Faut-il croire à la prétendue mort du TTIP / TAFTA ?
RAPPELS
Qu’est-ce que le TTIP (ou TAFTA) ?
Le TTIP (Transatlantic Trade and Investment Partnership) ou TAFTA (Trans Atlantic Free Trade agreement) est un projet dont le but affiché est de créer le plus vaste marché du monde, un « grand marché transatlantique » reliant les États-Unis et les États membres de l’Union européenne.
En quoi consiste-t-il exactement ?
Depuis le début des négociations en 2013, il s’agit donc de libéraliser toujours plus, en favorisant les échanges commerciaux, en allant vers la suppression des droits de douane. Cet accord de libre-échange outrepasserait même l’Organisation Mondiale du Commerce en ce qui concerne la libéralisation des marchés.
Une grande entreprise pourrait, si l’accord venait à voir le jour, attaquer un État si les règles d’entrée sur le territoire venaient à ne pas lui convenir : il s’agit des fameux tribunaux d’arbitrage privés qui feraient des grandes multinationales les grandes gagnantes de toute cette opération.
Déclarations allemandes, françaises et “européennes”
Alors que, depuis 2013, le projet avançait en catimini et qu’il avait de grandes chances d’aboutir, plusieurs voix – et non des moindres – ont récemment exprimé leur hostilité. En 2016 donc, soit trois ans après.
La chronologie de la prétendue « mort du TAFTA » récemment annoncée a démarré avec une déclaration du Vice-chancelier et ministre de l’économie allemand Sigmar Gabriel. C’est lui qui, le premier, a jeté un pavé dans la mare, le dimanche 28 août, en annonçant que les négociations sur le TAFTA avaient « de facto échoué » [1].
Cette déclaration a rapidement fait le tour du monde, inquiétant les institutions européennes. Lundi 29, la Commission européenne a tenu à démentir, via son porte-parole Margaritis Schinas, en expliquant que les négociations étaient toujours en cours et que la Commission était prête à boucler un accord « à la fin de l’année ». [2]
Enfin, mardi matin 30 août, le secrétaire d’État français au commerce extérieur, Matthias Fekl, s’est rendu sur RMC pour annoncer que la France allait demander la fin des négociations sur le TAFTA [3]. Une position confirmée ensuite par François Hollande, qui a déclaré : « Les discussions en ce moment même sur le traité entre l’Europe et les États-Unis ne pourront pas aboutir à un accord d’ici la fin de l’année. La France préfère regarder les choses en face et ne pas cultiver l’illusion qui serait celle de conclure un accord avant la fin du mandat du président des États-Unis » [4].
Rajoutant à toute cette cacophonie, l’Union européenne, par la voix de la Commissaire européenne au commerce Cecilia Malmström, a fait savoir de son côté que les négociations sur le TTIP « ont été difficiles c’est sûr, mais elles n’ont pas échoué. » Cette commissaire européenne de nationalité suédoise a même précisé qu’elle espérait finaliser le TAFTA avant la fin de la présidence Obama, le 20 janvier 2017.
Quant à Angela Merkel, elle a développé un point de vue beaucoup plus proche de celui de la Commission européenne que de son propre vice-Chancelier puisqu’elle continue de soutenir publiquement le projet, en le considérant « juste, important et dans l’intérêt absolu de l’Europe ».
Commentaires
1) La poltronnerie de François Hollande
La situation du TAFTA est actuellement la suivante :
a) la position américaine est fondée sur l’idée d’un passage en force agressif, refusant tout compromis sérieux, afin d’assurer sa domination économique et celle des grandes entreprises américaines ;
b) ce projet de traité suscite un rejet massif dans les opinions publiques des pays d’Europe, qui se scandalisent particulièrement, et à juste titre, de l’opacité extraordinaire des négociations ;
c) les projets de TPP et de TAFTA provoquent aussi un fort mouvement de rejet chez les électeurs américains, et cette problématique s’est d’ailleurs invitée dans la campagne présidentielle américaine ;
d) le TAFTA entraîne aussi une opposition de plus en plus évidente de la part de plusieurs gouvernements européens, notamment en Allemagne.
