Un autre “bienfait” de “l’Europe sociale” : depuis le traité de Maastricht, le travail de nuit explose

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En 1991, avant le traité de Maastricht et le démantèlement du droit du travail qu’il a engagé, il n’y avait en France que 3,5 % des salariés qui travaillaient “habituellement” de nuit.

En 2012, soit deux décennies après la mise en œuvre des « réformes indispensables » imposées par l’UE qui devaient – nous avait-on promis – créer plus de richesses et plus d’emplois, cette proportion a plus que doublé : ce sont désormais  7,4 % des salariés qui travaillent “habituellement” de nuit en France. C’est une étude du ministère de l’Emploi (Dares) qui vient tout juste de nous l’apprendre. [Sources : Le Figaro et  Le Point ]

Le phénomène du travail de nuit s’étend d’ailleurs au-delà. Car si l’on ajoute, aux salariés qui travaillent “habituellement” de nuit, ceux qui travaillent de temps en temps (“occasionnellement”), la même étude nous apprend que c’est désormais plus de 1 salarié sur 7 qui travaillait la nuit (15,4 %) en 2012, habituellement ou occasionnellement, soit un total de 3,5 millions de personnes. Avant Maastricht, ce nombre n’était que de 2,4 millions.

En 2012, ce sont toujours les hommes qui sont les plus nombreux à travailler de nuit. Le travail de nuit, habituel ou occasionnel, concerne 21,5 % des hommes salariés contre 9,3 % des femmes.

L’armée, la police, les pompiers (72 % de travail de nuit habituel ou occasionnel), qui sont des corps à forte présence masculine, comptent le plus grand nombre de travailleurs de nuit avec les conducteurs de véhicule (42 %).

Travail de nuit pour les chauffeurs de bus

Travail de nuit pour les chauffeurs de bus

Travail de nuit pour les policiers

Travail de nuit pour les policiers

L’explosion du travail de nuit des femmes, conséquence directe des directives européennes

Toutefois, c’est surtout parmi les femmes que le nombre de salariées travaillant la nuit a le plus progressé : il a doublé en vingt ans (500 000 en 1991, un million en 2012), alors que le nombre d’hommes concernés n’a augmenté que de 25 % (1,9 million en 1991, 2,4 millions en 2012).

Cette explosion du travail de nuit chez les femmes est la conséquence directe des contraintes européennes.

Il faut en effet rappeler que l’interdiction du travail de nuit des femmes en France datait de la loi du 2 novembre 1892, résultat de débats parlementaires qui avaient commencé dix ans auparavant, c’est à dire en 1881. Cette loi du 2 novembre 1892, reprise par l’article L.213 du Code du travail instaurait un principe général d’interdiction de tout travail de nuit aux femmes. Une interdiction générale s’était rapidement révélée d’une application pratique quasiment impossible car il existe bien entendu des cas particuliers (services d’urgence hospitalière ou travaux saisonniers très urgents, par exemple). Ce constat avait conduit les autorités à adopter des dérogations, notamment par loi du 25 janvier 1925.

C’est la Directive Européenne n°76/207/CEE du 9 février 1976 qui a commencé à imposer aux États européens la généralisation du travail de nuit des femmes, au nom de « l’égalité avec les hommes » et de la « non-discrimination » bien entendu.

Compte tenu de la régression sociale que cette ré-autorisation signifiait, les autorités françaises ont fait la sourde oreille pendant 15 ans. Mais, par l’arrêt Stoeckel du 9 février 1991, la Cour de Justice des Communautés Européennes (CJCE, devenue CJUE depuis 1992) a estimé que la loi française n’était pas conforme à la directive de la Commission européenne du 9 février 1976 et a mis en demeure la France d’accorder son droit national au droit européen.

