L’exemple du Bahreïn: L’alignement complet de l’UE et de la politique française sur Washington
PRÉSENTATION DU ROYAUME DU BAHREÏN
Le Royaume du Bahreïn (qui n’était que “l’Émirat du Bahreïn” jusqu’en 2002) (en arabe البحرين, littéralement « les deux mers ») est un petit État insulaire situé dans le Golfe Persique :
Ce petit royaume est comme coincé au fond d’un golfe, cerné à l’ouest, au sud et à l’est par deux voisins plus grands que lui :
- l’Arabie Saoudite, dont les côtes ne sont distantes que d’une quinzaine de kilomètres. Le Bahreïn est d’ailleurs relié au royaume wahhabite par un lien fixe : une digue routière, financée par l’Arabie saoudite ( la King Fahd Causeway ), qui relie la capitale Manama à la grande ville saoudienne de Dammam ;
- et l’Émirat du Qatar, qui est à peu près à la même distance que les côtes saoudiennes. Le royaume de Bahreïn a d’ailleurs la souveraineté sur quelques îlots distants, situés à 700 mètres seulement des côtes qatariennes.
D’une superficie de 665 km², le Bahreïn est à peu près grand comme le Territoire de Belfort ou la moitié du département du Val-d’Oise. La plus grande partie en est désertique. Ce qui donne à sa capitale Manama une très forte densité urbaine.
Bahreïn est le premier pays arabe du Golfe persique à avoir foré du pétrole en 1932. Mais il est également le premier à avoir asséché ses réserves de pétrole et il a fallu que l’Arabie Saoudite toute proche lui vienne en aide en lui cédant les revenus du champ pétrolier off shore d’Abou Safa, à cheval sur les deux territoires, pour maintenir la viabilité du royaume.
L’économie du Bahreïn reste donc extrêmement dépendante du pétrole qui représente 60 % des exportations du pays, 70 % des recettes de l’État et 30 % du PIB.
Bahreïn d’hier et d”aujourd’hui :
- -au premier plan, les “dhows”, embarcations traditionnelles à voile qui servaient notamment à la pêche et à la collecte de perles fines lorsque celles-ci constituaient la principale richesse de ces terres désertiques au bord d’une mer brûlante ;
- – à l’arrière-plan, les formes futuristes des gratte-ciels de Manama, notamment le somptueux hôtel Ritz-Carlton.
UNE DICTATURE FAMILIALE
Le Bahreïn est dirigé de façon dictatoriale par la même famille régnante de confession musulmane sunnite – les Al Khalifa – depuis la fin du XVIIIe siècle. Elle fut contrainte par les Britanniques de signer un traité « de paix et de protection » en 1820, donc d’accepter leur tutelle coloniale. La famille régnante du Qatar est issue de la même famille.
Le pays recouvra son indépendance du Royaume-Uni en 1971…. pour tomber sous la coupe des États-Unis.
Pour résumer l’emprise de la famille royale sur le Bahreïn, il suffit de souligner :
- qu’elle possède à titre privé entre la moitié et les trois-quarts du territoire du royaume du Bahreïn.
- que plus de la moitié des membres du gouvernement, ainsi que des personnalités de haut rang, sont membres de la famille Al Khalifa :
- – Roi : Hamad bin Issa Al Khalifa
- – Premier ministre : Khalifa ben Salman al-Khalifa (oncle du roi Hamad)
- – Prince héritier et commandant suprême adjoint des forces armées : Salman bin Hamad bin Isa al-Khalifa
- – Ministre des Affaires étrangères : Khalid ibn Ahmad al-Khalifah
- – Ministre de la Défense : Khalifa bin Ahmed al-Khalifa
- – Ministre de l’Intérieur : Rashid bin Abdullah al-Khalifa
- – Ministre de l’Information : Fawaz bin Mohammed al-Khalifa
- – Ministre des Finances : Ahmed bin Mohammed al-Khalifa
- – Ministre de la Justice et des Affaires islamiques : Khalid bin Ali al-Khalifa
- – Ministre de la Culture : Mai bint Mohammed al-Khalifa
- – Ministre des Transports (également vice-Premier ministre) : Ali Ben Khalifa al-Khalifa
- – Ministre de la Cour Royale : Khalid bin Ahmed al-Khalifa
- – Ministre de la Cour royale pour les affaires courantes : Ahmed ben Ateyatalla al-Khalifa
- – Ministre des Affaires de la Cour royale : Ali bin Isa al-Khalifa
- – Vice-Premier Ministre en charge des comités ministériels : Muhammad ibn Moubarak ibn Hamad al-Khalifa
- – Vice-Premier Ministre : Khalid bin Abdullah al-Khalifa
- – Ministre d’État aux Affaires de la Défense : Mohammed ben Abdallah al-Khalifa
- – Chef d’état-major de la Force de défense de Bahreïn : Duaij bin Salman al-Khalifa
- – Conseiller du Premier Ministre pour les Affaires de Sécurité : Bin Abdulaziz al-Khalifa Ateyatallah
- – Juge en chef de Bahreïn (président de la Cour de cassation) : Khalifa bin Rashid al-Khalifa
- – Commandant de la Garde nationale : Mohammed bin Isa al-Khalifa (frère du roi Hamad)
- – Directeur de la National Security Agency : Khalifa bin Abdullah al-Khalifa
- – Ambassadeur à Londres : Khalifa bin Ali bin Rashid al-Khalifa