Pour un vrai chef d’État européen, chargé avant tout de défendre les intérêts de son pays, le seul premier point aurait suffi à justifier la fin immédiate des négociations. En outre, les trois points suivants montrent que le contexte politique et diplomatique incite aussi à un abandon des négociations.
Dans le contexte ainsi rappelé, il eût été souhaitable à tous égards que la France prenne l’initiative de taper du poing sur la table. On imagine par exemple ce qu’aurait été l’impact d’une déclaration solennelle du président de la République annonçant la fin des négociations sur le TAFTA, avant le ministre allemand Sigmar Gabriel.
Cette déclaration aurait rapidement fait le tour du monde, et François Hollande aurait pu apparaître comme un chef d’État soucieux des intérêts de la France, à l’écoute de son peuple, et osant s’opposer souverainement aux multinationales américaines.
Il n’en a rien été.
Faisant preuve une nouvelle fois de sa pusillanimité, de ses hésitations, de sa mauvaise compréhension des enjeux, pour ne pas dire de sa lâcheté, François Hollande s’est fait “doubler” par le vice-Chancelier allemand.
Une fois que ce dernier a fait la déclaration rappelée plus haut, le locataire de l’Élysée a encore préféré rester en retrait.
Ayant toujours peur de son ombre, il a envoyé au créneau un modeste secrétaire d’État -au rang protocolaire bien inférieur à celui d’un ministre- pour annoncer à la sauvette que le gouvernement français souhaitait « demander » à la Commission européenne la fin des négociations.
Après s’être fait doubler par l’Allemagne, François Hollande s’est ainsi caché derrière M. Fekl, probablement pour ne pas apparaître comme à l’origine de la rupture des négociations.
Cet épisode peu glorieux montre que, même dans l’opportunisme politique, Hollande fait preuve de médiocrité.
2) la fausse-mort du TAFTA
Dans la politique contemporaine, où les déclarations des dirigeants sont quasiment toujours trompeuses et à double-entente, il est important de ne jamais se départir d’une élémentaire prudence.
Toute déclaration, surtout sur un sujet d’une aussi grande importance, doit être examinée à la loupe : qu’est-ce qui a été dit précisément ? Quelle a été la formulation et les mots retenus ? Qu’est-ce qui n’a justement pas été dit, alors qu’il aurait été normal que ce le soit ?
Si l’on examine ainsi minutieusement la déclaration de M. Fekl, on découvre qu’elle est très vicieusement tournée : « Ce que demande la France, c’est l’arrêt pur, simple et définitif de ces négociations. Pourquoi ? Parce qu’elles ont été engagées dans l’opacité. Il faut un coup d’arrêt net, clair et définitif pour ensuite pouvoir reprendre des discussions sur de bonnes bases. » [5]
Si l’on y réfléchit une seconde, c’est vraiment se moquer du monde que de proposer « l’arrêt net, clair et définitif des négociations pour ensuite pouvoir… reprendre des discussions ». Dire ainsi une chose et son contraire est une “ficelle” politicarde bien connue : cette tromperie est du même acabit que le programme du FN qui propose “d’utiliser l’article 50 du TUE pour renégocier les traités” [sic] ou les déclarations de Mélenchon qui annonce vouloir “sortir des traités européens pour imposer une Europe sociale”….
Dans le cas qui nous intéresse :
– soit on propose « l’arrêt net, clair et définitif des négociations », et l’on peut alors parler de la mort du TAFTA,
– soit on propose de « reprendre des discussions », et il est alors naïf de croire que le TAFTA est mort : il ne s’agit que d’un tour de passe-passe, destiné à prendre en compte le fait que ce dossier TAFTA est de plus en plus impopulaire et que les élections arrivent.
Cette manipulation vise simplement à mettre le sujet du TAFTA de côté pour l’instant. Il sera temps de le ressortir en juillet 2017, en en modifiant quelques virgules, une fois les élections présidentielle et législatives passées et les électeurs français dûment bernés.
