David Cameron remanie le gouvernement britannique dans un sens encore plus favorable à la sortie de l’UE
LE PREMIER MINISTRE BRITANNIQUE CHOISIT LE JOUR DE L’ÉLECTION DE JUNCKER À LA TÊTE DE LA COMMISSION EUROPÉENNE POUR REMANIER SON GOUVERNEMENT DANS UN SENS ENCORE PLUS FAVORABLE À LA SORTIE DE L’UE.
Ce n’est probablement pas un hasard si David Cameron, premier ministre britannique, a choisi la date du 15 juillet 2014 pour procéder à un remaniement de fond en comble de son gouvernement.
C’est en effet ce matin que le Luxembourgeois Jean-Claude Juncker, candidat désigné par les Chefs d’État et de gouvernement à la présidence de la Commission européenne, devait obtenir la confiance du Parlement européen. Une simple formalité puisque 26 des 28 chefs d’État l’avaient déjà choisi le 27 juin, à la grande fureur de la Grande-Bretagne et de la Hongrie qui le jugeaient trop fédéraliste.
M. Juncker a donc été confirmé par le Parlement avec 422 voix contre 250, 47 abstentions et 10 bulletins nuls, soit 729 suffrages exprimés. Le candidat devait recueillir la majorité absolue des 751 députés, soit 376 suffrages. Si son élection a été remportée sans difficulté, Jean-Claude Juncker n’a cependant pas fait le plein des voix, puisque la grande coalition entre son parti (de droite), le PPE, et les socialistes, à laquelle s’était ralliée les Libéraux et centristes, faisait un total de 480 députés. (cf. http://www.romandie.com/news/JeanClaude-Juncker-elu-president-de-la-Commission/497415.rom )
Cela signifie qu’au moins une soixantaine de parlementaires ont fait défection, ce qui n’est pas de très bon augure pour son autorité sur la nouvelle Commission.
Quoi qu’il en soit, on se rappelle que, le 31 mai dernier, le Premier ministre britannique avait menacé Angela Merkel et ses « partenaires » européens de faire sortir le Royaume-Uni de l’UE précisément si Jean-Claude Juncker, le candidat soutenu par la Chancelière d’Allemagne, devenait président de la Commission européenne. (Je renvoie à mon article : https://www.upr.fr/actualite/europe/1er-ministre-britannique-menace-de-faire-sortir-de-l-ue-le-royaume-uni )
C’est dire si David Cameron se retrouvait au pied du mur aujourd’hui. Sauf à passer pour un matamore ne mettant pas ses menaces à exécution, il se devait de prendre des décisions frappant les esprits.
C’est ce qu’il vient de faire :
- a) il a promu Philip Hammond, qui était jusque-là ministre de la Défense, au poste emblématique de ministre des Affaires étrangères de Sa Gracieuse Majesté.
Or celui-ci s’était fait remarquer le 13 mai 2013 (j’en ai parlé à plusieurs reprises dans mes conférences) pour avoir déclaré, au micro de la BBC, qu’il voterait Oui au référendum la sortie du Royaume-Uni de l’UE si les institutions bruxelloises n’étaient pas réformées, d’ici là, comme le veulent les Britanniques. ( cf. http://www.bbc.com/news/uk-politics-22500121).
Philip Hammond avait ainsi approuvé pleinement la position de son collègue au gouvernement Michael Gove, ministre de l’éducation, qui avait déclaré la même chose quelques heures auparavant.
- b) il a nommé Michael Gove au poste de Chief Whip
Michael Gove, justement, quitte le ministère de l’éducation où David Cameron l’a remplacé par une jeune femme. Mais cette éviction est due aux problèmes que le ministre rencontrait avec un grand nombre d’enseignants hostiles à ses projets de réforme éducatifs. Elle n’est pas du tout un désaveu à l’égard de ses positions anti-européennes.
Preuve en est d’ailleurs qu’il a été nommé Chief Whip, poste sans réel équivalent en France mais qui n’est absolument pas négligeable, tant s’en faut, dans les institutions britanniques. Résidant au 9 Downing Street, soit à un numéro près de la fameuse résidence du Premier ministre britannique qui se situe au 10, le Chief whip est le député chargé de veiller à ce que les élus de son parti soient présents et votent en fonction des consignes du parti. (en anglais, le mot whip veut dire « fouet »…).
Le Chief whip du parti au pouvoir – ce que sera justement Michael Gove – a ainsi un pouvoir considérable sur la majorité au pouvoir. Du reste, il assiste à tous les conseils des ministres et il passe souvent comme étant l’éminence grise du Premier ministre, voire son porte-parole. Sa présence dans les médias devrait s’en trouver renforcée, ce qui ne sera pas pour déplaire à cet homme qui a commencé sa carrière comme journaliste.
- c) le très européiste Kenneth Clarke, ministre sans portefeuille de 74 ans, est quant à lui viré purement et simplement du gouvernement.
Ce dernier représentant de la génération de Margaret Thatcher était notoirement connu pour être un européiste et il a d’ailleurs réagi à sa mise à l’écart en promettant « de faire vigoureusement campagne en faveur de notre maintien du pays dans l’UE. » (http://www.lexpress.fr/actualites/1/monde/royaume-uni-le-ministre-de-la-defense-philip-hammond-remplace-hague_1559421.html)
- d) enfin, David Cameron a décidé de nommer Lord Jonathan Hill, Baron Hill of Oareford, leader du Parti conservateur à la chambre des Lords, comme prochain commissaire européen britannique à Bruxelles.