- – Commandant de la Garde Royale et Président du Conseil suprême de la Jeunesse et des Sports : Cheikh Nasser bin Hamad al-Khalifa (fils du roi Hamad)
- – Premier Vice-Président du Conseil suprême de la Jeunesse et des Sports : Khalid bin Hamad al-Khalifa (fils du roi Hamad)
- – Secrétaire général du Conseil suprême de la Jeunesse et des Sports : Salman bin Ebrahim al-Khalifa
- – Président du Comité olympique bahreïni : Cheikh Nasser bin Hamad al-Khalifa (fils du roi Hamad)
- – Secrétaire général du Comité olympique bahreïni : Ahmed bin Hamad al-Khalifa (fils du roi Hamad)
- – Directeur exécutif du Comité olympique bahreïni : Khalid bin Abdullah al-Khalifa
Ce rappel n’est pas superflu pour tous ceux – dont le gouvernement français – qui s’indignent du népotisme du régime syrien et qui reçoivent en grandes pompes le roi du Bahreïn…
UNE DICTATURE RELIGIEUSEMENT MINORITAIRE
Pour comprendre la situation intérieure du royaume, il faut en outre savoir :
– que la population compte actuellement environ 1,24 million d’habitants, dont seulement 570.000 de nationalité bahreïnie et 666.000 immigrés (parmi lesquels un nombre important de travailleurs indiens – environ 290.000 -, srilankais ou philippins, ces derniers étant chrétiens catholiques),
– que l’islam est la religion officielle et que 99,8% des 570.000 nationaux Bahreïnis sont musulmans,
– mais que les Musulmans ne sont que 70% seulement de la population totale, si l’on y inclut les immigrés,
– et que l’on estime que 66 à 70% des Musulmans habitant au Bahreïn sont chiites comme en Iran, et non pas sunnites comme leur monarque.
LE QUARTIER GÉNÉRAL DE LA Ve FLOTTE AMÉRICAINE
Pour pimenter la situation, il se trouve que la position géographique du port de Manama, capitale du Bahreïn, est idéale d’un point de vue militaire :
- 1) le port est extrêmement vaste (une dizaine de kilomètres en largeur) et peut accueillir des navires de très gros tonnage
- 2) le Bahreïn se situe à peu près au centre géostratégique du Golfe Persique : contigu à la péninsule arabique et à celle du Qatar, posé face à l’Iran qui n’est distant que de 200 km à vol d’oiseau, il est à peu près exactement à mi-chemin entre le “chott-el-arab” (estuaire du Tigre et de l’Euphrate où convergent les frontières de l’Iran, de l’Irak et du Koweït : à 450 km à vol d’oiseau) et du Détroit d’Ormuz, célèbre veine jugulaire par laquelle transitent tous les supertankers ( à 500 km à vol d’oiseau).
La valeur géostratégique du Bahreïn n’a évidemment pas échappé à Washington qui en a fait un État satellite, à peu près au même titre que l’Arabie saoudite, mais en bien plus docile encore, compte tenu de la disproportion des forces : qu’est-ce qu’un roi à la tête d’un État grand comme la moitié du Val-d’Oise, situé à un endroit aussi stratégique, peut refuser à la première puissance militaire de la planète ?
C’est pourquoi les États-Unis ont décidé de s’y installer à demeure, et notamment d’y installer le Quartier général de leur “Cinquième flotte”.
UNE AGITATION POLITIQUE ET SOCIALE DEPUIS 2011
Le pouvoir confisqué par une seule famille, la composition socialement, religieusement et ethniquement très hétérogène de la population, la présence militaire américaine et la proximité de l’Iran, tout cela crée un cocktail politiquement explosif. Logiquement, une agitation sporadique anime le Bahreïn depuis déjà de nombreuses années.
Mais cette agitation s’est brusquement aggravée au printemps 2011. Suivant la vague du “printemps arabe”, le pays est secoué depuis le 14 février 2011 par un mouvement de contestation du régime, animé par plusieurs catégories de la population :
- – des musulmans chiites,
- – des jeunes désœuvrés,
- – des responsables politiques de sensibilité de gauche.
Il y a de profonds désaccords entre ces opposants, mais tous réclament une monarchie constitutionnelle qui leur confèrerait la démocratie ou un accès au pouvoir. De plus en plus, certains se radicalisent en réclamant l’abolition pure et simple de la monarchie.
Plusieurs grandes manifestations se sont ainsi déroulées, notamment une manifestation monstre d’opposants à la monarchie régnante qui a réuni, le 22 février 2011, plusieurs centaines de milliers de personnes dans la capitale Manama. Ce qui constituait un événement sans précédent historique dans ce petit pays indépendant depuis 1971.
Dans une forêt de drapeaux bahreïnis, la manifestation contre la monarchie régnante du 22 février 2011, qui faisait suite aux morts de la manifestation précédente, a rassemblé plusieurs centaines de milliers de personnes dans la capitale Manama. Pour un pays qui ne compte que 570.000 nationaux, cette mobilisation monstre témoigne de l’ampleur du désaveu populaire qui touche la famille régnante.
