Pour le maire de Londres Boris Johnson, “les Américains n’accepteraient jamais les contraintes qu’impose l’UE”
SPÉCIAL “BREXIT” : Nous publions une traduction en français de la très percutante tribune du maire de Londres, Boris Johnson, en faveur de la sortie de l’UE. Ce texte a paru dans le quotidien “The Telegraph” du 14 mars 2016.
Les Américains n’accepteraient jamais les contraintes qu’impose l’UE ; alors pourquoi devrions-nous les accepter ?
Tribune de Boris Johnson [ maire de Londres ]
Selon Boris Johnson, la décision de Barack Obama d’exhorter les électeurs à rester dans l’Union européenne est une « manifestation d’hypocrisie exorbitante et scandaleuse. »
J’aime les États-Unis. Je crois au rêve américain. Je pense en effet que l’histoire des cent dernières années peut en grande partie se résumer à la façon dont les États-Unis se sont hissés au sommet du monde et ont préservé et répandu la démocratie dans le monde. Durant deux guerres mondiales et une guerre froide, les États-Unis ont lutté pour les fondamentaux de leur république : un gouvernement du peuple, par le peuple, et pour la préservation de ce peuple.
Il est donc étrange, en regard de cela, que le gouvernement des États-Unis puisse croire que le Royaume-Uni devrait rester dans l’UE, une entité où la démocratie disparaît progressivement.
‘‘Il n’y a aucun pays au monde qui défende sa propre souveraineté avec une vigilance aussi hystérique que les États-Unis d’Amérique”
On nous informe que le président Obama en personne viendra dans notre pays au cours des deux prochains mois, tel un deus ex machina, pour prendre position sur cette question. Air Force One va atterrir, et un lutrin avec le sceau présidentiel va être installé. Et l’on va dire au peuple britannique ce qui est bon pour lui, ce qu’il doit faire.
Nous serons informés par notre principal allié qu’il est dans notre intérêt de rester dans l’UE, peu importe à quel point nous estimions que cette organisation est défectueuse. Peu importe la perte de souveraineté, peu importe toutes les dépenses, la bureaucratie et l’immigration hors de contrôle.
Le point de vue américain est très clair. Que ce soit de façon codée ou en clair, le président nous dira que la participation britannique à l’UE est dans l’intérêt britannique, dans l’intérêt de l’Europe et dans l’intérêt américain. Et pourquoi ? Car, – du moins c’est ce que l’on nous dit -, ce serait la seule manière que nous aurions d’avoir de « l’influence » dans le concert des nations.
C’est un argument important qui mérite d’être pris au sérieux. Je pense néanmoins qu’il est totalement fallacieux, et le fait que ce soit l’Oncle Sam qui le présente est une manifestation d’hypocrisie exorbitante et scandaleuse.
Il n’y a aucun pays au monde qui défende sa propre souveraineté avec une vigilance aussi hystérique que les États-Unis d’Amérique. C’est une nation née du refus d’un contrôle exercé outre-mer. Il y a presque deux siècles et demi, les colons américains se sont dressés et ont violemment affirmé le fait qu’eux – et eux seuls – avaient le droit de choisir le gouvernement des États-Unis. Et non pas George III ou ses ministres. À ce jour, les Américains refusent de s’agenouiller devant quasiment tout type de juridiction internationale. Parmi les nations occidentales, eux seuls refusent de reconnaître le droit à la Cour pénale internationale de juger ses ressortissants. Ils n’ont même pas signé la Convention sur le droit de la mer. Pouvez-vous imaginer les Américains soumettre leur démocratie à un régime du type de celui de l’UE ?
Pensez à l’Alena, l’Accord de libre-échange nord-américain, qui lie le Mexique, le Canada et les États-Unis. Imaginez qu’il ait une structure similaire à celle de l’UE, avec un Parlement, une Commission et une Cour de justice. Est-ce que les Américains se plieraient à la Commission et au Parlement de l’Alena lorsque ceux-ci leur dicteraient la moitié de leurs lois internes ? Est-ce qu’ils accepteraient les jugements de la Cour de justice de l’Alena, supérieure à toutes les institutions américaines, et en majorité dirigée par des Mexicains et des Canadiens que le peuple américain ne pourrait ni nommer ni révoquer ? Jamais. L’idée est risible et complétement étrangère aux traditions américaines. Alors pourquoi serait-il essentiel que la Grande-Bretagne se soumette à un système que les Américains eux-mêmes rejetteraient d’emblée ?
