Victor Hugo et l’Europe : découvrez ce qu’était réellement son projet d’ « États-Unis d’Europe »

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Victor Hugo

Tous les mensonges de la propagande européiste enfin dévoilés !
Chapitre : La prétendue responsabilité historique de la France dans la construction européenne
Mensonge : « Victor Hugo nous a montré la voie de l’avenir en prophétisant les États-Unis d’Europe. »

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Résumé du dossier

À partir de quelques phrases prononcées lors de son discours d’ouverture du Congrès de la Paix à Paris en 1849, et sorties de leur contexte, Victor Hugo a été érigé au statut de prophète par les européistes en quête de crédibilité et de soutien.

« Un jour viendra où vous, France, vous Russie, vous Italie, vous Angleterre, vous Allemagne, vous toutes, nations du continent, sans perdre vos qualités distinctes et votre glorieuse individualité, vous vous fondrez étroitement dans une unité supérieure, et vous constituerez la fraternité européenne, absolument comme la Normandie, la Bretagne, la Bourgogne, la Lorraine, l’Alsace, se sont fondues dans la France. Un jour viendra où il n’y aura plus d’autres champs de bataille que les marchés s’ouvrant au commerce et les esprits s’ouvrant aux idées. […] Un jour viendra où l’on verra ces deux groupes immenses, les États-Unis d’Amérique, les États-Unis d’Europe, placés en face l’un de l’autre, se tendant la main par-dessus les mers, échangeant leurs produits, leur commerce, leur industrie, leurs arts, leurs génies, défrichant le globe, colonisant les déserts, améliorant la création sous le regard du Créateur ».

Sa renommée constitue un vecteur idéal pour toucher un très large public et Victor Hugo devient ainsi l’alibi de bon nombre d’hommes politiques de tous bords, comme Jack Lang, Lionel Jospin et Jacques Chirac, qui n’hésitent pas à citer l’homme de lettres sans même connaître le sens réel et global de sa pensée.

Jean-Baptiste Duroselle a ouvert le bal dans son ouvrage L’Europe, histoire des ses peuples ; les partisans de la construction européenne y sélectionnent volontairement les deux phrases les plus politiquement correctes, gommant toute trace de la portée religieuse et colonialiste du propos de Victor Hugo.

En effet, le texte intégral du discours est rempli de références à l’Évangile, à la Providence et à Dieu mais aussi aux vertus de la colonisation, ce que les européistes se gardent bien d’évoquer.

Avec le recul apporté par l’Histoire, force est de constater que le XIXe siècle ne sera pas le théâtre de l’union des peuples européens que souhaitait Victor Hugo, ce qui jette d’autant plus le discrédit sur la prophétie de l’homme de lettres et surtout sur l’exploitation qui en est faite aujourd’hui.

1. La propagande

Mensonge : « Victor Hugo nous a montré la voie de l’avenir avec sa prophétie sur les États-Unis d’Europe »

En quoi consiste cette propagande ?

Il s’agit de l’application à la propagande politique d’un principe de marketing bien connu des publicitaires, le principe dit « du prescripteur » ou « du leader d’opinion ».

Victor Hugo ayant prononcé, lors d’un ‘Congrès de la Paix’ en 1849, un discours où il appelait de ses vœux la création des « États-Unis d’Europe », la propagande européiste a perçu l’intérêt de récupérer cette formule à son profit, fût-ce en tronquant complètement la pensée du poète. Et cela d’autant plus que les sondages indiquent que Victor Hugo reste de nos jours l’un des écrivains les plus connus et appréciés des Français .

L’année 2002, proclamée « année Victor Hugo » à l’occasion du bicentenaire de la naissance du poète, a ainsi été ponctuée de très nombreuses cérémonies mettant l’accent sur ses prétendues qualités de  « visionnaire européen ».

Quel est le public spécialement visé ?

Compte-tenu de la renommée de Victor Hugo, c’est une propagande tout public.