UNE RÉPRESSION FÉROCE DES MANIFESTATIONS
Le roi Hamad ben Issa Al Khalifa a répondu aux manifestants par la proclamation de la loi martiale et une répression féroce. On estime que plus de 80 manifestants sont morts à ce jour (soit au cours de heurts avec la police, soit sous la torture après leur arrestation), et que le nombre d’arrestations a atteint les 3.000. [pour de plus amples détails : http://fr.wikipedia.org/wiki/Soul%C3%A8vement_bahre%C3%AFni_de_2011-2012 ]
Pour un petit pays de 1,24 million d’habitants, ce sont des nombres très élevés. Si on les rapportait à la population syrienne (23 millions d’habitants), cela représenterait 1.533 morts et 57.500 incarcérés. Et si l’on part du principe que ce sont essentiellement les 570.000 nationaux Bahreïnis qui ont manifesté (les immigrés ayant un statut de subordination et d’extrême précarité, qui les dissuade généralement de se faire remarquer), les chiffres rapportés à la population syrienne monterait alors à 3.228 morts et 121.000 incarcérés.
Autant dire que la répression et la violence des troubles au Bahreïn ont été spécialement fortes.
LA RÉPRESSION CONTRE NABIL RAJAB
Bien qu’il ne soit pas le seul responsable politique d’opposition, l’une des figures centrales de la contestation est Nabil Rajab, un militant des droits de l’homme de confession chiite, qui préside le “Centre des droits de l’Homme”.
[pour de plus amples détails en anglais ]
Sa notoriété locale et régionale est devenue internationale lorsqu’il a été condamné, en juin dernier, à une peine de trois mois de prison pour avoir…. adressé un message Twitter constituant, d’après le tribunal, une « insulte aux sunnites ». Il avait en outre été condamné le 28 juin à 300 dinars bahreïnis (800 dollars) d’amende pour « insultes aux forces de l’ordre.»
Mais le 16 août 2012, sa situation a singulièrement empiré puisqu’il vient d’être condamné à trois ans de prison pour « participation à trois manifestations non autorisées ».
LE DOUBLE JEU DES ÉTATS-UNIS ET DE L’UE
En pleine crise syrienne, et alors que les États-Unis et l’UE ne cessent de fustiger le régime de Damas comme violant outrageusement les droits de l’homme, la décision du tribunal du Bahreïn contre Nabil Rajab tombe évidemment très mal.
Car ce verdict attire soudain l’attention du monde entier sur le fait que les monarchies du Golfe – à commencer par le Royaume d’Arabie saoudite qui est une chasse gardée américaine – sont tout sauf des démocraties. Et que les droits de l’homme y sont depuis longtemps bien plus bafoués encore qu’ils ne le sont dans la Syrie laïque.
Dans ce dernier pays, au moins, la liberté religieuse, la sûreté et le “vouloir vivre ensemble” de chaque communauté religieuses sont très réels. Tandis que les monarchies du Golfe, à des degrés divers, interdisent ou restreignent drastiquement tout autre culte que l’islam sunnite sur leur propre sol. Ce qui, soit dit en passant, viole expressément la Charte fondatrice des Nations Unies auxquels ces États ont théoriquement souscrit.
Du reste, le double jeu des Américains n’a pas échappé aux manifestants du Bahreïn. Nabil Rajab a précisément attaqué les autorités de Washington sur ce terrain lors d’un entretien donné à Al Jazeera le 26 Juillet 2011.
Évoquant la répression féroce des manifestations survenues depuis février, l’opposant a déclaré notamment :
« Le silence des États-Unis a déçu beaucoup de personnes. Il est très clair maintenant que les États-Unis n’exigent la démocratie et le respect des droits de l’homme que dans les pays avec lesquels ils ont des problèmes ; mais qu’ils ne l’exigent pas du tout dans les dictatures avec lesquelles ils ont d’excellentes relations.»
Le 21 décembre dernier, Nabil Rajab a réitéré ses critiques dans un entretien avec le National Post :
« Le gouvernement des États-Unis est la sauvegarde des familles royales dans cette partie du monde. Ils soutiennent les dictateurs. Les États-Unis sont très durs sur la Syrie et sur la Libye, mais, quand ils regardent leurs alliés, ils sont très souples. »
[source]
L’HYPOCRISIE DES ÉTATS-UNIS ET DE L’UE FACE AU CAS RAJAB
Interrogée par la presse dans les instants ayant suivi l’annonce de la lourde condamnation à 3 ans de prison de Nabil Rajab pour participation à une manifestation interdite, la porte-parole de la diplomatie américaine Victoria Nuland a assuré que les États-Unis sont « profondément troublés » par ce verdict, et qu’ils « appellent le gouvernement du Bahreïn à prendre des mesures pour redonner confiance aux citoyens à travers le pays et à démarrer un véritable dialogue avec les partis d’opposition et la société civile ».
On reste fasciné par l’hypocrisie de cette réaction, et par la différence de traitement avec les réactions américaines sur la Syrie au même moment. C’en serait comique si les sujets n’étaient pas aussi dramatiques.
Naturellement, le perroquet bruxellois s’est aussitôt fait la voix de son maître.
La porte-parole du Département d’État américain s’étant déclarée « profondément troublée », sa préposée à la tête de la prétendue “diplomatie de l’Union européenne” – la baronne travailliste Lady Catherine Ashton of Upholland – s’est aussitôt déclarée « préoccupée ». Remarquons que l’on aurait pu avoir l’inverse : si le Département d’État américain s’était déclaré « préoccupé », nul doute que la “diplomatie européenne” se serait aussitôt déclarée « profondément troublée ».