Le gouvernement français a encore traîné les pieds mais, la CEE étant devenue UE avec le traité de Maastricht les contraintes européennes sont devenues de plus en plus sévères et la France s’est vue placée sous astreinte d’introduire l’autorisation du travail de nuit des femmes avec une amende de 14 482,66 € par jour de retard à à partir du 30 novembre 2000. (Source : http://www.village-justice.com/articles/travail-femmes-Sophie-Cornevin,459.html)

Du coup, la France a dû se résoudre à ré autoriser de façon générale le travail de nuit des femmes par la loi n°2001-397 du 9 mai 2001. Ironie de l’Histoire, c’est le gouvernement dit « de gauche » de Lionel Jospin qui a ainsi aboli une législation sociale vieille de 109 ans…

Travail de nuit pour les infirmières

Travail de nuit pour les infirmières

Travail de nuit pour cette ouvrière opératrice de fabrication de produits alimentaires

Travail de nuit pour cette ouvrière opératrice de fabrication de produits alimentaires

 La prétendue « construction européenne » détruit le droit du travail et précarise les conditions de vie

Ce que vient de confirmer l’étude du ministère du travail, c’est que non seulement il y a de plus en plus de chômeurs et le niveau de vie dégringole pour tout le monde sauf pour les plus riches, mais que les conditions de travail des Français se dégradent également très rapidement.

Car une autre enquête du ministère du travail, de 2013, a révélé ce que l’on pressentait, à savoir que les conditions de travail sont plus difficiles pour les salariés qui travaillent la nuit :

  • ils ont des contraintes plus fortes (sur le rythme de travail et la pluralité des tâches à accomplir),
  • ils sont plus anxieux, ayant souvent le sentiment qu’une erreur de leur part pourrait avoir de graves conséquences,
  • ils sont plus souvent confrontés à des personnes en détresse, à des tensions, ou même à des agressions,
  • leur travail comporte davantage de facteurs de pénibilité physique et de contraintes de vigilance,
  • ils déclarent plus souvent risquer d’être blessés ou accidentés.
Travail de nuit pour les agents de sécurité

Travail de nuit pour les agents de sécurité

Ajoutons, même s’ils ne sont pas tous mentionnés dans l’étude, que le travail de nuit est nuisible à l’hygiène de vie car contraire aux rythmes naturels de la vie (chronobiologie), pousse à la déstructuration de la cellule familiale, et peut conduire à la solitude et à la dépression.

Ce surcroît de difficultés se traduit par un sentiment plus fréquent d’usure professionnelle des travailleurs de nuit. L’étude de 2013 du ministère du travail a révélé que les salariés qui travaillent de nuit sont nombreux à penser qu’ils ne « tiendront » pas jusqu’à leur retraite : c’est le cas de 43 % d’entre eux (presque la moitié !) contre 27 % pour l’ensemble des salariés.

Diagramme illustrant l'expression du rythme circadien et du rythme biologique chez l'Homme [ source : http://fr.wikipedia.org/wiki/Chronobiologie ]. Ce cycle est gravement compromis par un travail de nuit régulier.

Diagramme illustrant l’expression du rythme circadien et du rythme biologique chez l’Homme [ source : http://fr.wikipedia.org/wiki/Chronobiologie ]. Ce cycle est gravement compromis par un travail de nuit régulier.

Travail de nuit pour les agents de la SNCF et les salariés des entreprises sous-traitantes

Travail de nuit pour les agents de la SNCF et les salariés des entreprises sous-traitantes

Travail de nuit pour un gardien réceptionniste immigré

Travail de nuit pour un gardien réceptionniste immigré

 L’énormité des mensonges sur la prétendue « Europe sociale »

Les deux études que viennent de publier les services du ministère du travail permettent, une fois encore, de mesurer l’énormité de la propagande et des mensonges qui furent utilisés par les européistes de “droite” et de “gauche” pour inciter les Français à voter Oui au référendum du 20 septembre 1992 sur le traité de Maastricht.

On ne peut, bien entendu, pas empêcher tout travail de nuit et le législateur français, je l’ai souligné, a dû prévoir des dérogations à l’interdiction du travail de nuit des femmes en 1925. Mais une société civilisée et humaine devrait faire en sorte, comme c’était encore le cas dans les années 1980, de contenir le travail de nuit dans les limites du strictement nécessaire, et ne pas l’autoriser à des fins de maximisation de l’utilisation de l’outil de production ou de la rentabilité par exemple.

Du reste, cette envolée du travail de nuit n’est qu’un symptôme de la dégradation plus globale de notre Droit du Travail, sous les injonctions de la Commission européenne.


35 ans de promesses d’Europe sociale ! Vous y croyez encore ?