Cependant, les personnes âgées et les milieux intellectuels sont peut-être un peu plus réceptifs à l’évocation de notre poète fétiche du XIXe siècle. L’étude des textes de Victor Hugo peut aussi être un excellent moyen de viser le public scolaire des enfants et adolescents pour les sensibiliser à la « nécessité de faire l’Europe ».

Exemples-types de cette propagande

Jack Lang« Les textes de Victor Hugo sont d’une actualité brûlante, qu’il parle du droit des enfants et de leur droit à l’instruction, du droit des femmes, de la nécessité de faire l’Europe ».

Jack Lang, ministre de l’éducation nationale,
le 7 janvier 2002, donnant le coup d’envoi des festivités
de « l’année Victor Hugo »
dans un lycée parisien (Dépêche AFP du 7 janvier 2002)


Lionel Jospin« [Victor Hugo a développé une] vision prophétique des États-Unis d’Europe.
Le message de paix et d’unité que nous a laissé Victor Hugo doit continuer d’inspirer le projet européen. Pour que l’Union européenne, sans rien perdre de son ambition, s’élargisse à d’autres pays. […] Tout en parachevant son unité, l’Europe doit offrir au monde un modèle, fondé sur la paix, la démocratie, la solidarité et le pluralisme. Un homme né il y a deux cents ans a su ouvrir ce chemin. A nous, aujourd’hui, de le poursuivre ».

Lionel Jospin, Premier ministre, Ouest France, 18 février 2002


Jean françois Poncet« Victor Hugo est bien le père spirituel de l’Union européenne »

Jean François-Poncet, sénateur UDF, ancien ministre des affaires étrangères, dans son discours en hommage à Victor Hugo, le 20 février 2002 devant le Sénat.

2. Européistes de droite et de gauche, tous d’accord pour chanter les louanges de Victor Hugo et sa « belle idée » des « Etats-Unis d’Europe »

Jacques ChiracLe 19 mars 2002, le Président de la République, Jacques Chirac, rendit à son tour hommage à Victor Hugo en prononçant un discours pour l’inauguration de l’exposition « Victor Hugo, l’homme océan » à la Bibliothèque nationale de France.

Le chef de l’Etat mit notamment en exergue chez Victor Hugo « la belle et troublante idée de l’Europe ».


Les États-Unis d'EuropeA l’occasion de « l’année Victor Hugo », le Sénat afficha sur la façade du Palais du Luxembourg un portrait géant de Victor Hugo et huit autres panneaux dont l’un célébrait les « États-Unis d’Europe » et en profitait pour faire la promotion de l’euro.


Raymond ForniLe 9 mars 2002, Raymond Forni, Président socialiste de l’Assemblée nationale, dans son discours pour la Cérémonie de clôture du concours sur « Les combats de Victor Hugo », célébra « l’idéal de liberté qui inspira chacune des luttes [de Victor Hugo] », en particulier pour « les Etats-Unis d’Europe ».


Jean-Pierre Raffarin« La prédiction de Victor Hugo au Congrès de la paix de 1849 s’est réalisée : « un jour viendra où vous, France, vous Russie, vous Angleterre, vous Allemagne, vous vous fondrez étroitement dans une unité supérieure et vous constituerez la fraternité européenne ».

Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre,
discours devant l’Assemblée Nationale, le 25 novembre 2003,
pour appeler les députés à voter le projet de loi autorisant la ratification du Traité d’Athènes.