4 décembre 2009 : les deux responsables en chef de la diplomatie euro-atlantiste se rencontrent au quartier général de l’OTAN à Bruxelles. La posture et le type de présence de chacune des deux femmes fait ressortir, de façon presque gênante, qui commande à qui :
- À droite, Mme Hillary Clinton, Secrétaire d’État américaine. Avec son manteau rouge vif de grand couturier, sa permanente et ses mèches soigneusement colorées, son sourire carnassier et son regard assuré et triomphant, Mme Clinton est clairement la patronne.
- À gauche la baronne Ashton of Upholland, “Haute Représentante de l’Union européenne pour pour les affaires étrangères et la politique de sécurité” . Avec son vêtement clownesque, sa coiffure “maison” comme si elle sortait de la douche, sa tête légèrement baissée et rentrée dans son quintuple menton, et son air de chien battu, la Baronne Ashton est clairement la subordonnée.
Mme Ashton a en outre formé le vœu que le verdict sera « revu en appel et que cela s’applique aussi à tous les citoyens [sic ] du Bahreïn jugés pour des faits liés à l’exercice de leurs libertés fondamentales ».
Notons au passage que Lady Ashton of Upholland ne connait visiblement pas la différence qui existe entre un « citoyen » ( = le détenteur d’une parcelle de pouvoir dans un État fondé sur la souveraineté nationale ) et un « sujet » ( = le fidèle serviteur obéissant à un monarque dans un État fondé sur la souveraineté de droit divin ). Notre très ignorante baronne britannique, qui est elle-même « sujette de Sa Gracieuse Majesté », ne semble donc pas avoir compris que le roi du Bahreïn ne reconnaît justement pas l’existence de « citoyens du Bahreïn », mais seulement de « sujets ». Et que c’est bien là tout le problème.
Un salaire de 38.000 euros par mois pour une baronne travailliste de pacotille, incompétente et ultra-atlantiste : il est difficile de trouver une figure plus caricaturale de l’eurocrate incompétent et profiteur que Lady Catherine Ashton of Upholland. Née très banalement dans une famille roturière, les Ashton, vivant à Upholland (Lancashire) en 1956, la jeune Catherine fit des études de sociologie et commença modestement sa vie en travaillant pour une association en faveur du désarmement nucléaire.
Elle n’a dû son ascension qu’à son implication dans le Parti Travailliste et à la faveur d’Anthony Blair. Celui qui était Premier ministre avait sans doute remarqué que la brave Catherine faisait sans broncher ce qu’on lui demandait de faire. Il fit donc anoblir cette bonne pâte et la nommer “Pair à vie” à la Chambre des Lords en tant que baronne Ashton of Upholland en 1999, dans le seul objectif d’y renforcer la majorité à la chambre des Lords pour obtenir la ratification du traité d’Amsterdam…
Le 3 octobre 2008, le gouvernement britannique la nomma en remplacement de Peter Mandelson au poste de Commissaire européen en charge du sujet-clé es négociations commerciales multilatérales. Ce qui fit scandale dans le Landerneau bruxellois, tant il apparut qu’elle ne connaissait strictement rien de rien à ce sujet extrêmement technique et profus. Maintenue par Londres au poste de Commissaire européen dans la Commission Barroso II (en 2009), elle fut choisie par celui-ci comme 1ère représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères, poste nouveau créé par le traité de Lisbonne. Sans doute le président de la Commission Barroso, homme complètement inféodé aux intérêts américains, a-t-il senti comme Anthony Blair que Lady Ashton était malléable à souhait et qu’elle ne ferait pas de difficultés pour s’aligner consciencieusement sur les directives de Washington.
Quoi qu’il en soit, cette nomination à ce poste prestigieux fit encore plus scandale que la précédente. Et les remous provoqués se firent entendre au sein même du parlement européen. Le 25 novembre 2009 à Strasbourg, le député Nigel Farage dénonça le fait que Mme Ashton n’avait jusqu’alors jamais été élue démocratiquement.
Totalement ignare en matière diplomatique, géopolitique et militaire, ne parlant pas d’autre langue que l’anglais, la baronne travailliste a passé une “audition” mouvementée le 11 janvier 2010 devant le Parlement européen. Elle y révéla notamment une incompétence rare sur la question de la politique européenne de Défense.
Selon le Sunday Times du 14 mars 2012, Lady Catherine Ashton of Upholland perçoit un salaire de 328 000 £ par an, soit environ 418.000 euros par an (environ 35.000 euros par mois), ce qui fait d’elle la politicienne la mieux payée au monde.
Comme elle est en outre mariée à Mariée à Peter Kellner, président de l’institut de sondage britannique dénommé YouGov, et que le couple vit donc dans le luxe, on se demande ce qu’elle fait de son argent. Car son inélégance vestimentaire et son allure constamment négligée constituent la “cerise sur le gâteau” de cette baronne pour rire, incompétente et grassement payée.
LE CYNISME DU ROYAUME-UNI
Quant au Royaume-Uni – ancienne puissance coloniale au Bahreïn – il a bien entendu surenchéri dans le même registre hypocrite.
Le ministère britannique des Affaires étrangères a souligné que « la liberté d’expression et le droit de manifester pacifiquement sont une partie fondamentale de toute démocratie moderne ».
C’est une déclaration spécialement cynique au moment où ce même ministère envisage de violer la vénérable Convention de Vienne sur les relations diplomatiques, en menaçant de livrer l’assaut contre l’ambassade d’Équateur à Londres, où s’est réfugié le fondateur de WikiLeaks Julian Assange, qui a demandé et obtenu l’asile politique.