N’est-ce pas exactement ce qui s’est produit avec la “Constitution européenne” ? Rejeté par 55% des Français en 2005, le même texte fut ratifié par les parlementaires français trois ans après, sous le nouvel intitulé de “Traité de Lisbonne” avec quelques modifications de détail infimes et sans conséquences.
Il ne s’agit donc ici que d’une tromperie de communication. Au même titre que la position allemande, qui oppose en apparence Angela Merkel et son ministre de l’Économie. L’objet de ces deux sons de cloche divergents est de permettre à la coalition au pouvoir à Berlin de “ratisser large” en vue des prochaines élections générales en Allemagne… Mais en pratique le projet de TAFTA continue.
3) Une mise en scène pour tromper les électeurs français
Que le projet de TAFTA continue, c’est d’ailleurs bien ce que ne cesse de dire la Commission européenne,comme on l’a rappelé précédemment.
Et c’est aussi ce que vient de déclarer, le 2 septembre 2016, le Commissaire européen français Pierre Moscovici : « Cela ne me paraît pas pertinent de suspendre les négociations [ du TAFTA] Je crois qu’il serait beaucoup plus intelligent, au contraire, de les poursuivre, tout en rehaussant notre niveau d’exigences ». [6]
Lorsque l’on sait que Pierre Moscovici est un proche de François Hollande et de Matthias Fekl, – et qu’ils sont tous les trois des anciens « Young Leaders » de la French-American Foundation – on comprend que tout ce méli-mélo n’est qu’une mise en scène avec une répartition des rôles très précise :
– la déclaration de Matthias Fekl est destinée à faire croire aux électeurs français que le gouvernement français a tapé du poing sur la table, et que le TAFTA est enterré.
– la déclaration de Pierre Moscovici est destinée à rassurer Washington sur le fait que la France, par l’intermédiaire de son Commissaire à Bruxelles, ne s’oppose en fait nullement à la poursuite du TAFTA
– la position en retrait de François Hollande, qui se réfugie dans la pénombre, est destinée à faire comprendre à l’oligarchie euro-atlantiste qu’il montre toutes les marques de duplicité et de soumission qui le qualifient pour un second mandat à l’Élysée.
Conclusion
À travers le TAFTA – et donc sur un sujet hautement stratégique – on peut s’apercevoir que :
a) le prétendu “couple franco-allemand” n’existe pas, ne pèse pas et ne sait pas allier ses forces ;
b) la Chancelière et son ministre de l’Économie ne semblent pas être d’accord entre eux. Que cette opposition soit authentique ou factice, elle n’en est pas moins révélatrice des oppositions très fortes et très réelles qui traversent l’opinion publique allemande sur ce sujet. Si dans un même pays, il y a désaccord, comment faire en sorte que 28 pays tombent d’accord au même moment sur un sujet précis ?
c) Bruxelles n’a que faire des avis des uns et des autres. Si la Commission européenne n’écoute même pas les deux « pays forts » de l’UE, à qui va-t-elle tendre l’oreille ?
d) Washington dicte sa loi et veut passer en force pour imposer sa vision.
Quand on connaît la genèse de la construction européenne et la mainmise des États-Unis dessus, le TAFTA est la suite logique du processus de vassalisation européenne appelée par antiphrase “construction européenne”. Dans cette perspective, il est illusoire de croire à un arrêt des négociations. Cela est juste repoussé après les élections.
Il n’existe donc qu’une seule et unique solution pour éviter de sombrer sous les injonctions de Bruxelles et de Washington, et d’éviter, entre autres, le TAFTA : sortir de l’Union européenne par l’article 50 du TUE. C’est ce que propose l’UPR.
Sans ce choix stratégique, la France sera contrainte de subir la politique européenne qui l’emmène vers la paupérisation et l’autodestruction.
François ASSELINEAU
Antoine CARTHAGO
Charles-Henri GALLOIS
5 septembre 2016
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NOTES
[6] http://www.euractiv.fr/section/inno…