5 Experts économiques allemands évoquent le risque d’une crise systémique menacant l’euro et l’économie de l’Allemagne
Le conseil des experts économiques du gouvernement allemand évoque pour la première fois le risque d’« une crise systémique, qui menace la survie de la monnaie commune et la stabilité économique de l’Allemagne. »
Le Conseil des experts économiques du gouvernement allemand (“Sachverständigenrat zur Begutachtung der gesamtwirtschaftlichen Entwicklung” en allemand, dont la traduction littérale est “Conseil des experts pour l’évaluation du développement économique”) est un organisme constitué de 5 économistes allemands qui été créé en 1963 dans le but de conseiller le Gouvernement fédéral et le Parlement allemands, sur l’ensemble des questions économiques.
5 ÉCONOMISTES PARMI LES PLUS RÉPUTÉS D’ALLEMAGNE
Ses cinq membres, choisis parmi les économistes les plus réputés d’Allemagne, sont proposés à la nomination par le Gouvernement fédéral. Ils sont officiellement nommés par le président de la République Fédérale d’Allemagne.
Actuellement, les 5 économistes membres du Conseil sont (en allant de gauche à droite sur la photo):
1)- Wolfgang Franz : ancien professeur dans les Universités de Mayence, Stuttgart et Constance, ancien président du Centre de recherche économique européenne (ZEW) de Mannheim et professeur d’économie à l’Université de Mannheim.
2)- Lars P. Feld : ancien professeur à l’Université de Heidelberg et au Centre pour la Recherche économique européenne de Mannheim, il est décrit comme un farouche opposant de la dette publique et aux politiques budgétaires expansionnistes. Il estime également qu’il devrait y avoir un “droit de l’insolvabilité” et a beaucoup étudié les liens entre économie et démocratie. Il juge que les citoyens devraient être interrogés par référendum national sur les questions importantes, telles que l’avenir de l’euro.
3)- Peter Bofinger : ancien professeur dans les Universités de Kaiserslautern, de Constance et de Würzburg, il est réputé pour être le seul économiste keynésien de l’actuel Conseil.
4)- Christoph M. Schmidt : président de l’Institut rhénan-westphalien pour la recherche économique, ancien professeur d’économétrie à l’Université de Heidelberg, puis à l’Université Ruhr de Bochum, il poursuit des recherches en économétrie appliquée, sur le travail et sur les questions démographiques.
5)- Claudia-Maria Buch : professeur d’économie à l’université de Tübingen, ancienne directrice de l’Institut de recherche de Kiel sur les marchés financiers, et professeur de recherche du Centre de recherche économique européenne à Mannheim.
LES DOCUMENTS DU CONSEIL DES EXPERTS SONT TRÈS INFLUENTS AUPRÈS DES MÉDIAS ET DES DIRIGEANTS ET LES MOTS UTILISÉS SONT CHOISIS AVEC UN GRAND SOIN
Chaque année, le Conseil prépare un rapport annuel publié aux alentours du 15 novembre.
Le rapport ne reste jamais sans suite car le Gouvernement doit publier, huit semaines au plus tard après la publication dudit rapport, les observations et les commentaires que celui-ci lui inspire.
Le Conseil réalise aussi, au cas par cas, des rapports à la demande du Chancelier.
Le Conseil des experts économiques est également très attentivement écouté par les médias allemands, qui le qualifient dans le grand public comme regroupant les « Cinq Sages de l’économie allemande ».
Du fait de leur retentissement et de leur caractère officiel, les documents que publie le Conseil des experts économiques du gouvernement allemand sont rédigés avec un très grand soin : le choix de mots est extrêmement précis, et rien n’y est laissé au hasard.
A fortiori lorsque le sujet retient l’attention de tous les experts de l’Allemagne, de l’Europe et du monde entier.
