Le président de la République Fédérale d’Allemagne met en garde le président de la Confédération suisse contre « le grand danger de la démocratie directe »
Joachim Gauck, président de la République fédérale d’Allemagne
01/04/2014 – À l’issue de la première journée de sa visite officielle en Suisse, le président de la République fédérale d’Allemagne Joachim Gauck a fait sensation, lors d’une conférence de presse conjointe avec Didier Burkhalter, président de la Confédération Helvétique.
Commentant publiquement la votation du 9 février – au cours de laquelle une majorité de Suisses ont voté en faveur du texte intitulé “contre une immigration de masse” -, le président allemand a affirmé voir dans la démocratie directe des « désavantages » et même un « grand danger ». Il a évoqué pour cela les « thèmes complexes sur lesquels il est difficile pour les citoyens de comprendre toutes les implications » et a assuré que l’Allemagne est « contente de sa démocratie représentative ».
Enfonçant le clou, Joachim Gauck a précisé qu’il « ne souhaite pas et ne peut s’imaginer qu’un pays comme la Suisse, aussi diversifié et « qui n’a jamais connu de dictature », s’éloigne de l’Europe. « Personne ne veut voir cela», a-t-il souligné.
Le président de la République Fédérale d’Allemagne Joachim Gauck (à gauche) et le président de la Confédération Helvétique Didier Burkhalter (à droite) côte-à-côte lors de la visite officielle du chef d’État allemand en Suisse le 1er avril 2014
Cette ingérence dans les affaires intérieures suisses a conduit l’actuel président de la Confédération helvétique, Didier Burkhalter, à répliquer dans des termes particulièrement secs, chose rare chez nos amis suisses.
Didier Burkhalter a rétorqué sans ménagement que la démocratie directe en Suisse est comme « le sang dans le corps » et a souligné que les autorités « ne peuvent affirmer avoir toujours raison ».
Pour témoigner de l’irritation des Suisses à l’encontre de l’Allemagne et, plus généralement des États de l’Union européenne qui ont hurlé au scandale après les résultats de la votation du 9 février, Didier Burkhalter est même allé jusqu’à appeler « certains États à davantage d’humilité » sur cette question de la démocratie. Il a également souligné, en usant de la litote, que la Suisse n’avait « pas entièrement » compris la réaction européenne.
[sources : http://www.romandie.com/news/Joachim-Gauck-met-en-cause-la-democratie-directe/463995.rom et http://www.20min.ch/ro/news/suisse/story/La-democratie-directe-peut–tre-un–grand-danger–15181953 ]
Didier Burkhalter, président de la Confédération Helvétique pour l’année 2014. La Confédération Helévtique présente un certain nombre de particuarités institutionnelles remarquables, et notamment celle de ne pas avoir de chef d’Etat stricto sensu. Le président de la Confédération suisse n’est élu que pour un an par l’Assemblée fédérale (réunion du Conseil national et du Conseil des États). Il dirige les séances du Conseil fédéral qui compte sept membres et tranche les votes en cas d’égalité des voix. Il est seulement le primus inter pares et n’a pas d’autorité sur ses collègues qui sont ses égaux. Le président exerce des fonctions représentatives, prononce des allocutions, inaugure des manifestations, mais il ne peut pas être considéré comme un véritable chef d’État puisque c’est l’ensemble du gouvernement qui exerce les prérogatives attachées à cette fonction.
COMMENTAIRES
Bien qu’il soit le chef d’État allemand, Joachim Gauck, Président de la République fédérale d’Allemagne, est bien moins connu des Français que la Chancelière Angela Merkel. Car le régime politique de nos voisins d’Outre-Rhin est un peu comparable à celui qui prévalait en France sous les IIIe et IVe Républiques : le pouvoir effectif est détenu par le chef de gouvernement, tandis que le chef d’État a essentiellement des fonctions honorifiques et de représentation. Il est censé être une autorité morale, mais le prédécesseur immédiat de Joachim Gauck, Christian Wulff, contraint de démissionner en 2012, à la suite d’un scandale financier, vint ternir cette réputation.
Joachim Gauck est un pasteur luthérien originaire de l’ancienne République Démocratique Allemande. Ayant été emprisonné par le régime est-allemand, il a conservé une hostilité viscérale au communisme et s’est fait le porte-parole de la défense des droits de l’homme, en affectionnant de prendre des positions retentissantes.
Parmi les quelques actions d’éclat qu’il a prises depuis son élection à la présidence allemande, Joachim Gauck a fait certains choix qui méritent d’être salués :
=> en juin 2012, il a refusé de promulguer la loi portant sur le Mécanisme européen de stabilité (MES), adoptée par les députés du Bundestag, tant que celui-ci ne serait pas approuvé par le Tribunal constitutionnel fédéral de Karlsruhe,
=> en août 2013, il se rendit à Rostock, sa ville natale, pour commémorer le vingtième anniversaire des émeutes racistes qui bouleversèrent cette ville du Mecklembourg, en 1992. Dans une allocution, le chef de l’État affirma que « la xénophobie, la haine et la violence infectaient encore aujourd’hui le présent » en Allemagne,
=> en juillet 2013, il apporta son soutien à Edward Snowden, l’informaticien américain ayant révélé au monde la pratique d’écoutes illégales commises par la National Security Agency (NSA). Prenant le contrepied de la position affichée par le gouvernement d’Angela Merkel, qui avait refusé d’accueillir Snowden sur le territoire allemand, le président de la République affirma que les personnes comme Snowden avaient le devoir d’obéir à leur conscience, qui plus est si les institutions pour lesquelles elles travaillent venaient à « prendre des décisions illégitimes » ; cette attitude « mériterait [alors] le respect ».