3. Pourquoi est-ce un mensonge ?

La citation exacte de Victor Hugo

La citation de Victor Hugo qui est reprise dans tous les livres européistes et dans tous les discours politiques est toujours la même. C’est la suivante :

« Un jour viendra où vous, France, vous Russie, vous Italie, vous Angleterre, vous Allemagne, vous toutes, nations du continent, sans perdre vos qualités distinctes et votre glorieuse individualité, vous vous fondrez étroitement dans une unité supérieure, et vous constituerez la fraternité européenne, absolument comme la Normandie, la Bretagne, la Bourgogne, la Lorraine, l’Alsace, se sont fondues dans la France. Un jour viendra où il n’y aura plus d’autres champs de bataille que les marchés s’ouvrant au commerce et les esprits s’ouvrant aux idées. […] Un jour viendra où l’on verra ces deux groupes immenses, les États-Unis d’Amérique, les États-Unis d’Europe, placés en face l’un de l’autre, se tendant la main par-dessus les mers, échangeant leurs produits, leur commerce, leur industrie, leurs arts, leurs génies, défrichant le globe, colonisant les déserts, améliorant la création sous le regard du Créateur » (1).

Ces deux phrases, a priori séduisantes, sont, par exemple, les seuls passages du discours de Victor Hugo cités par l’éminent historien Jean-Baptiste Duroselle dans son ouvrage L’Europe, histoire de ses peuples (2). Il est vrai que ce livre, présenté comme « une initiative européenne » (3) avait pour ambition « la réalisation d’une idée toute simple : la publication, pour le large public, d’une histoire de l’Europe en un volume, histoire considérée dans une perspective européenne et non nationale, [dont on espère qu’elle] contribuera d’une façon ou d’une autre à une réflexion sur l’avenir de l’Europe » (4). Assorti de telles intentions, cet ouvrage, par ailleurs intéressant et bien documenté, ne pouvait donc sans doute pas faire autre chose que gommer, dans le choix de ses citations, les extraits qui posaient éventuellement problème.

La comparaison des citations de nos politiciens avec le vrai discours de Victor Hugo dévoile toute l’ampleur des mensonges de la propagande européiste.

Or, pour analyser les mécanismes de réécriture de l’histoire à l’œuvre dans le fonctionnement de la propagande européiste, il est intéressant de partir à la recherche du texte d’origine de Victor Hugo pour connaître l’intégralité de la pensée du prétendu « visionnaire » et mesurer l’éventuel parti pris que recèle la citation qui en est systématiquement et exclusivement extraite. Et cette lecture du texte intégral (reporté pour l’essentiel dans l’encart en fin de document) réserve plusieurs surprises fort instructives.

Si l’on confronte le texte hugolien d’origine à la citation qui en est faite, que ce soit par l’éminent Duroselle ou par nos responsables politiques, on remarque tout d’abord un « caviardage » systématique. Car lorsque Victor Hugo prophétise l’avènement des États-Unis d’Europe et ses liens à venir avec les États-Unis d’Amérique, il précise immédiatement, dans la même phrase, que ces deux entités étatiques auront vocation à « combin[er] ensemble, pour en tirer le bien-être de tous, ces deux forces infinies, la fraternité des hommes et la puissance de Dieu ! » L’omission de ce membre de phrase n’est pas fortuite car elle fait disparaître de la citation un élément central de la pensée du « visionnaire », que l’on retrouve par ailleurs tout au long de son discours : l’avènement des « États-Unis d’Europe » et de la paix universelle ne peuvent être que le fruit du triomphe de la religion chrétienne.

Pour Victor Hugo, les « États-Unis d’Europe » signifient d’abord le triomphe universel du christianisme sur la planète.

Pour Victor Hugo, cette perspective est absolument fondamentale dès le début puisqu’il commence son discours en invitant les participants à « tourner en quelque sorte le dernier et le plus auguste feuillet de l’Évangile, celui qui impose la paix aux enfants du même Dieu », puis qu’il le poursuit en évoquant « cette pensée religieuse, la paix universelle, toutes les nations liées entre elles d’un lien commun, l’Évangile pour loi suprême ».

Plus loin, le poète prend même des allures de prédicateur intégriste en affirmant que « la loi du monde n’est pas, et ne peut pas être distincte de la loi de Dieu ». L’ensemble de nos responsables politiques contemporains, qui citent l’auteur des Misérables comme une ritournelle à l’appui de la construction européenne, passent aussi sous silence cet appel digne des Croisades.