Soulignons au passage que l’un des motifs pour lesquels le gouvernement de Quito a accordé l’asile politique, c’est qu’il estime qu’il y a un risque sérieux que si l’Australien Julian Assange sort de son ambassade, les Britanniques ne l’expédient aussitôt aux États-Unis, où il risque rien moins que la peine de mort pour divulgation de secrets d’État.
Pour en revenir au Bahreïn, le gouvernement britannique a assorti sa déclaration de principe démocratique d’un bémol qui en ruine aussitôt la portée pour ce qui concerne la monarchie des Al-Khalifa. Le Foreign Office a en effet « demandé aux militants de l’opposition de s’assurer que leurs paroles et leurs actes ne constituent pas une incitation à la violence ».
On goûtera en connaisseur la différence entre cette déclaration cauteleuse, qui jette suavement le doute et l’opprobre sur les manifestants, et les déclarations incendiaires et guerrières que le même Foreign Office utilise depuis un an et demi contre le régime syrien….
LES PROMESSES MENSONGÈRES DE FRANÇOIS HOLLANDE
Outre que toutes ces déclarations lénifiantes des États-Unis, de l’UE, et du Royaume-Uni, ne changeront rien pour l’intéressé ni pour les milliers d’opposants incarcérés au Bahreïn, il est remarquable de constater qu’elles sont comme un copié-collé saisissant des déclarations que la Russie et la Chine ne cessent de faire au sujet de la situation en Syrie…. à la plus grande indignation des des États-Unis, de l’UE et du Royaume-Uni !
Dans ce que mes lecteurs me pardonneront d’appeler un “bal de faux-culs”, le nouveau locataire de l’Élysée n’est hélas pas en reste.
M. Hollande, qui se range, comme son prédécesseur, aux avis de Bernard-Henri Lévy pour décider de la stratégie de la France envers la Syrie, et qui n’a donc pas de déclarations assez indignées et violentes contre le régime de Bachar El-Assad, a au contraire les yeux de Chimène pour la monarchie du Bahreïn.
Le 7 août 2012 – donc il y a 10 jours – le président de la République a ainsi reçu en grande pompes Sa Majesté Hamad ben Issa Al Khalifa, roi autocrate ayant 4 femmes et 12 enfants, et despote du Bahreïn qui proclame la loi martiale et fait tirer sur la foule à la première manifestation venue.
Cette invitation est d’autant plus indécente que M. Hollande, il y a 3 mois à peine, faisait précisément campagne pour l’élection présidentielle en annonçant qu’avec lui, les dictateurs allaient trembler…..
Trois mois et 9 jours seulement séparent ces deux photos :
- À gauche : 29 avril 2012 : lors d’un grand meeting au Palais Omnisports de Bercy pendant la campagne présidentielle, François Hollande lance devant une foule enthousiaste : « Je veux que le 6 mai [ date du second tour de la présidentielle ] soit une bonne nouvelle pour les démocrates et une terrible nouvelle pour les dictateurs. Voilà ce que nous avons à apporter, y compris dans cette élection présidentielle ! »
- À droite : 7 août 2012 : François Hollande, élu président de la République, reçoit chaleureusement le roi du Bahreïn à l’Élysée, qui se livre dans son pays à une répression féroce.
Pour bien réaliser l’ampleur de la manipulation dont furent victimes les électeurs de M. Hollande, il est de salubrité intellectuelle de revisionner ce passage de haute propagande. Un groupe d’internautes l’ont fait et j’y renvoie volontiers car c’est bref et cela vaut vraiment le coup d’œil .
Sur ce sujet comme sur à peu près tous les autres, les électeurs de François Hollande n’ont donc plus qu’à aller se faire cuire un œuf. Comme nous n’avions cessé de mettre en garde, il apparaît désormais clairement que le slogan de campagne du candidat “socialiste” – « LE CHANGEMENT C’EST MAINTENANT » – n’était bien qu’une sinistre farce.
Que l’invitation du dictateur bahreïni à l’Élysée le 7 août 2012 ait été suivie de l’annonce, le 16 août, de la condamnation féroce du principal représentant de l’opposition au Bahreïn à 3 ans de prison, voilà qui ne fait évidemment pas très bon genre.
La France étant ainsi ridiculisée, notre diplomatie a entonné à son tour les mêmes gesticulations hypocrites que celles de Washington, Bruxelles et Londres.
Réagissant à la condamnation de Nabil Rajab, le ministère français des Affaires étrangères a donc piteusement « rappelé son attachement au principe de liberté d’expression », et a affirmé que la France « encourageait le dialogue permettant d’apaiser durablement les tensions au Bahreïn ».
Bref, notre diplomatie ne sort pas grandie de tout cela, et affiche à l’égard du potentat du Bahreïn une mansuétude qui est refusée avec indignation au président syrien.
QUI TIRE LES FICELLES : L’IRAN… OU OTPOR ?
Que l’on me comprenne bien.
Je ne reproche pas, dans l’absolu, à la diplomatie française de conserver de la distance par rapport aux événements du Bahreïn et de se fixer comme ligne de conduite de tenter seulement d’y apaiser les tensions. J’estime que c’est au contraire ce qu’elle devrait y faire, au Bahreïn comme en Syrie et ailleurs.
Malgré toute la sympathie spontanée que l’on peut éprouver pour Nabil Rajab et les opposants à la monarchie dictatoriale du Bahreïn, il est prudent de ne pas s’avancer sans connaître parfaitement les tenants et les aboutissants de toutes ces manifestations, spontanées ou non. Car dans ce genre de situation, des surprises ne sont jamais exclues.