LE DOCUMENT REMIS PAR LE CONSEIL DES EXPERTS LE 6 JUILLET 2012 COMPORTE DES AVERTISSEMENTS SANS PRÉCÉDENT DANS SON HISTOIRE
Le Conseil des experts économiques a publié, hier vendredi 6 juillet 2012, un rapport sur la zone euro qui constitue un événement historique.
Sauf erreur de ma part, c’est la première fois depuis que ce Conseil des experts a été créé, il y a un demi-siècle, que le rapport qu’il émet évoque sans détours, et en première phrase du communiqué remis à la presse :
1)- l’existence d’une « crise systémique » spécifique à la zone euro.
2)- le risque que cette « crise systémique » ne « menace la survie de la monnaie commune » européenne.
3)- plus grave encore, le risque que cette « crise systémique » ne « menace la stabilité économique de l’Allemagne ».
Cette dernière formule a de quoi faire particulièrement froid dans le dos du peuple allemand. Car une telle évocation, sans précédent depuis 1945, renvoie immanquablement au désastre de 1923, qui avait tué le Reichsmark et qui avait ébranlé jusque dans ses fondements la République de Weimar.
Par ailleurs, le communiqué de presse, dont je donne le texte en allemand ci-dessous (et la traduction en français que j’en ai faite), comporte 4 autres “bombes” extraordinaires :
a- Pas de MES pour les banques dans un avenir prévisible
Le Conseil des experts affirme que « les conditions qui sont prévues pour une attribution directe d’une subvention du Mécanisme Européen de Stabilité (MES) pour les banques ne seront pas atteints dans un avenir prévisible. »
En d’autres termes, le fameux Sommet du 29 juin qui avait prétendument “fait plier Mme Merkel” (dixit le journal Le Monde) est vidé de contenu.
b – Un doute global sur la fiabilité des comptes des pays du sud
Le Conseil des experts résume ce doute d’une façon assassine :
« Il faut s’assurer que la reddition des comptes et les contrôles coïncident. »
En d’autres termes, la méfiance allemande vis-à-vis du sérieux des pays surnommés de « Club Med » par les Allemands (Portugal, Espagne, France, Italie, Grèce) n’est pas prête de disparaître !
c – Un regard lucide sur les réformes demandées aux pays du sud : elles ont « jusqu’à présent échoué »
Loin de faire semblant, le Conseil des experts économiques allemands met les pieds dans le plat : « Les réformes réglementaires qui ont jusqu’à présent échoué, en particulier les accords pour les restructurations transfrontalières et la liquidation des banques, devraient être rapidement mises en œuvre. »
d – l’union bancaire reportée aux calendes
Le Conseil des experts économiques met en garde :
« la solution de la crise aiguë ne doit pas conduire à une introduction hâtive d’une union bancaire. »
CONCLUSION : EN ROUTE VERS LA CRISE SYSTÉMIQUE…
On peut résumer l’effondrement en cours comme suit :
1- Le bilan de la BCE est déjà surchargé d’obligations d’États pourries. Comme ses dirigeants l’ont eux-mêmes avoué au cours de la semaine écoulée, la BCE est au bord de l’implosion.
2- La BCE ne peut et ne veut donc plus acheter d’obligations d’États pourries, sauf à ce qu’elle risque elle-même la faillite ou l’hyperinflation. Elle demande que ce soit le futur MES qui rachète des obligations d’États sur le marché secondaire.
3- Pour tenter de résoudre ce dernier point, les États européens qui sont déjà surendettés vont devoir emprunter des milliards d’euros sur les marchés internationaux, afin de pouvoir capitaliser le MES.
Ainsi la France, qui cherche désespérément à faire 7 milliards d’euros d’économies avant la fin de l’année pour respecter ses engagements de déficit va devoir trouver 8 milliards d’euros pour capitaliser le MES….
4- Ensuite, le futur MES, ainsi capitalisé, sera censé pouvoir lever à son tour des fonds sur les marchés financiers pour un montant allant jusqu’à 500 milliards d’euros.