Alors que la pauvreté et le chômage ne cessent de s’étendre et que ceux qui ont la chance d’avoir un emploi doivent accepter des conditions de précarisation croissante (CDD, travail de nuit, etc.), il n’est pas inutile de se rappeler les promesses des partisans du Oui faites à l’époque (dont une liste impressionnante est disponible dans le livre de Jean-Pierre Chevènement – au titre hélas trop “gentillet” – Le Bêtisier de Maastricht).

Par exemple :

  •  « Oui, pour aller de l’avant dans les conquêtes sociales, il n’est d’autre avenir que la Constitution de l’Europe. » (Julien Dray, Assemblée nationale, 6 mai 1992).
  • « Mon raisonnement est profondément social-démocrate. À vrai dire, je n’ai pas encore compris pourquoi les libéraux veulent de cette Europe-là » (Michel Rocard, Libération, 3 août 1992).
  • « Si le Traité était en application, finalement la Communauté européenne connaîtrait une croissance économique plus forte, donc un emploi amélioré. » (Valéry Giscard d’Estaing, RTL, 30 août 1992).
  • « Le traité d’union européenne se traduira par plus de croissance, plus d’emplois, plus de solidarité. » (Michel Sapin, déjà ministre des finances à l’époque, Le Figaro, 20 août 1992).
  • « L’Europe, ce sera plus d’emplois, plus de protection sociale et moins d’exclusion. » (Martine Aubry à Béthune, 12 septembre 1992)
    Dans une rue de Mantes-la-Jolie, une femme de ménage de 56 ans part travailler en pleine nuit. Deux longues heures de marche et de transport l'attendent, comme chaque matin. Elle gagne 400 euros par mois (cf. le reportage du 10 mars 2012 de L'Express : http://www.lexpress.fr/actualite/societe/ces-travailleurs-invisibles_1091631.html#y0j3U2DKcXE8j2qe.99)

Dans une rue de Mantes-la-Jolie, une femme de ménage de 56 ans part travailler en pleine nuit. Deux longues heures de marche et de transport l’attendent, comme chaque matin. Elle gagne 400 euros par mois (cf. le reportage du 10 mars 2012 de L’Express : http://www.lexpress.fr/actualite/societe/ces-travailleurs-invisibles_1091631.html#y0j3U2DKcXE8j2qe.99)

CONCLUSION : SORTIR DE L’UE, C’EST AUSSI REDONNER DU SENS À LA VIE

Il faut aller au-delà de la légitime indignation qui nous saisit lorsqu’on relit cette avalanche de promesses scandaleusement mensongères et trompeuses. Il faut comprendre que, plus le temps passe et plus le type de société engendré par la prétendue « construction européenne » et ses promoteurs apparaît clairement.

Le monde que veut nous imposer une toute petite oligarchie est un monde inhumain, où la seule loi qui règne est celle de la recherche du profit maximal, partout et tout le temps. Un monde qui exige de détruire les solidarités nationales, familiales, amicales, afin de réduire l’individu à sa seule valeur de producteur/consommateur. Un monde sans âme, où le seul critère de réussite serait celui de la détention mimétique d’objets matériels, des objets toujours plus nombreux, toujours plus vite périmés, très souvent superflus ou inutiles.

Si l’on y réfléchit bien, ce monde ultra-matérialiste et marchand peut fasciner ou étourdir un moment, mais il est dépourvu de signification et il conduit, au bout du chemin, au désespoir et au vide affectif et moral.

Nous touchons ici, sans doute, l’une des raisons les plus profondes de la crise multiforme dans laquelle s’enfoncent l’Europe en général et la France en particulier. Car, héritiers d’une dizaine de siècles de civilisation, les Français, dans leur écrasante majorité, ne se reconnaissent pas dans ce monde où les seules et uniques valeurs seraient l’argent et le profit.

Redonner du sens à la société dans laquelle nous vivons, redonner à notre vie collective ses valeurs éthiques, c’est aussi l’une des raisons, – et sans doute la plus importante avec la nécessité de préserver la paix du monde -, pour laquelle nous devons nous rassembler en urgence pour faire sortir la France de cette horreur économique et sociale dans laquelle nous plonge la prétendue « construction européenne ».

C’est la raison pour laquelle existe l’UPR : redonner à la Politique son sens le plus noble, afin de redonner du sens à notre vie collective.