Tout d’abord parce qu’il existe plusieurs lectures de la crise :
- selon certains, cette crise découlerait de l’opposition confessionnelle chiite / sunnite ; compte tenu du contexte géopolitique, cela signifierait que l’Iran pourrait être à la manœuvre.
En l’espèce, quel est exactement le jeu joué par les autorités de Téhéran ? On imagine sans difficultés que la théocratie iranienne peut avoir avoir partie liée avec certains milieux chiites du Bahreïn, dans ce petit État que l’Iran affirma d’ailleurs être sa possession et qu’il revendiqua officiellement, de 1957 à 1970, comme étant sa 14ème province.
La possibilité de déstabiliser un État qui sert de quartier général à la Ve Flotte américaine ne doit pas déplaire aux stratèges de Téhéran.
- selon d’autres, cette crise ne serait pas une opposition chiite / sunnite mais une opposition plus classique : “droite / gauche” non confessionnelle.
Mais on doit se demander alors comment il se fait que cette opposition droite / gauche sorte soudain d’un chapeau et comment elle s’articule avec l’opposition chiite / sunnite.
C’est ici qu’apparaît un élément plus inattendu. Selon des sources concordantes, un certain nombre de jeunes manifestants seraient membres du “Mouvement des jeunes pour la Liberté du Bahreïn” (حركة شباب من اجل الحرية في البحرين ) et auraient reçu une formation du groupe Otpor, comme certains “révolutionnaires” tunisiens ou égyptiens.
Cela conduit à rappeler que le groupe Otpor, mot serbe qui s’écrit “Отпор” en cyrillique et qui signifie « Résistance », est une organisation :
- qui joua un rôle majeur dans la chute du régime de Slobodan Milošević en ex-Yougolsavie
- et qui est ensuite devenue un centre de formation pour de jeunes révolutionnaires de différents pays, notamment en Géorgie, puis en Ukraine, mais aussi en Biélorussie et dernièrement, en 2011, en Égypte.
Or, le financement d’Otpor provient notamment :
– de la “Freedom House”, qui est financée directement par… le gouvernement des États-Unis et qui reçoit aussi des dons d’organisations caritatives ou de l’Union européenne.
– et de l'”Open Society Institute”, la célèbre fondation créée par le célèbre milliardaire américain George Soros, très lié à David Rockefeller, et dont les liens avec toute l’oligarchie euro-atlantiste et les services secrets américains sont un secret de Polichinelle.
LA TACTIQUE MACHIAVÉLIQUE DES ÉTATS-UNIS :
LE SOUTIEN DISCRET AUX OPPOSITIONS INOFFENSIVES POUR LEUR DOMINATION
Pour un esprit logique et droit, il paraît incompréhensible qu’une partie de l’opposition au roi Hamad Al-Khalifa du Bahreïn soit soutenue, financée et entraînée en sous-main par OTPOR, donc au bout du compte par la CIA. Comment les États-Unis peuvent-ils avoir un allié décisif pour leur stratégie dans le Golfe persique et contribuer à soutenir en catimini des actions destinées à le renverser ?
La réponse à cet apparent mystère n’est pas si difficile à comprendre. Sans doute les échecs cuisants de la diplomatie américaine au cours des années 1970 ont-ils donné à réfléchir aux think-tanks de Washington. En effet, les chutes des régimes qu’ils soutenaient à travers le monde, notamment ceux du général Lon Nol au Cambodge ( 17 avril 1975 ), de Nguyễn Văn Thiệu au Sud Vietnam ( 30 avril 1975 ) ou du shah Mohammed Reza Pahlavi en Iran ( 16 janvier puis 1er avril 1979), se sont traduites par l’éviction durable de toute influence américaine dans les pays en question, au moins pour plusieurs décennies, sinon par l’apparition d’un adversaire farouche ( le cas de l’Iran étant le plus flagrant ).
Tous ces événements ont donc fait prendre conscience des risques d’un soutien massif et unilatéral à des pouvoirs discrédités dans la profondeur des populations, sans envisager de solution de rechange. En tirant les leçons de ces échecs, l’idée s’est donc fait jour de neutraliser toute possibilité de révolutions réellement dangereuses pour les États-Unis, en soutenant et finançant les oppositions aux régimes en place, fussent-ils dans des régimes amis de Washington, quitte même à y promouvoir des “révolutions”. Et cela afin d’avoir deux fers au feu et de préserver la positions américaine, quels que soient les événements.
L’idée de financer des oppositions aux régimes en place n’était certes pas nouvelle puisque la CIA notamment l’a fait depuis sa création, à la fin de la Seconde guerre mondiale, dans les pays dont elle voulait abattre le régime ( Cuba ou les pays de l’est par exemple) ou dans les pays alliés dont le dirigeant déplaisait “souverainement” à la Maison-Blanche (Charles de Gaulle en France par exemple).
Ce qui est plus nouveau, c’est l’idée de prendre les devants et de déstabiliser sciemment un régime et un dirigeant allié mais considéré comme fragile, afin de neutraliser par avance les dégâts d’une révolution non contrôlée.
L’idée, très intelligente il faut le reconnaître, s’est donc fait jour de promouvoir de façon systématique des “révolutions clés en mains” par des associations œuvrant en faveur de la démocratie”, soit dans des pays adversaires, soit même dans des pays amis.