Pour Victor Hugo, les « États-Unis d’Europe » marquent le coup d’envoi de la colonisation blanche de la planète.

Ce n’est pas tout. Car la seconde constatation qui s’impose à la lecture du discours d’origine de Victor Hugo, c’est que celui-ci ne fait nul mystère que l’objectif à atteindre est non seulement la paix universelle (comprendre : entre pays européens et États-Unis) mais aussi d’« élargir sans cesse le groupe civilisé » et de « donner le bon exemple aux peuples encore barbares ».

En clair, il s’agit d’élargir la Chrétienté à l’ensemble de l’univers, en invitant les puissances occidentales à développer partout un grand élan colonisateur : « Oui, la face du monde serait changée ! Au lieu de se déchirer entre soi, on se répandrait pacifiquement sur l’univers ! Au lieu de faire des révolutions, on ferait des colonies ! Au lieu d’apporter la barbarie à la civilisation, on apporterait la civilisation à la barbarie ! ». Ainsi, « l’Asie serait rendue à la civilisation, l’Afrique serait rendue à l’homme ».

Le poète « visionnaire » tant célébré par les politiciens et les publications européistes apparaît donc dans le même discours non seulement comme le chantre des « États-Unis d’Europe » mais comme le théoricien du grand mouvement de colonisation des puissances occidentales de la seconde partie du XIXe siècle.

Quatre ans après ce discours de Victor Hugo, en 1853, Napoléon III donnera d’ailleurs instruction de coloniser la Nouvelle Calédonie. Les années suivantes, l’Empereur décidera la fondation du port de Dakar, l’implantation du comptoir des Rivières du Sud en 1859, puis l’acquisition de la côte du Gabon en 1862, principales étapes de la pénétration française en Afrique de l’Ouest. N’est-ce pas conforme au souhait de Victor Hugo de « rendre l’Afrique à l’homme » ?

En Asie, la France fera cause commune avec le Royaume-Uni pour mener des expéditions punitives européennes entre 1858 et 1860, se concluant par le sac du Palais d’Été, afin de forcer les Chinois à embrasser la foi catholique d’une part, à acheter l’opium des Indes britanniques d’autre part (5). C’est sans doute ce que Victor Hugo appelle « rendre l’Asie à la civilisation » ? Même si Victor Hugo dénonça alors, courageusement d’ailleurs, à la fois le régime de Napoléon III et le sac du Palais d’Été, force est de constater que la politique d’agression coloniale anglo-française en Chine s’inscrivait dans le droit fil de la pensée qu’il avait lui-même développé sur les États-Unis d’Europe en 1849.

Les « États-Unis d’Europe » de Victor Hugo représentent un moyen de lutter contre les révolutions….

Troisième constatation : notre héraut de la construction européenne se situe délibérément dans une perspective contre-révolutionnaire puisqu’il s’exclame avec ardeur : « la richesse jaillirait de toutes parts de toutes les veines du globe sous le travail des hommes, et la misère s’évanouirait ! et savez-vous ce qui s’évanouirait avec la misère ? Les révolutions ! »

Même si la comparaison est choquante, la pensée politique de Victor Hugo n’est donc, dans son principe, guère éloignée de celle de Pierre Laval qui souhaitait, un siècle après, « construire une Europe dans laquelle la France aura une place qui sera digne d’elle » et « la victoire de l’Allemagne, parce que, sans elle, le bolchevisme, demain, s’installerait partout » (6).

Le « visionnaire » Victor Hugo avait tout faux….