=> en septembre 2013, dans le cadre d’une visite d’État en France, le président Gauck se rendit officiellement pour s’incliner devant le massacre de toute la population perpétré le 10 juin 1944 à Oradour-sur-Glane, village du Limousin, par la division SS Das Reich.
Mais Joachim Gauck a également pris des positions plus polémiques ou propagandistes, en prouvant qu’il savait se plier sans difficultés à la pensée unique euro-atlantiste. Ainsi :
=> dans son premier discours de Berlin après sa prise de fonctions, le 19 février 2013, il affirma que, « l’Europe, dans un monde globalisé, face aux pays émergents, ne saurait s’imposer que si elle est unie, sur le plan politique […] et sur le plan économique ».- le 19 novembre 2013, au cours d’une conférence à Naples avec le président de la République italienne, Giorgio Napolitano, et le président de la République de Pologne, Bronisław Komorowski, il déclara sans sourciller que l’Europe allait « sortir de la crise ».
=> le 8 décembre 2013, il fit publier un communiqué pour indiquer qu’il n’irait pas à l’ouverture des Jeux olympiques d’hiver de 2014 à Sotchi, en Russie, prévue pour le 7 février 2014, pour protester contre la violation des droits de l’homme en Russie.
=> le 11 mars 2014, il a pris fait et cause pour la version atlantiste de la crise en Ukraine et a stigmatisé l’attitude russe.
=> enfin, le 1er avril 2014, il vient de créer un incident diplomatique avec les Suisses en prétendant donner aux Suisses des leçons de démocratie et en jugeant que les référendums comportent un « grand danger ».
CONCLUSION
La déclaration du chef de l’État allemand faite en Suisse le 1er avril 2014 est particulièrement révélatrice et inquiétante de l’état d’esprit des responsables européistes :
- piétinant sans vergogne le droit international et la Charte des Nations-unies, ils n’hésitent plus un instant à s’ingérer dans les affaires intérieures des autres États ;
- vivant dans leur bulle, ils estiment parfaitement justifié de ne pas respecter les choix majoritaires de leur population ; ils jugent parfaitement normal de considérer que les sujets prétendument “trop compliqués” – et notamment tout ce qui touche à la « construction européenne » – doivent être soustraits à l’approbation des peuples et confiés à des parlementaires que les partis neutralisent par des consignes de vote ;
- c’est pourquoi, même des combattants historiques pour les droits de l’homme comme l’est Joachim Gauck, n’éprouvent plus la moindre gêne, ni réticence, ni honte pour dénoncer publiquement le « grand danger » que constituerait le fait de donner aux peuples le dernier mot.
En bref, les européistes deviennent de plus en plus inconscients, tyranniques et dangereux.
A contrario, la réaction du président de la Confédération helvétique – qui était pourtant personnellement hostile à la votation sur l’immigration massive – prouve que nos voisins helvètes savent garder à la fois beaucoup d’honneur et de dignité, et restent imperturbablement fidèles à l’esprit même de la démocratie.
La Suisse nous administre une nouvelle fois la preuve que l’on peut être un petit pays par la superficie et le nombre de ses habitants, mais un grand pays par la force morale et le sens du devoir.
Ce sont ces forces immatérielles qui donnent la capacité de ne pas plier devant les menaces extérieures, quelles qu’elles soient. Les Français ne doivent jamais oublier cette leçon, et se l’appliquer à eux-mêmes.
François ASSELINEAU
“Landsgemeinde” tenue dans le canton de Glaris en 2006. La Landsgemeinde (littéralement en allemand : « Communauté rurale » ou « Assemblée du pays ») est une institution de démocratie directe que l’on trouve dans certains cantons suisses. Son objectif est de résoudre des problèmes collectifs en réunissant les citoyens de la commune ou du canton. Une fois par an, généralement un dimanche de printemps, l’assemblée procède, sur la place du chef-lieu, à l’élection à main levée du président de la Landsgemeinde, puis du Landammann (président du gouvernement), de ses collègues du gouvernement, des représentants du canton au Conseil des États, des juges et de certains fonctionnaires. Les votations s’y déroulent également. Le résultat du vote est le fruit d’une estimation plutôt que d’un calcul précis. La tradition de la Landsgemeinde est apparue au Moyen-Âge dans le canton d’Uri en 1231. Elle n’existe désormais plus que dans deux cantons : Appenzell Rhodes-Intérieures et Glaris. Mais elle reste encore très répandue au niveau communal puisque 4/5e des communes suisses disposent d’une assemblée populaire en lieu et place d’un parlement et ce, principalement en Suisse alémanique.