C’est ainsi que furent notamment créés :
- en 1983, le National Endowment for Democracy (NED) (en français, Fondation nationale pour la démocratie), “fondation privée à but non lucratif” des États-Unis dont l’objectif déclaré est « le renforcement et le progrès des institutions démocratiques à travers le monde » , mais dont la plus grande part de ses fonds provient du département d’État américain, avec approbation du Congrès. [ http://fr.wikipedia.org/wiki/National_Endowment_for_Democracy ]
- en 1993, l’Open Society Institute (OSI), “fondation” créée par le milliardaire George Soros dont l’objectif déclaré est de « promouvoir la gouvernance démocratique, les droits de l’homme et des réformes économiques, sociales et légales et de mettre en œuvre une gamme d’initiatives visant à appuyer la primauté du droit, l’éducation, la santé publique et l’indépendance des médias [ sic ] ».
Ces deux fondations, entre autres, ont été à la manœuvre dans la floraison de « révolutions de couleur », toutes conçues selon le même type de scénario, qui ont commencé par balayer l’ex camp socialiste, avant de s’attaquer aux régimes en place dans le monde arabe :
- Révolution du 5 octobre en 2000 en ex-Yougoslavie conduisant à la chute de Slobodan Milošević (avec la création du mouvement Otpor).
- Révolution des roses en Géorgie en 2003, conduisirent à la chute d’Edouard Chevardnadzé (avec le soutien du “mouvement de résistance civique” Kmara).
- Révolution orange en Ukraine en 2004, (avec le soutien du “mouvement de résistance civique” Pora).
- Révolution des tulipes au Kirghizistan en 2005 (avec le soutien du “mouvement de résistance des jeunes” Kelkel).
- Tentative de déstabilisation en Russie, lors des élections législatives de 2011 (avec le soutien de l’organisation Golos, fondée en 2000 et recevant des fonds de George Soros via la Open Society Institute, et de la NED). Cette tentative explique la décision prise il y a quelques semaines par le président russe Vladimir Poutine de promulguer qui qualifie désormais les ONG percevant des fonds extérieurs comme étant des “agents de l’étranger” et qui les soumet en conséquence à des contrôles officiels. Loi que la presse occidentale a bien entendu qualifié de grave atteinte aux “droits de l’homme”.
- Révolution du jasmin en Tunisie (2010 – 2011) contre le régime pro-américain de Ben Ali.
- Révolution du papyrus en Égypte (2011) contre le régime pro-américain de Moubarak.
EN ROUTE VERS LA « RÉVOLUTION DES PERLES » ?
Le soutien du mouvement OTPOR au “Mouvement des jeunes pour la Liberté du Bahreïn” prouve que les États-Unis ont décidé de se prémunir de tout désagrément en cas de chute du roi Hamad :
- – en tentant de focaliser les manifestations sur la question constitutionnelle et le clivage droite-gauche, et en ayant surtout pour objectif de désamorcer le clivage sunnite / chiite que favorise l’Iran en sous-main (cf. photo supra)
- – et en proposant une solution “clé en mains”. Washington a apparemment fait son choix, qui consiste à pousser les manifestants à se focaliser contre la personne de l’actuel roi et à promouvoir à sa place, en douceur son fils, le prince héritier. Lequel a déjà droit à toute la bienveillante attention de l’administration Obama et a éjà présenté dans la presse américaine comme un “libéral” .
Nul doute que, si des troubles devaient de nouveau éclater, les manifestants supervisés par la CIA-OTPOR orienteraient les revendications des manifestants en faveur d’une démission du roi actuel et de l’édiction d’une Constituante avec l’élévation au trône du prince héritier.
Il ne resterait à trouver que le nom de la révolution. Par exemple “Révolution des perles”, en référence aux huitres perlières de jadis…
À l’exemple de ce qui est en train de se passer sous nos yeux dans les prétendues “révolutions” du “printemps arabe”, le peuple de Bahreïn se rendra compte, mais ensuite, qu’il ne s’est agi que d’une révolution factice, faisant semblant de « tout changer pour que rien ne change », pour paraphraser le Prince Salina dans le roman Le Guépard de Lampedusa.
En attendant, François Hollande a décidément bonne mine en recevant le roi du Bahreïn : non seulement il salit l’image de la France mais il invite à l’Élysée un roi qui ne l’est plus à la Maison-Blanche, où l’on s’active à promouvoir le fils…
LE PRINCIPE DE NON-INGÉRENCE
Il y a une autre raison, beaucoup plus fondamentale que la prudence à avoir dans le cas d’espèce, pour ne pas prendre position sur la situation intérieure au Bahreïn. C’est tout simplement le respect du droit, et notamment du droit international, auquel tous mes lecteurs savent que j’estime essentiel de le respecter en toutes circonstances.
Il faut en effet être logique et conséquent : on ne peut pas vouloir faire respecter le droit international, – et tout spécialement le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures d’un État souverain qui en constitue la clé de voûte -, et prétendre par ailleurs intervenir dans ces mêmes affaires intérieures dès lors qu’un mouvement politique interne y suscite notre sympathie.
Extraits de l’Article 2 de la Charte des Nations-Unies :
Les Membres de l’Organisation s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies.
Aucune disposition de la présente Charte n’autorise les Nations Unies à intervenir dans des affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d’un État ni n’oblige les Membres à soumettre des affaires de ce genre à une procédure de règlement aux termes de la présente Charte; toutefois, ce principe ne porte en rien atteinte à l’application des mesures de coercition prévues au Chapitre VII.
