La taxe carburant met le feu à La Réunion – Un témoignage de Sophie Sénac et Alexandre Jennan

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À La Réunion, la hausse du prix des carburants a été vécue comme la goutte d’eau de trop au pays de « la vie chère ».

Ici, le mouvement des “Gilets jaunes” rassemble aujourd’hui des citoyens de toutes conditions : des fonctionnaires et des salariés du privé, des entrepreneurs, des travailleurs et des chômeurs, des jeunes et des moins jeunes… et surtout des gens qui, pour la première fois, descendent dans la rue.

L’île est gangrenée par la pauvreté : 42 % de la population vit en-dessous du seuil outre-mer de pauvreté, lequel est inférieur de 30 % à celui de la France entière. Le chômage (23 %), l’instabilité sociale et économique, la fin programmée de la filière canne, complètent le tableau. Face à l’inaction des pouvoirs publics, et malgré les signes annonciateurs des émeutes de 1991 (émeutes de Freedom) et des blocages de 2003 (par les agents des services publics à la suite de la réforme des retraites), le sentiment de révolte a pris de l’ampleur et nous faisons face aujourd’hui à une explosion sociale de taille qui dure depuis le 17 novembre.

La Réunion a désormais deux visages avec, de façon simplifiée, les Gilets jaunes le jour et les casseurs la nuit.

La Réunion le jour

Chaque matin, malgré les annonces de fermeté du Préfet et les renforts de police, les Gilets jaunes installent les quelque 20 à 30 barrages filtrants de l’île sur les principales voies de circulation de l’île.

Les Réunionnais qui ont pris la route le lundi 19 novembre sont restés bloqués plusieurs heures dans leur voiture. Les transports scolaires et le réseau d’autobus sont suspendus jusqu’à nouvel ordre.

Désormais, la population est bloquée à domicile. Par conséquent, la plupart des commerces et de nombreuses entreprises sont à l’arrêt.

Faute de pouvoir drainer les passagers entrant et sortant de l’île, l’aéroport Roland-Garros tourne au strict minimum et, depuis le couvre-feu, il ferme ses portes tous les soirs à 18h00.

Côté ravitaillement, les blocages au port de commerce risquent d’entraîner le ré-aiguillage des containers de marchandises vers les pays voisins en attendant un retour à la normale.

L’accès à l’unique dépôt pétrolier a été bloqué. Les stations-services sont fermées.

Alors que les grandes surfaces ont été contraintes de fermer leurs portes et n’ouvrent qu’à la discrétion des Gilets jaunes sur des plages horaires restreintes, de nouvelles initiatives apparaissent favorisant l’économie locale avec des Gilets jaunes accueillant des stands de producteurs locaux sur les zones de blocage.

C’est la saison des litchis qui commence…

Depuis le mardi 20 novembre, toutes les collectivités, les services de l’État, les crèches, les établissements scolaires et les universités de l’île sont fermés.

Les événements sportifs et culturels, y compris la manifestation annuelle d’Alternatiba, ont été annulés.

La collecte des déchets est suspendue dans la plupart des communes.

La poste ne distribue plus le courrier.

Les principales radios sont en libre antenne toute la journée, en particulier RTL Réunion qui fait un travail d’information et d’écoute assez remarquable. Entre les nombreux témoignages en faveur des Gilets jaunes, les appels révèlent une certaine exaspération vis-à-vis des blocages, une colère due au chômage technique subi, ainsi qu’un vif ressentiment envers la classe politique locale et nationale. Quelques appels téléphoniques font état d’un racisme « anti-zoreil » et égratignent la belle image du « vivre-ensemble ». D’autres appels dénoncent clairement l’absurdité de cette taxe soi-disant écologique et, parfois même, désignent l’Union européenne comme cause des problèmes.

Très vite, les Gilets jaunes ont dépassé les seules actions qui pénalisent tout un chacun pour investir, dès le lundi 19 novembre, le siège de la Région. Ils sont allés sur place demander des comptes au président de Région puisque, au moins en façade, c’est la Collectivité régionale qui décide de la taxation des carburants.

Première victoire des Gilets jaunes : mardi 20 au soir, le président de Région obtient le gel de la taxe sur les carburants pour les trois prochaines années. Cela n’a pas fait fléchir les Gilets jaunes : si le prix du carburant est à l’origine du mouvement, leur contestation va bien au-delà aujourd’hui et le mouvement n’a fait que grossir depuis cette annonce.

Bien que globalement non-violentes, les journées connaissent leur lot de débordements : incendie, caillassage de véhicules particuliers et de camions de pompiers, racket à certains barrages (entre 2 et 10 € le passage), pillage de magasins. https://www.facebook.com/share.php?u=https%3A%2F%2Fwww.zinfos974.com%2F%E2%96%B6%EF%B8%8F-Des-feux-de-poubelles-deja-signales-au-Chaudron_a133689.htmlhttps://www.facebook.com/share.php?u=https%3A%2F%2Fwww.zinfos974.com%2F%E2%96%B6%EF%B8%8F-Des-feux-de-poubelles-deja-signales-au-Chaudron_a133689.ht=

Pour endiguer l’échauffement des esprits de jour comme de nuit, la vente d’alcool a été interdite chaque jour à partir de midi.

La Réunion la nuit

Les Gilets jaunes lèvent les barrages chaque soir vers 18h00, laissant place ainsi à une toute autre population, souvent jeune et sans visibilité quant à son avenir, qui brûle des véhicules, incendie, vandalise et pille des commerces.

Un couvre-feu de 21h00 à 6h00 a été décrété par le Préfet pour la moitié des communes de l’île du mardi 20/11 au vendredi 23/11 matin.

Il a eu pour effet d’attiser la violence des casseurs.

Des renforts de police, venus de Mayotte et de métropole, arrivent progressivement sur l’île depuis mardi matin.

Les affrontements entre casseurs et forces de l’ordre ont fait 16 blessés parmi la police et donné lieu à 108 interpellations avec quelques comparutions immédiates sur fond de grève des avocats.

À Saint-Louis, les casseurs nocturnes s’en sont aussi pris au domicile du maire qui a été attaqué au cocktail molotov.

Image symbolique et spectaculaire ce 22 novembre en fin d’après-midi

Un escadron de gendarmerie s’est présenté face à environ 300 Gilets jaunes pour parlementer et débloquer la route nationale au niveau stratégique de l’aéroport. Des centaines de Gilets jaunes sont arrivés en renfort, à pied et en chantant la Marseillaise. Devant le nombre, les forces de l’ordre ont dû rebrousser chemin.

Vers un retour à la normale ?

Aujourd’hui, jeudi 22/11, on constate le réapprovisionnement et la réouverture des stations-services, après le déblocage musclé par les forces de l’ordre du dépôt pétrolier ainsi que la remise en service de quelques lignes de bus et l’arrivée de deux escadrons de gendarmerie dans la nuit.

Pour demain, vendredi 23/11, sont annoncés : la réouverture de l’université, la collecte partielle des déchets dans certaines communes, la venue de la ministre des outremers, Annick Girardin.

Les Réunionnais aspirent à un rattrapage de leur condition économique par rapport à celle des métropolitains. Mais les politiques menées actuellement, imposées par l’Union européenne, tendent au contraire à réduire le niveau de vie en métropole.

On peut donc craindre que ce qui se passe aujourd’hui à La Réunion ne préfigure ce qui se passera demain dans l’hexagone.

Sophie Sénac, Déléguée départementale de l’UPR pour la Réunion
Alexandre Jennan, adhérent UPR
22 novembre 2018