N’est-ce pas là un cas flagrant de « Faites ce que je dis, pas ce que je fais » ?
Bien sûr que c’en est un. Quant à cette précieuse « influence », si chèrement acquise, je ne suis pas sûr qu’elle soit au total à la hauteur de ce qu’elle est censée être – ni que l’appartenance de la Grande-Bretagne à l’UE ait réellement tant de valeur pour Washington. Depuis la fondation même du Marché commun, les élites de Washington ont soutenu l’idée de l’intégration européenne. Le célèbre George W. Ball, membre du département d’État, a travaillé sur la rédaction du plan Schuman dans les années 1950. Il fut l’un des porteurs du cercueil lors des funérailles de Jean Monnet, l’architecte du projet européen.
Les Américains voient l’UE comme un moyen de lier ensemble les pays d’un continent dont les conflits ont coûté un grand nombre de vies américaines, et aussi comme un rempart contre la Russie. Ils ont toujours estimé qu’il était dans leurs intérêts que le Royaume-Uni, leur partenaire numéro un, leur fidèle Achate [ fidus Achates, d’après une locution latine, Achates étant un compagnon dévouée d’Énée ], y soit fortement engagé. Symétriquement, c’est une superstition de notre ministère des Affaires étrangères de croire que nous gagnons en importance auprès de Washington si nous pouvons prétendre de façon plausible que nous avons de « l’influence » à Bruxelles. Mais, chaque année qui passe, cette influence diminue.
Ce n’est pas seulement parce que nous sommes de plus en plus souvent mis en minorité au conseil des ministres [ de l’Union européenne ] ou que nos fonctionnaires sont de plus en plus fortement en infériorité numérique à la Commission. C’est que tout le concept de « souveraineté mise en commun » est une escroquerie et une tromperie.
Nous ne partageons pas vraiment le contrôle de l’UE avec d’autres gouvernements : le problème est plutôt que tous les gouvernements ont perdu le contrôle de cette machine fédérale non élue. Nous ne savons pas qui ils sont, quelle langue ils parlent, et nous ne savons certainement pas ce que nous pouvons faire pour les révoquer par une élection.
‘‘Il y a une profonde différence entre l’UE et les États-Unis, une différence qui ne disparaîtra jamais.’’
Quand les Américains regardent le processus de l’intégration européenne, ils font une erreur de catégorie fondamentale. Avec un narcissisme excusable, ils pensent que les Européens évoluent, de manière plutôt hésitante, de façon à devenir comme eux : unis dans un seul régime fédéral, les États-Unis d’Europe. Et c’est en effet ce que les États de l’Eurozone essayent de construire ; mais ce n’est pas vrai pour beaucoup de nations de l’UE, et ce n’est certainement pas vrai pour le Royaume-Uni.
Il y a une profonde différence entre l’UE et les États-Unis, une différence qui ne disparaîtra jamais. Les États-Unis ont une seule culture, une seule langue, une seule et puissante marque mondiale, un seul gouvernement qui dispose de l’allégeance nationale. Ils ont une histoire nationale, un mythe national, un demos [peuple] qui est au fondement de leur démocratie. L’UE n’a rien de cela. En nous poussant à nous impliquer encore plus dans les structures fédérales de l’UE, les États-Unis nous poussent dans une voie qu’ils ne rêveraient jamais d’emprunter eux-mêmes. Parce qu’ils sont une nation créée dans la liberté. Ils semblent parfois oublier que nous sommes très friands de liberté, nous aussi.
Date: 14 mars 2016
Auteur : Boris Johnson
L’auteur
Né le 19 juin 1964 à New York, Alexander Boris de Pfeffel Johnson – dit « Boris Johnson » -, est un homme politique britannique, qui possède la double nationalité britannique et américaine.
Après un brillant cursus scolaire, ce rejeton de la haute bourgeoisie britannique s’est fait d’abord connaître comme journaliste dans les grands organes conservateurs.
Il a ensuite été élu député du Parti conservateur aux Communes en 2001 dans la circonscription de Henley, puis réélu en 2005. Il en a démissionné après son élection à la mairie de Londres, en 2008.
Il est revenu au Parlement en 2015 en se faisant élire dans la circonscription Uxbridge and South Ruislip dans le Grand Londres.
Toujours maire de Londres depuis 8 ans, Boris Johnson est actuellement l’un des principaux ténors de la campagne en faveur de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne.