi par le PPE (groupe majoritaire au parlement européen) conformément au système dit des « spitzenkandidaten ».
Rappelons que ce système avait été instauré par la recommandation de la Commission européenne du 12 mars 2013 « sur le renforcement de la conduite démocratique et efficace des élections au Parlement européen » [sic!]
(source : https://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=CELEX%3A32013H0142%3AFR%3AHTML )
Le caprice de Macron, qui ne voulait à aucun prix de Manfred Weber sans que l’on ait vraiment bien compris pourquoi, et le fait qu’Angela Merkel lui ait cédé, montrent que les dirigeants européistes n’ont strictement rien à faire du « renforcement de la conduite démocratique et efficace des élections au Parlement européen ». Ce ne sont que des paroles pour berner le bon peuple.
Du coup, le ministre président de la Bavière, le CSU Markus Söder, furieux de voir que le membre de son parti n’obtenait pas la place tant convoitée, a déploré une « défaite de la démocratie ».
Les sociaux-démocrates du SPD ont été encore plus virulents, en dénonçant la nomination de Mme von der Leyen comme « un exemple sans précédent de tricherie politique » et une raison suffisante pour mettre fin à la grande coalition CDU-CSU-SPD au pouvoir à Berlin !
Ils soulignent que le fait qu’une femme politique, qui n’a jamais été élue au Parlement européen, soit néanmoins choisie pour diriger la Commission contre la volonté même des parlementaires européens « rend absurde le processus de démocratisation de l’Union européenne ».
Quant à Katarina Barley, tête de liste SPD aux européennes, elle a annoncé qu’elle ne voterait pas pour Ursula von der Leyen et que de nombreux parlementaires européens de son groupe agiraient de même.
Quelle ambiance!
(source : https://www.lepoint.fr/europe/la-nomination-d-ursula-von-der-leyen-suscite-la-colere-a-berlin-03-07-2019-2322548_2626.php)
En bref, la nomination surprise de Mme von der Leyen met ainsi en péril rien moins que la coalition au pouvoir à Berlin et la présence même d’Angela Merkel à la Chancellerie.
Attendons la suite.
Mme VON DER LEYEN EST “EN MÊME TEMPS”
UNE ULTRA EUROPÉISTE ET UNE ULTRA-ATLANTISTE.
Dans cette attente, il est important pour le public français de savoir que Mme von der Leyen est l’héritière d’une dynastie politique puisqu’elle est la fille d’Ernst Albrecht, qui fut vice-président fédéral de la CDU et ministre-président de Basse-Saxe pendant une quinzaine d’années (de 1976 à 1990).
Il est également essentiel de savoir qu’elle partage avec Christine Lagarde une véritable passion pour les États-Unis, où elle a d’ailleurs fait des études (à l’université Stanford) pendant 4 ans, après avoir été scolarisée à Bruxelles dans une école “européenne” bilingue.
À la fois par tradition familiale et par goût personnel, Ursula von der Leyen est donc une admiratrice sans réserve des États-Unis et une européiste acharnée.
Ce double positionnement l’a amenée à se déclarer publiquement pour la création des « États-Unis d’Europe », et à s’aligner complètement et totalement sur les positions de Washington en matière géopolitique et militaire.
Étant ministre allemande de la Défense, elle a obtenu une hausse de 35 % des dotations de l’Allemagne à l’OTAN, conformément aux exigences de Donald Trump, et elle a fait siens l’hostilité à la Russie, l’alignement sur Washington au Moyen-Orient, etc.
Elle a obtenu que ce soit un général allemand, le Général Jürgen Weigt, qui soit promu Commandant en chef de l’Eurocorps. Elle proclame sa « fierté » que l’Allemagne soit désormais le deuxième contributeur de troupes en importance au sein de l’OTAN (après les États-Unis) et que l’Allemagne dirige la force opérationnelle interarmées très rapide de l’OTAN.
Pour se convaincre de l’état d’esprit de la future présidente de la Commission européenne, il est utile de lire la « tribune » qu’elle a, bien opportunément, fait paraître dans le quotidien le plus prestigieux des États-Unis – le New York Times – le 18 janvier dernier. Cet article est titré “LE MONDE A TOUJOURS BESOIN DE L’OTAN” dont je donne une traduction ci-dessous.
Ce texte ne souffre aucune ambiguïté sur la position de vassale de Washington qui est celle de Mme von der Leyen.
Tout comme pour Christine Lagarde à la BCE, cette américano-servilité affichée et concrétisée n’est sans doute pas tout à fait étrangère à sa promotion météorite à la présidence de la Commission européenne.
Tous ceux qui croient encore les politiciens français véreux qui leur assurent que la construction européenne aurait pour but et vocation de « faire contrepoids aux États-Unis » en seront une nouvelle fois pour leurs frais.
Quant à Macron, qui proposait, il y a peu encore, une « armée européenne » qui serait distincte et non assujettie à celle des États-Unis, certains penseront qu’il doit être bien dépité. Mais ce serait une erreur de jugement. Affirmer que la prétendue “construction européenne” vise à « faire contrepoids » aux États-Unis n’est, pour Macron comme pour ses prédécesseurs, qu’une simple opération de communication destinée à duper l’opinion publique française sur les vrais desseins poursuivis par les institutions bruxelloises. Il sait très bien à quoi s’en tenir au fond.
Du reste, c’est bien pour cela qu’il n’a pas fait obstacle – et qu’il a peut-être proposé lui-même – à Angela Merkel la nomination de Mme von der Leyen, dont l’atlantisme outrancier ne le gêne pas le moins du monde.
François ASSELINEAU
4 juillet 2019
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Ci-dessous est reportée la traduction française (faite par mes soins, avec les réserves d’usage) de la tribune d’Ursula von der Leyen, publiée dans le New York Times le 18 janvier 2019.