Dernier constat, enfin : on ne peut qu’être frappé par le fascinant manque de clairvoyance de notre poète « visionnaire » car celui-ci anticipe que de tels bouleversements sont pour bientôt :

« C’est une prodigieuse et admirable époque après tout, et le dix-neuvième siècle sera, disons-le hautement, la plus grande page de l’histoire. Comme je vous le rappelais tout à l’heure, tous les progrès s’y révèlent et s’y manifestent à la fois, les uns amenant les autres : chute des animosités internationales, effacement des frontières sur la carte et des préjugés dans les cœurs, tendance à l’unité, adoucissement des mœurs, élévation du niveau de l’enseignement et abaissement du niveau des pénalités, domination des langues les plus littéraires, c’est-à-dire les plus humaines […] l’ère des révolutions se ferme, l’ère des améliorations commence. Le perfectionnement des peuples quitte la forme violente pour prendre la forme paisible. Le temps est venu où la Providence va substituer à l’action désordonnée des agitateurs l’action religieuse et calme des pacificateurs. »

Lorsque l’on songe à ce que furent la seconde partie du XIXe siècle et le XXe siècle, force est de constater que les prophéties du « visionnaire » Victor Hugo étaient dramatiquement erronées.

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Revenir ainsi au discours réellement prononcé par Victor Hugo révèle à quel point la « relecture de l’histoire » que la Commission de Bruxelles appelle régulièrement de ses vœux est en marche. (Voir page suivante)

4. Pour soutenir la construction européenne, la commission européenne veut officiellement procéder à une « relecture de l’histoire » dans le domaine de l’éducation et de l’information

Revenir ainsi au discours réellement prononcé par Victor Hugo révèle à quel point la « relecture de l’histoire » que la Commission de Bruxelles appelle régulièrement de ses vœux est en marche.

Viviane REDINGDiscours : « Vers une histoire européenne »

Intervention de Madame Viviane REDING,
Commissaire européenne chargée de l’Education et de la
Culture, dans le cadre du colloque organisé par
l’Association internationale des musées d’histoire à
Luxembourg,
le 5 mai 2000.

Extraits :

Viviane REDING
« Mesdames, Messieurs,
C’est avec un plaisir tout particulier que j’ai accepté votre invitation à prendre part à ce colloque sur l’histoire européenne, sujet au cœur du projet Euroclio et de l’Association internationale des musées d’histoire.

Je souhaite profiter de cette occasion pour exprimer une conviction profonde : je suis persuadée que la construction de l’Europe prendra de plus en plus appui sur une relecture et une compréhension nouvelle de son histoire […] pour mieux répondre aux détracteurs (ils sont malheureusement encore nombreux …) de la coopération européenne.
[…]
Cette relecture de l’histoire européenne doit être entreprise non seulement dans le cadre des actions communautaires en faveur de la culture mais également dans d’autres programmes d’encouragement, par exemple dans le domaine de l’éducation, de la recherche ou de la société de l’information -je pense ici aux nouveaux outils de communication- compte tenu de la cohérence et de la complémentarité nécessaires entre les différents programmes communautaires »

5. Retour au texte : Discours d’ouverture du Congrès de la Paix à Paris prononcé par Victor Hugo le 21 août 1849

« Messieurs, beaucoup d’entre vous viennent des points du globe les plus éloignés, le cœur plein d’une pensée religieuse et sainte ; vous comptez dans vos rangs des publicistes, des philosophes, des ministres des cultes chrétiens, des écrivains éminents, plusieurs de ces hommes considérables, de ces hommes publics et populaires qui sont les lumières de leur nation. Vous avez voulu dater de Paris les déclarations de cette réunion d’esprits convaincus et graves, qui ne veulent pas seulement le bien d’un peuple, mais qui veulent le bien de tous les peuples. (Applaudissements.) Vous venez ajouter aux principes qui dirigent aujourd’hui les hommes d’Etat, les gouvernants, les législateurs, un principe supérieur. Vous venez tourner en quelque sorte le dernier et le plus auguste feuillet de l’Evangile, celui qui impose la paix aux enfants du même Dieu, et, dans cette ville qui n’a encore décrété que la fraternité des citoyens, vous venez proclamer la fraternité des hommes.

Soyez les bienvenus ! (Long mouvement.)

[…]

Messieurs, cette pensée religieuse, la paix universelle, toutes les nations liées entre elles d’un lien commun, l’Évangile pour loi suprême, la médiation substituée à la guerre, cette pensée religieuse est-elle une pensée pratique ? Cette idée sainte est-elle une idée réaliste ? Beaucoup d’esprits positifs, comme on parle aujourd’hui, beaucoup d’hommes politiques vieillis, comme on dit, dans le maniement des affaires, répondent non. Moi, je réponds avec vous, je réponds sans hésiter, je réponds : Oui ! (bravos ; applaudissements) et je vais essayer de le prouver tout à l’heure.

Je vais plus loin ; je ne dis pas seulement : c’est un but réalisable, je dis : c’est un but inévitable ; on peut en retarder ou en hâter l’avènement. Voilà tout.

La loi du monde n’est pas, et ne peut pas être distincte de la loi de Dieu. Or, la loi de Dieu, ce n’est pas la guerre, c’est la paix. (Applaudissements.) Les hommes ont commencé par la lutte, comme la création par le chaos. (Bravo ! bravo !) D’où viennent-ils ? De la guerre ; cela est évident. Mais où vont-ils ? A la paix ; cela n’est pas moins évident.

Quand vous affirmez ces hautes vérités, il est tout simple que votre affirmation rencontre la négation ; il est tout simple que dans cette heure de nos troubles et de nos déchirements, l’idée de paix universelle surprenne et choque presque comme l’apparition de l’impossible et de l’idéal ; il est tout simple que l’on crie à l’utopie ; et, quant à moi, humble et obscur ouvrier dans cette grande œuvre du dix-neuvième siècle, j’accepte cette résistance des esprits sans qu’elle m’étonne ni me décourage. […]

Un jour viendra où vous, France, vous Russie, vous Italie, vous Angleterre, vous Allemagne, vous toutes, nations du continent, sans perdre vos qualités distinctes et votre glorieuse individualité, vous vous fondrez étroitement dans une unité supérieure, et vous constituerez la fraternité européenne, absolument comme la Normandie, la Bretagne, la Bourgogne, la Lorraine, l’Alsace, se sont fondues dans la France. Un jour viendra où il n’y aura plus d’autres champs de bataille que les marchés s’ouvrant au commerce et les esprits s’ouvrant aux idées. […] Un jour viendra où l’on verra ces deux groupes immenses, les Etats-Unis d’Amérique, les Etats-Unis d’Europe, placés en face l’un de l’autre, se tendant la main par-dessus les mers, échangeant leurs produits, leur commerce, leur industrie, leurs arts, leurs génies, défrichant le globe, colonisant les déserts, améliorant la création sous le regard du Créateur, et combinant ensemble, pour en tirer le bien-être de tous, ces deux forces infinies, la fraternité des hommes et la puissance de Dieu ! (Longs applaudissements.)

Et ce jour-là, il ne faudra pas quatre cents ans pour l’amener, car nous vivons dans un temps rapide, nous vivons dans le courant d’événements et d’idées le plus impétueux qui ait encore entraîné les peuples, et, à l’époque où nous sommes, une année fait parfois l’ouvrage d’un siècle. (Très bien !)

Et Français, Anglais, Belges, Allemands, Russes, Slaves, Européens, Américains, qu’avons-nous à faire pour arriver le plus tôt possible à ce grand jour ? Nous aimer. (Immenses applaudissements.) Nous aimer ! dans cette œuvre immense de la pacification, c’est la meilleure manière d’aimer Dieu !

Car Dieu le veut, ce but sublime ! Et voyez, pour y atteindre, ce qu’il fait de toutes parts ! Voyez que de découvertes il fait sortir du génie humain, qui toutes vont à ce but, la paix ! Que de progrès !que de simplifications ! Comme la nature se laisse de plus en plus dompter par l’homme ! comme la matière devient de plus en plus esclave de l’intelligence et la servante de la civilisation ! comme les causes de guerre s’évanouissent avec les causes de souffrance ! comme les peuples lointains se touchent ! comme les distance se rapprochent ! et le rapprochement, c’est le commencement de la fraternité !