Sans être un adversaire déclaré de la prétendue « construction européenne », Lord Jonathan Hill est néanmoins catalogué parmi les « eurosceptiques modérés ». Il est du genre – que nous connaissons si bien en France ! – à critiquer l’UE sans jamais proposer d’en sortir. Adepte du chèvre-chou, il va tenter de concilier l’inconciliable.
En attendant, il a d’ores et déjà fait savoir que sa tâche serait bel et bien d’obtenir une réorientation complète de l’Union européenne dans le sens souhaité par les Britanniques…. Autant dire que sa tâche sera impossible.
UN REMANIEMENT CONFORME À L’ESPRIT DE LA DÉMOCRATIE, MÉPRISÉ EN FRANCE
Le remaniement ministériel profond auquel vient de se livrer David Cameron n’est évidemment pas seulement dû à la nécessité de donner une suite tangible aux menaces qu’il avait formulées le 31 mai dernier pour empêcher que Jean-Claude Juncker ne devienne président de la Commission européenne en remplacement de José Manuel Barroso.
Ce remaniement est aussi dû, bien sûr, au résultat des élections européennes outre-Manche, qui ont vu le triomphe du parti UKIP de Nigel Farage, dépassant largement le score du Parti Conservateur au pouvoir.
Tirant l’enseignement de ces résultats, le Premier ministre a jugé nécessaire de renforcer le camp des partisans de la sortie de l’Union européenne au sein de son propre gouvernement. David Cameron a jugé absolument indispensable cette fermeté accrue à l’encontre de la prétendue « construction européenne » pour éviter une bérézina aux prochaines élections législatives britanniques de l’an prochain.
Mais il a aussi procédé à ce remaniement parce qu’une telle réorientation, – qui tient tout bonnement compte du vote des électeurs – est conforme à l’esprit de la démocratie.
Un esprit auquel nos amis britanniques sont bien davantage attachés – et depuis des siècles -, que les responsables politiques français.
On mesure ainsi, une nouvelle fois, le gouffre qui sépare comme toujours le pragmatisme des élites britanniques du dogmatisme des élites françaises.
Comme à l’accoutumée chez nous, les dirigeants politiques refusent de tirer sérieusement et honnêtement les enseignements des élections. Ils ne pensent qu’à poursuivre la même politique, en tablant sur le fait que les Français se contenteront de bonnes paroles et se laisseront encore une fois embobiner.
N’est-ce pas très exactement ce qui vient encore de se passer avec les élections européennes en France ? Quels enseignements, quelles conséquences concrètes, François Hollande a-t-il tirés du désastre électoral subi par le PS le 25 mai dernier, et de la montée en puissance de toutes les forces eurocritiques ?
Non seulement le locataire de l’Élysée n’en a tiré aucune conséquence allant dans le sens de ce que souhaitent les électeurs, mais, pire encore, il s’est fait l’ardent promoteur de la candidature de Jean-Claude Juncker à la présidence de la Commission européenne, c’est-à-dire du plus fédéraliste et du plus atlantiste candidat qui soit !
Ce mépris d’acier des “élites françaises” pour le souhait réel du peuple français est un schéma connu, trop connu.
Il conduit, hélas, épisodiquement la France à des accès d’explosion politique et sociale qui sidèrent nos voisins d’outre-Manche et la planète entière.
Mais n’est-ce pas, au fond, que justice ?
CONCLUSION : WAIT AND SEE…
Bien entendu, il est encore trop tôt pour savoir si ce coup de barre en faveur des anti-européens répond à une stratégie déterminée de long terme ou à un simple calcul électoral de court terme. Il ne faut évidemment pas oublier que le Premier ministre britannique subit des pressions extraordinaires, qui proviennent à la fois des dirigeants américains, de ceux de la City, et de toute l’oligarchie industrielle et financière euro-atlantique.
Il n’en demeure pas moins que, de petites phrases en promesses de référendum, de promesses de référendum en menaces de sortie de l’UE, de menaces de sortie de l’UE en remaniement ministériel spectaculaire, l’ensemble de la société britannique emprunte depuis maintenant plusieurs semestres un chemin qui s’écarte irrésistiblement du maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne.
Les européistes britanniques, affolés, ne s’y sont pas trompés. Un porte-parole de l’opposition travailliste, Michael Dugher, a décrit ce remaniement ministériel comme « un massacre des modérés » par un Premier ministre « affaibli et apeuré face à son aile droite. » Et cet européiste a souligné son inquiétude en s’effrayant que « La politique étrangère britannique va maintenant être dirigée par un homme qui a ouvertement évoqué notre sortie de l’Union européenne. »
Les dépêches de presse signalent aussi cette réflexion du directeur de l’institut européiste londonien Open Europe : « Je crois qu’en Europe sera perçu le signal d’une hausse des enchères, dans un jeu encore plus tendu.»
Appliquons donc la traditionnelle attitude britannique du « Wait and see » : Attendons de voir la suite des événements…
Mais, pour l’instant, force est de constater que nous ne pouvons que nous réjouir des évolutions politiques outre-Manche vis-à-vis de l’œuvre de destruction et d’emprisonnement des peuples cyniquement dénommée « construction européenne ».
Comme ils l’ont fait si opiniâtrement et depuis si longtemps dans leur histoire, il se pourrait bien que les Britanniques soient une nouvelle fois résolus à faire prévaloir leurs intérêts nationaux et déterminés à se placer aux avants-postes du combat pour la démocratie.
François Asselineau