5- Et c’est avec cet argent obtenu sur les marchés financiers – donc des dettes rémunérées au prix fort ! -, que le MES sera censé pouvoir acheter des obligations d’États sur le marché secondaire.
Ainsi, l’Espagne devrait se surendetter encore plus pour pouvoir fournir des milliards d’euros au MES, lequel MES pourrait alors emprunter des milliards d’euros, avec lesquels il pourrait alors acheter des obligations de l’État espagnol… afin de désendetter l’Espagne !
Ce schéma est évidemment absurde.
Il ressemble à s’y méprendre à ce que font les escrocs à court d’argent qui empruntent à Pierre pour rembourser à Paul : c’est ce que l’on appelle “faire de la cavalerie”.
Cette escroquerie continentale se heurte cependant à des obstacles de taille :
a)- le MES est une coquille vide, qui n’existe toujours pas encore juridiquement ;
b)- il n’est même pas sûr qu’il existe un jour : son sort pourrait être scellé par une déclaration d’anticonstitutionnalité par le Tribunal Constitutionnel allemand de Karlsruhe, comme je l’ai expliqué il y a quelques jours ;
c)- comme on vient de le voir, le Conseil des experts économiques allemands vient en outre d’affirmer que « les conditions qui sont prévues pour une attribution directe d’une subvention du Mécanisme Européen de Stabilité (MES) pour les banques ne seront pas atteints dans un avenir prévisible. ».
Donc, même si le MES voyait le jour, ce n’est donc pas demain la veille que l’Allemagne, qui y disposera d’une minorité de blocage, laissera prêter de l’argent à des conditions qui ne seraient pas draconiennes et assorties d’un contrôle draconien ;
d)- au moins 2 États (la Finlande et les Pays Bas) ont annoncé qu’ils feront obstacle à une telle utilisation des fonds du futur MES. Le Premier ministre finlandais a dénoncé le caractère “absurde” de l’hypothèse de rachat d’obligations secondaires par le MES.
En bref, certains irresponsables européistes – avec le pauvre François Hollande en tête, qui ne comprend à l’évidence rien à ce qui se passe – sont prêts à empiler des montagnes de dettes par-dessus les montagnes de dettes qui existent déjà.
La zone euro fonce vers un effondrement systémique.
C’est exactement l’énorme pavé dans la mare que vient de lancer explicitement le très officiel Conseil des experts économiques allemands.
Mon petit doigt me dit que le gouvernement allemand va, d’une façon ou d’une autre, tenter d’y mettre le holà.
François ASSELINEAU
COMMUNIQUÉ DE PRESSE DU CONSEIL CONSULTATIF DU GOUVERNEMENT FÉDÉRAL
Wiesbaden, le 6 juillet 2012
L’union monétaire européenne est confrontée à une crise systémique, qui menace la survie de la monnaie commune et la stabilité économique de l’Allemagne.
Les décisions des chefs d’État et de gouvernement des 28 et 29 juin 2012 peuvent stabiliser la situation dans la zone euro à court terme. Mais la crise n’est toujours pas résolue et des escalades renouvelées de cette crise menacent, tant que le cercle vicieux actuel crise financière, crise de la dette et crise macro-économique, n’est pas rompu.
Pour cette raison, le Conseil consultatif du Gouvernement fédéral remet un rapport spécial dans lequel il montre de quelle façon la crise de la dette peut être stoppée et quelles mesures sont nécessaires pour le secteur bancaire afin de stabiliser le processus à long terme.
Ce rapport est intitulé : “Après le Sommet de l’Union européenne : utiliser le temps pour construire des solutions de long terme”
Pour résoudre la crise de la dette, le Conseil consultatif a déjà présenté à l’automne 2011 un concept intitulé « Pacte d’endettement » [« Schuldentilgungspakt » en allemand] qui est maintenant entièrement explicité et assorti de mécanismes de sécurité supplémentaires.