Grâce aux chemins de fer, l’Europe bientôt ne sera pas plus grande que ne l’était la France au Moyen âge ! Grâce aux navires, à vapeur, on traverse aujourd’hui l’Océan plus aisément qu’on ne traversait autrefois la Méditerranée ! Avant peu, l’homme parcourra la terre comme les dieux d’Homère parcouraient le ciel, en trois pas. Encore quelques années, et le fil électrique de la concorde entourera le globe et étreindra le monde (Applaudissements.)

Ici, messieurs, quand j’approfondis ce vaste ensemble, ce vaste concours d’efforts et d’événements, tous marqués du doigt de Dieu, quand je songe à ce but magnifique, le bien-être des hommes, la paix ; quand je considère ce que la Providence fait pour et ce que la politique fait contre, une réflexion douloureuse s’offre à mon esprit.

Il résulte des statistiques et des budgets comparés que les nations européennes dépensent tous les ans, pour l’entretien de leurs armées, une somme qui n’est pas moindre de deux milliards, et qui, si l’on y ajoute l’entretien du matériel des établissements de guerre, s’élève à trois milliards. Ajoutez-y encore le produit perdu des journées de travail de plus de deux millions d’hommes, les plus sains, les plus vigoureux, les plus jeunes, l’élite des populations, produit que vous ne pourrez pas évaluer à moins d’un milliard, et vous arrivez à ceci que les armées permanentes coûtent annuellement à l’Europe quatre milliards. Messieurs, la paix vient de durer trente-deux ans ; et en trente deux ans la somme monstrueuse de cent vingt-huit milliards a été dépensée pendant la paix pour la guerre !(sensation). Supposez que les peuples d’Europe, au lieu de se défier les uns des autres, de se jalouser, de se haïr, se fussent aimés ; supposez qu’ils se fussent dit qu’avant même d’être Français, ou Anglais, ou Allemand, on est homme, et que, si les nations sont des patries, l’humanité est une famille ; et maintenant cette somme de cent vingt-huit milliards, si follement st si vainement dépensée par la défiance, faites-la dépenser par la confiance !

Ces cent vingt-huit milliards donnés à la haine, donnez-les à l’harmonie ! Ces cent vingt-huit milliards donnés à la guerre, donnez-les à la paix (Applaudissements.) Donnez-les au travail, à l’intelligence, à l’industrie, au commerce, à la navigation, à l’agriculture, aux sciences, aux arts, et représentez-vous le résultat. Si depuis trente deux ans, cette gigantesque somme de cent vingt-huit milliards avaient été dépensée de cette façon, l’Amérique de son côté, aidant l’Europe, savez-vous ce qui serait arrivé ? la face du monde serait changée ! Les isthmes seraient coupés, les fleuves creusés, les montagnes percées, les chemins de fer couvriraient les deux continents, la marine marchande aurait centuplé, et il n’y aurait nulle part ni landes, ni jachères, ni marais ; on bâtirait des villes là où il n’y a encore que des solitudes ; on creuserait des ports là où il n’y a encore que des écueils ; l’Asie serait rendue à la civilisation, l’Afrique serait rendue à l’homme ; la richesse jaillirait de toutes parts de toutes les veines du globe sous le travail des hommes, et la misère s’évanouirait ! et savez-vous ce qui s’évanouirait avec la misère ? Les révolutions. (Bravos prolongés.) Oui, la face du monde serait changée ! Au lieu de se déchirer entre soi, on se répandrait pacifiquement sur l’univers ! Au lieu de faire des révolutions, on ferait des colonies ! Au lieu d’apporter la barbarie à la civilisation, on apporterait la civilisation à la barbarie ! (Nouveaux applaudissements.) !
[…]