Ceux qui ont gravé dans le marbre de la Charte des Nations Unies ce principe fondamental de non-ingérence dans les affaires intérieures d’un État souverain ne l’ont pas fait à la légère ni pour protéger telle ou telle dictature.
Ils l’ont fait pour une raison d’une très grande force théorique et pratique : si l’on commence à admettre le bien-fondé qu’un État, ou qu’un groupe d’États, prenne parti pour telle ou telle faction dans un autre État souverain sans mandat des Nations Unies, il n’y alors a plus aucune raison, ni aucun motif de droit, pour que tous les États du monde en fassent de même et se mêlent de tout ce qui se passe chez les autres.
C’est alors la porte ouverte :
- – d’une part à une confrontation générale, donc à un risque majeur que la situation ne dégénère rapidement en conflit régional ou mondial ;
- – d’autre part à accorder, in fine, tout pouvoir à l’État, ou au groupe d’États, dont les moyens militaires et l’appareil de propagande médiatique surpassent tous les autres. C’est-à-dire, pour parler clair, aux États-Unis d’Amérique et à leurs vassaux européens.
Piétiner le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures revient ainsi à asseoir, au bout du compte, l’hégémonie mondiale de l’empire euro-atlantiste.
Ces deux risques majeurs se sont récemment concrétisés dans plusieurs États du Moyen Orient et d’Afrique (Afghanistan, Irak, Soudan, Libye) et sont actuellement visibles à l’œil nu en Syrie.
CONCLUSION : LES TROIS FAUTES DE FRANÇOIS HOLLANDE
En recevant chaleureusement le roi du Bahreïn à Paris, et en passant par pertes et profits le sorts des opposants au régime de Manama, le président de la République a commis trois fautes d’un coup.
1) Une faute contre le droit : une ingérence dans les affaires intérieures
Dans les circonstances extrêmement troublées qui prévalent actuellement sur la scène politique du Bahreïn, le fait de recevoir le roi du Bahreïn et ne pas recevoir des représentants des différents mouvements d’opposition prend une coloration qui va très au-delà du simple échange de vues diplomatique. C’est un geste qui ne peut être interprété que comme un soutien de la France à la dictature du roi Hamad Al Khalifa. Et qui est d’ailleurs interprété comme tel.
Outre que cette prise de parti est indécente compte tenu du contexte, elle constitue une violation du droit international puisqu’elle revient à s’immiscer ouvertement dans les affaires intérieures du royaume.
Si M. Hollande voulait corriger cette impression détestable, il devrait demander à l’ambassadeur de France au Bahreïn, M. Christian Testot, de demander à rendre visite à Nabil Rajab dans sa prison, afin de lui remettre symboliquement une invitation à venir à Paris.
2) Une faute contre l’équité : un indécent “deux poids – deux mesures”
Soyons clairs.
Tout comme les anciens régimes libyens ou égyptiens, l’actuel régime syrien n’est certes pas une démocratie version euro-atlantiste et ne respecte certes pas les droits de l’homme à l’occidentale.
Mais le régime du Bahreïn, tout comme ceux de l’Arabie saoudite ou des monarchies pétrolières du Golfe, sont encore moins des démocraties et bafouent encore davantage les droits de l’homme.
Il suffit de songer au statut des femmes, des travailleurs immigrés non occidentaux ou des minorités religieuses dans chacun de ces pays pour en être convaincu.
Dans ces conditions, le fait que François Hollande ait adopté une politique appelant explicitement d’un côté à faire chuter le régime de Damas et soutenant explicitement d’un autre côté le régime du Bahreïn constitue une faute contre l’équité. Il s’agit d’un cas flagrant de “deux poids – deux mesures”, que les Anglo-Saxons qui sont spécialistes en la matière appellent “double standard”.
Or à peu près rien ne révolte plus les peuples que ce genre de différence de traitement : cela laisse pour des années une image honnie à celui qui s’y livre.
3) Une faute contre la France : l’alignement complet sur les intérêts géopolitiques américains se fait au détriment de nos intérêts nationaux
Enfin, il convient de rappeler que, s’il existe bien un pays francophile et encore francophone au Moyen Orient, c’est, après le Liban, la Syrie.
Dans ces conditions, prendre le parti de soutenir la dictature théocratique anglo-saxonne du Bahreïn – chasse gardée des Anglo-américains – et exiger parallèlement la chute du régime laïc de Damas – où la France avait une influence très importante, c’est nuire très gravement à nos intérêts nationaux essentiels dans cette région du monde.
Pour se plier aux instructions formulées par Washington et relayées par Bruxelles, François Hollande, tout comme son prédécesseur Nicolas Sarkozy, fait passer un terrible message auprès de tous les peuples de la région : le soutien de la France ne vaut plus rien, puisque la France est infidèle à son histoire et à ses amitiés et qu’elle préfère soutenir les dictatures de l’empire américain.
Comment s’étonner, après une politique aussi contraire à nos intérêts nationaux, que l’audience de notre pays ne cesse de d’affaiblir partout dans le monde, de même que notre présence commerciale qui y était étroitement corrélée ?
Le cas du Bahreïn est donc exemplaire. Exemplaire de l’asservissement de la France aux intérêts euro-atlantistes anglo-saxons, et de la marginalisation accélérée de notre influence sur la France de la scène internationale, par construction européenne interposée.