On en trouvera la version originale anglaise en ligne ici :
https://www.nytimes.com/2019/01/18/opinion/nato-european-union-america.html
LE MONDE A TOUJOURS BESOIN DE L’OTAN
L’alliance ne concerne pas seulement les bases et les troupes.
Il s’agit de défendre l’ordre mondial.
Par Ursula von der Leyen
Mme von der Leyen est le ministre allemand de la Défense.
New York Times, 18 janvier 2019
BERLIN – En avril, l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord célébrera son 70e anniversaire. Fondée dans les premières années de la guerre froide, l’OTAN reste tout aussi pertinente de nos jours, alors que beaucoup pensent que l’ordre international est de nouveau remis en cause. En fait, si l’OTAN n’existait pas, les partisans d’un monde libre devraient l’inventer.
Même si l’objectif principal de l’OTAN reste de garantir la sécurité de ses membres, il ne s’est jamais agi d’une alliance purement militaire. C’est aussi une alliance politique, fondée sur les aspirations communes de ses membres qui, comme le dit le traité de l’OTAN, « sont déterminés à sauvegarder la liberté, le patrimoine commun et la civilisation de ses peuples, fondés sur les principes de la démocratie, de la liberté individuelle et la primauté du droit ».
Ces principes sont attaqués aujourd’hui. Agression russe en Europe de l’Est, politique d’affirmation de soi de la Chine en mer de Chine méridionale, propagation du terrorisme de l’État islamique depuis le Moyen-Orient jusqu’aux capitales européennes, régimes autoritaires développant des armes nucléaires, aussi différents que soient tous ces défis ils ont tous un point commun : ils émanent d’acteurs opposés à l’ordre international. Ils essaient de saper ou même de changer les règles qui ont gouverné l’ère de la démocratie et de la prospérité depuis la Seconde Guerre mondiale.
Les démocraties de l’OTAN doivent s’unir pour surmonter ces défis. Collectivement, nous sommes plus forts que même le plus puissant d’entre nous ne le serait seul. En conséquence, depuis 2014, lorsque la Russie a envahi l’Ukraine, l’OTAN s’est adaptée à la nouvelle situation actuelle – comme elle l’a fait à de nombreuses reprises au cours de son histoire. Parmi les 29 États souverains ayant des cultures et des points de vue politiques différents, de telles adaptations sont toujours compliquées, et parfois même embrouillées. Mais la capacité de l’OTAN à changer ses priorités et ses stratégies assure que l’Alliance résiste à l’épreuve du temps.
Les résultats sont tangibles. D’une part, tous les membres européens de l’OTAN ont augmenté leurs dépenses militaires. Le budget de la défense allemand, par exemple, a maintenant été augmenté de 36 % par rapport à mon arrivée à la fin de l’année 2013. Nous avons encore plus à faire pour partager équitablement le fardeau de l’Alliance et nous sommes prêts à en faire plus. Mais nous gardons également à l’esprit que le partage du fardeau n’est pas seulement une question d’argent, mais aussi de capacités et de contributions. L’Allemagne est ainsi fière, en tant que deuxième contributeur de troupes en importance au sein de l’OTAN, de diriger la force opérationnelle interarmées très rapide de l’OTAN.
L’OTAN a également renforcé sa présence en Europe orientale, elle joue un rôle actif dans la formation des forces de sécurité irakiennes, elle contribue à la lutte contre l’État islamique, elle continue de soutenir le gouvernement afghan et elle développe ses partenariats avec des pays aux vues similaires, comme l’Australie et le Japon, en plus de beaucoup d’autres.
Dans l’accomplissement de ses trois tâches essentielles – défense collective, gestion de crise et partenariats – l’OTAN est un élément constitutif irremplaçable d’un ordre international qui favorise la liberté et la paix.
Plus que tout cela, l’OTAN n’est pas seulement une organisation transatlantique nominalement. Elle représente un lien spécial, voire émotionnel, entre les continents américain et européen. Pour un Allemand, les images de la chute du mur de Berlin sont inextricablement liées à l’alliance, et mon pays est particulièrement reconnaissant pour la sécurité et les chances que l’OTAN lui a offerts depuis des décennies. Alors oui, outre les avantages pratiques des bases, des structures et des troupes, l’OTAN a une valeur en elle-même et par elle-même.
L’avantage le plus fondamental de l’OTAN est peut-être de garantir la fiabilité dans un monde peu fiable. Notre engagement inébranlable en faveur de l’article 5 – la clause de défense collective du traité de l’OTAN – garantit que notre sécurité commune est vraiment indivisible. Nous voulons aider notre allié le plus faible tout comme nous avons aidé notre plus fort allié en invoquant l’article 5 – pour la première et unique fois de l’histoire de l’OTAN – après le 11 septembre 2001.
C’est donc une bonne chose que l’Union européenne prenne maintenant des mesures importantes pour renforcer ses exploits militaires. Si les membres de l’Union européenne parviennent à harmoniser leurs plans de défense et leurs passations de marchés militaires, et à associer leurs forces armées, tout cela renforcera la force de l’OTAN.
Et une OTAN plus forte servira les intérêts de tous ses membres en matière de sécurité. Plus que tout, cela enverra un signal clair à ceux qui s’opposent à l’ordre international fondé sur des règles : nous, alliés transatlantiques, sommes prêts et disposés à défendre nos territoires, nos peuples et notre liberté.
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Signé : Ursula von der Leyen, ministre fédérale de la Défense de l’Allemagne.
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En photo : Mme von der Leyen, ministre fédérale de la Défense de l’Allemagne, photographiée en 2017 avec James Mattis, secrétaire à la défense des États-Unis d’Amérique.