Chose digne de méditation ! Ce sont nos précautions contre la guerre qui ont mené les révolutions ! On a tout fait, on a tout dépensé contre le péril imaginaire ! On a aggravé ainsi la misère, qui était le péril réel ! On s’est fortifié contre un danger chimérique ; on a tourné ses regards du côté où n’était pas le point noir ; on a vu les guerres qui ne venaient pas, et l’on n’a pas vu les révolutions qui arrivaient. (Longs applaudissements.)
Messieurs ne désespérons pas pourtant. Au contraire, espérons plus que jamais ! Ne nous laissons pas effrayer par des commotions momentanées, secousses nécessaires peut-être des grands enfantements. Ne soyons pas injustes pour le temps où nous vivons, ne voyons pas notre époque autrement qu’elle n’est. C’est une prodigieuse et admirable époque après tout, et le dix-neuvième siècle sera, disons-le hautement, la plus grande page de l’histoire. Comme je vous le rappelais tout à l’heure, tous les progrès s’y révèlent et s’y manifestent à la fois, les uns amenant les autres : chute des animosités internationales, effacement des frontières sur la carte et des préjugés dans les coeurs, tendance à l’unité, adoucissement des moeurs, élévation du niveau de l’enseignement et abaissement du niveau des pénalités, domination des langues les plus littéraires, c’est-à-dire les plus humaines ; tout se meut en même temps, économie politique, science, industrie, philosophie, législation, et converge au même but, la création du bien-être et de la bienveillance […]
Oui, je le dis en terminant, l’ère des révolutions se ferme, l’ère des améliorations commence. Le perfectionnement des peuples quitte la forme violente pour prendre la forme paisible. Le temps est venu où la Providence va substituer à l’action désordonnée des agitateurs l’action religieuse et calme des pacificateurs.(Oui ! oui !)
Désormais, le but de la politique grande, de la politique vraie, le voici : faire reconnaître toutes les nationalités, restaurer l’unité historique des peuples et rallier cette unité à la civilisation par la
paix, élargir sans cesse le groupe civilisé, donner le bon exemple aux peuples encore barbares, substituer les arbitrages aux batailles ; enfin, et ceci résume tout, faire prononcer par la justice le dernier mot que l’ancien monde faisait prononcer par la force. (Profonde sensation.)
Messieurs, je le dis en terminant, et que cette pensée nous encourage, ce n’est pas d’aujourd’hui que le genre humain est en marche dans cette voie providentielle. Dans notre vieille Europe, l’Angleterre a fait le premier pas, et par son exemple séculaire, elle a dit aux peuples : Vous êtes libres. La France a fait le second pas, et elle a dit aux peuples : Vous êtes souverains. Maintenant faisions le troisième pas, et tous ensemble, France, Angleterre, Belgique, Allemagne, Italie, Europe, Amérique, disons aux peuples : Vous êtes frères ! (Immense acclamation. – L’orateur se rassied au milieu des applaudissements.). »


Notes

(1) ce passage, avec parfois des suppressions, figure ainsi dans L’Europe, histoire de ses peuples, Jean-Baptiste Duroselle, p. 325, Perrin, 1990, dans Histoire de l’unification européenne, Bernard Bruneteau, p.12, collection Prépas Histoire, Armand Colin, 1996, dans L’idée européenne, cahier d’étude publié par l’ESCP, lauréat du Prix d’études de Sciences politiques et sociales parrainé par La Poste, publié par la Chambre de commerce et d’industrie de Paris, 1996 ; etc., etc.
(2) Jean-Baptiste Duroselle, L’Europe, histoire de ses peuples p. 325, op. cit.
(3) Jean-Baptiste Duroselle, L’Europe, histoire de ses peuples, op. cit. p.3
(4) Jean-Baptiste Duroselle, L’Europe, histoire de ses peuples, op. cit., page de remerciements signée de Frédéric Delouche, p.5
5) pour accoutumer la population chinoise à la consommation de drogue et rétablir ainsi la balance
commerciale de l’Empire britannique avec l’Empire mandchou, gravement déficitaire au profit du second du fait des achats anglais de thé, soieries et porcelaines.
(6) Pierre Laval, célèbre discours du 22 juin 1942.