Ce « Pacte d’endettement » est limité dans le temps et inclut la capacité de lier l’aide à des conditions. Ceci le distingue des mesures de politique monétaire de la Banque centrale européenne. Il peut être conçu de telle sorte que les normes européennes et constitutionnelles allemandes soient remplies. L’avis juridique approprié qui a été commandé au Conseil consultatif sera prochainement publié.
Pour stabiliser le système financier européen, le financement déjà demandé pour les banques espagnoles doit être mis en œuvre, sous réserve du respect de critères clairs pour la recapitalisation et la restructuration des banques concernées.
Les conditions qui sont prévues pour une attribution directe d’une subvention du Mécanisme Européen de Stabilité (MES) pour les banques ne seront pas atteints dans un avenir prévisible.
Il faut s’assurer que la reddition des comptes et les contrôles coïncident.
Les réformes réglementaires qui ont jusqu’à présent échoué, en particulier les accords pour les restructurations transfrontalières et la liquidation des banques, devraient être rapidement mises en œuvre.
En même temps, la solution de la crise aiguë ne doit pas conduire à une introduction hâtive d’une union bancaire.
(Traduction en français réalisé par mes soins et sujette à vérification : les avis de germanistes meilleurs que moi sont les bienvenus.)
======= TEXTE ORIGINAL EN ALLEMAND ========
− Mitteilung für die Presse − Wiesbaden, 06.07.2012
Die europäische Währungsunion befindet sich in einer systemischen Krise, die den Fortbestand der gemeinsamen Währung und die ökonomische Stabilität Deutschlands gleichermaßen gefährdet.
Die Entscheidungen der Staats- und Regierungschefs am 28. und 29. Juni 2012 können die Lage im Euro-Raum zwar kurzfristig stabilisieren. Doch die Krise bleibt weiterhin ungelöst und erneute Zuspitzungen drohen, wenn der bestehende Teufelskreis aus Bankenkrise, Staatsschuldenkrise und makroökonomischer Krise nicht durchbrochen wird.
Aus diesem Anlass hat der Sachverständigenrat der Bundesregierung aktuell ein Sondergutachten vorgelegt, in dem er Wege aufzeigt, wie die Staatsschuldenkrise beendet werden kann und welche Maßnahmen nötig sind, um den Bankensektor nachhaltig zu stabilisieren.
Es trägt den Titel: „Nach dem EU-Gipfel: Zeit für langfristige Lösungen nutzen“
Zur Lösung der Staatsschuldenkrise hatte der Sachverständigenrat mit dem Schuldentilgungspakt bereits im Herbst 2011 ein Konzept vorgestellt, das er nun umfassend weiterentwickelt und mit zusätzlichen Sicherungsmechanismen versehen hat.
Der Schuldentilgungspakt ist zeitlich befristet und beinhaltet die Möglichkeit, die Hilfen an Konditionen zu knüpfen. Das unterscheidet ihn von geldpolitischen Maßnahmen der Europäischen Zentralbank.
Er kann so konstruiert werden, dass europa- und verfassungsrechtliche Maßstäbe eingehalten werden. In Kürze wird dazu ein entsprechendes Rechtsgutachten veröffentlicht, das der Sachverständigenrat in Auftrag gegeben hat.
Zur Stabilisierung des europäischen Finanzsystems sollten die bereits beantragten Mittel für die spanischen Banken nur bei Einhaltung klarer Kriterien zur Rekapitalisierung und Restrukturierung der betroffenen Banken eingesetzt werden.
Die Bedingungen, die für eine direkte Vergabe von Finanzhilfen aus dem ESM an Banken vorgesehen sind, werden auf absehbare Zeit nicht erfüllt sein.
Es muss gewährleistet sein, dass Haftung und Kontrolle zusammenfallen. Bisher versäumte aufsichtsrechtliche Reformen, insbesondere Regelungen für die grenzüberschreitende Restrukturierung und Abwicklung von Banken, sollten zügig umgesetzt werden.
Gleichzeitig darf die Lösung der akuten Krise nicht zu einer übereilten Einführung einer Bankenunion führen.